Service ou entraide : la vie ensemble

« Rendre : donner en retour » ( rendre des coups, rendre la pareille...) .
« Rendre » s'emploie au figuré pour « s'acquitter d'une obligation, d'un devoir, témoigner à quelqu'un du respect, de la reconnaissance ».
« Service : du latin classique servitiium, condition d'esclave, esclavage, classe d'esclaves ». Je vous passe les escaliers de service, la porte de service, et, le service religieux.
Tout le monde sait que l'humanité est partagée en deux camps : ceux qui rendent service et ceux à qui on rend service. Sauf naturellement ceux de la deuxième catégorie !
Je prends ici le service dans sa version gratuite ; dans sa version payante, c'est l'esclavage remis au goût du jour avec juste l'alibi de la compensation du foutu fric tout-puissant. ( je fais une grande différence entre le salariat des ouvriers et celui des services promus au rang de modèle de société ; mais j'ai déjà parlé de cela ! Vingt fois peut-être, alors je n'y reviens pas)
Se mettre au service de quelqu'un...
Alors voilà : se mettre en quatre pour quelqu'un, rendre service, devancer les désirs, prendre en charge les corvées, faire en douce la vaisselle pendant que les convives rigolent, ce n'est pas donner du bonheur, c'est s'acquitter d'une obligation. Toute intérieure l'obligation, le fruit, quoi ? d'un abandon, d'un manque de confiance, d'amour, l'absence d'une valorisation précoce à l'âge ou la personnalité se forge ; se sentir de trop si on n'est pas utile.
Eh bien oui, c'est exactement ça, et ceux à qui l'on rend service le savent très bien ; on demande toujours à celui qui ne sait pas dire non, et on le méprise un peu. J'ai même vu des bobos de gauche être convaincus de faire une bonne action : cela la valorise que je lui demande un service ; jusqu'à : demander un service, c'est faire preuve de modestie, ou bien, c'est tenir compte de l'autre.
Les rôles se répartissent assez naturellement ; les imbus d'eux-mêmes ne se posent pas trop de questions et les avoisinants, humbles, complexés ou admiratifs, veulent se faire valoir à offrir leurs services ; on en vient à la situation absurde suivante : le service rendu pèse à celui à qui l'on rend service ! « Ça lui fait plaisir de me rendre service », alors, pourquoi se gêner !
Quelle cécité ! Quelle égocentrisme, quel manque d'empathie pour ne pas voir que celle, ou celui, qui rend service n'est pas à ce point en manque d'amour qu'il s'avilit devant plus grand ! Juste une gentillesse la plupart du temps.
Mais cette gentillesse effectivement n'est pas exempte de cause ; le gentil qui aide n'est pas un arrogant ; il souffre plutôt d'un manque de confiance en lui et suppose qu'il sera mieux accepté s'il est serviable. S'il manque de lucidité, c'est vrai aussi qu'il peut devenir lourd ; mais la plupart du temps il est utilisé.
Qui est donc celui qui rend service ? Gentil, un peu con, qui se laisse manger la laine sur le dos ! Ce n'est pas un battant, mal armé pour réussir dans ce monde de brutes, il préfère l'harmonie à la rivalité, il ne craint pas d'être l'huile dans les rouages ; il a pour idéal de faire de l'harmonie ; n'étant pas aveuglé par son ego, il s'oublie, parfois un peu trop : un ego qui s'oublie est un ego sans importance et, à l'instar des animaux qui ne se plaignent ni se révoltent, on ne se prive guère de cette facilité à profiter, avec ce brin de dédain qui caractérise le regard supérieur sur l'inférieur !
Bien sûr le jeu se joue à deux, bien sûr celui qui se paye toutes les corvées, ou qui paye toutes les notes de bistrot est responsable de son exploitation ; du reste, bien souvent, quand il s'aperçoit que ses relations ne peuvent exister que sur ce mode, il se passe de relations ! Mais pendant tout le temps où cela perdure, les profiteurs profitent.
Il arrive bien sûr, que le servi ait politiquement ou socialement, un vague sens de la politesse, un vague aperçu du savoir-vivre , il se peut qu'il aime bien sa sœur ou sa femme, qu'il sente qu'il doit faire un effort pour garder des bons rapports de voisinage, alors, si on lui demande un service, en plusieurs exemplaires insistants, il dira oui ; il oubliera souvent ou, sinon, il fera quand il pourra comme il voudra , à l'heure qui l'arrange et ne manquera pas de s'en vanter ou de s'en plaindre. Tout l'inverse de celui qui a donné sa parole, l'assume, et chamboule son horaire pour , parfois, un tant soit peu alléger une contrariété, éviter une attente ou simplifier le planning de l'autre, pour un confort qu'en général lui-même n'a pas.
Mais, puisque rien n'est vraiment gratuit il faut, une fois par an, pour la fête d'anniversaire, inviter le pauvre hère qui, inconscient de la différence de caste, a pensé avoir tissé des liens d'amitié, sur un mensonge que sa naïveté ignore. Une B A qui efface l'ardoise.
Une psychologie particulière appelle ses complémentaires ; celui qui veut se faire voir, se mettre sur le devant de la scène, celui qui veut se faire aimer comme une idole, déploiera tout ce qu'il imagine comme séduction, vantardise ou attrait vénal pour s'entourer d'une cour inconditionnelle ! Tôt ou tard le pot-aux-roses sera découvert et il faudra changer de courtisans ! Tandis que le benêt qui rend service ne recherche en rien les feux de la rampe et s'il le fait par idéal, il s'arrangera même, par sa discrétion, à faire croire qu'il s'en trouve honoré ! Il a tort. Parce que cela s'appelle la classe et que celle-ci n'est plus au goût du jour.
Bien content quand on ne lui demande rien, car, quand on ne sait pas dire « non », on finit par pratiquer l'évitement !
Tout le monde a un petit sourire de dédain ou de pitié pour les serviables ! Ils ont choisi d'être utiles, de faire plaisir pour se faire aimer par une mère ou un père récalcitrant ; la disponibilité est leur vertu ; cette ouverture est son aventure ; comme il ne pense guère à lui-même, qu'il s'est arrangé pour être autonome et n'avoir pas de service à demander, lui, le plus pauvre, a tous les outils, le savoir-faire et comme par hasard le temps ; c'est que, dès le plus jeune âge, personne ne le regarde ni ne fait attention à lui, ses exploits ou son abnégation se doivent de trouver au sommet une reconnaissance minime, et il a tôt fait de comprendre qu'il faudra bien se débrouiller tout seul. Cela n'est pas conscient naturellement mais cela s'inscrit dans ses comportements : il n'a rien à attendre de personne , alors, quitte à vivre, il faut être autonome.Il devient une mine quand l'âge avance ! Tandis que l'enfant qui a toujours été soutenu, aidé, choyé, mais à qui on ne laissait guère d'initiative- manque de confiance- pour qui tout était prévu, pré-mâché, celui-là aura besoin des autres et développera la capacité de séduire pour pallier à son insécurité fondamentale. Il se sera construit dans un moi identifié et valorisé mais dépendant.
Ces deux-là finiront par se trouver en attraction mutuelle ! Mais le déséquilibre subsistera : l'aidant ne réussissant pas à trouver la valorisation et l'aidé l'indépendance. Il est notable toutefois que l'aidé occultera plus facilement son incapacité à l'indépendance, trouvant tout un tas de petits prétextes bien assis sur le contentement de soi pour se tenir en haut, tandis que l'aidant finira forcément dans la solitude voyant ses pauvres atouts rabaissés au rang d'une infériorité de fait.
L'aidé construira, réalisera son œuvre pendant que l'autre ne nourrira plus aucune illusion sur l'espèce humaine. Solitaire, misanthrope, aigri, plus personne n'aura alors besoin de lui !
Et cela, indépendamment du statut social, indépendamment du sexe ou de l'âge ; les couples souvent se forment sur ces paramètres de complémentarité !
L'aidant pourra nourrir une ambition folle pour arriver à une capacité d'aide valorisante ; il n'est pas assigné au rang subalterne de serveur, mais au fond de lui restera ancrée cette nécessité de donner pour être aimé. Quand bien même ce qu'il donne ne lui appartient pas. Nombreux sont les hommes politiques qui, distribuant des passe-droits pour complaire, s'enkystent dans ce cas de figure. L'aidé, posé comme nécessiteux, ne développera guère d'ambition autre que celle de trouver toujours l'aide nécessaire et ne sortira de son milieu que par chance, un mariage, une alliance, dans lesquels il stagnera.
Toutes nos relations peuvent, peu ou prou, entrer dans ce schéma ; ce schéma qui induit les rapports de pouvoir, les tensions intérieures, les frustrations - qui peuvent conduire à la trahison-, les caprices de la midinette ou ses échecs qui la conduisent à la méchanceté. Il n'est pas si facile au fond de séduire toujours pour se faire croire qu'on est aimé et croire qu'être servi c'est être aimé, croire qu'être servi c'est être envié et croire qu'être envié c'est être aimé. On boucle ainsi la roue folle des complexes !Viennent le marasme et le vide intérieur, effrayant. La dépression quand la lucidité point.
À observer ces deux êtres de plus près, l'on se demande qui est le plus à plaindre !
Et bien sûr le type pur de l'un et l'autre de ces protagonistes, est rare ; pas rarissime, j'en connais ; mais rare.
La psychologie de l'homme occidental, son manque d'amour, de reconnaissance et de confiance, sont, de chaque côté des barrières des barricades, la cause première, profonde, inguérissable du fatras mortifère dans lequel nous sommes tous. Essayer de bâtir un monde sur ce cloaque, un monde de justice et de liberté, est une erreur infantiliste car les gens sains ne cherchent pas le pouvoir et tous les autres, prisonniers de leur construction rigide, resteront, quoiqu'il arrive, fidèles à ce qu'ils sont ! Une diva est une diva, et son ego débordant de besoins, restera tel quel même pendant la révolution.
On a vu, bien sûr, ça et là des piqûres de réveil telles qu'elles transformaient les êtres projetés dans une réalité où leur survie dépendait de l'abandon de leurs petites manies ; oui on a vu des égoïstes donner, oui on a vu des couards se transcender, des misanthropes ouvrir leur porte. Mais, globalement, on a vu aussi beaucoup de collaborateurs, de fuyards, de prédateurs profitant de la situation et des gens biens s'éclipser pour se protéger .
Je voudrais conclure ainsi : l'aidé comme l'aimé sont les dominants ; l'aidant comme l'aimant sont les dominés. Mais seulement à l'intérieur du schéma mortifère de notre civilisation car en réalité l'aimant, comme l'aidant ( qui sont souvent le même) cultive sa force intérieure, cette force spirituelle, invulnérable quand elle est atteinte, et qui n'a pas droit aux lettres d'or dans nos valeurs.
Par temps calmes, j'ai connu des années d'entraide, d'échanges, de dons dans une petite société d'égaux, en pauvreté et en rêves, en culture et en idéaux. J'ai vu des êtres dévoués au bien-être, qui ne pouvaient laisser tomber personne, dont le regard était droit et qui, en totale sincérité, ne se posaient pas là.
C'était un temps de grands espoirs, de construction d'un monde nouveau, d'un rejet du pognon et de toutes ses foutaises, un temps de vaches maigres assumé, désiré, obtenu, un temps de travail, de repos et de fêtes. Un temps d'amitiés construites au fil du temps par des êtres trouvés là par hasard mais solides, indéfectibles.
Une petite société sans laissé pour compte ni exclu, une communauté où l'autre est un, une société ouverte qui ne connaissait pas d'intrusion destructrice.
Quel peut être l'enjeu d'une telle société ou le service n'existe pas et où règne l'entraide ? La vie, tout simplement. Et croyez-moi, la vie est plus riche quand on ne la cadre pas. Il fut un temps où l'on pouvait vivre comme ça, ensemble et sans ambition de pouvoir ni d'enrichissement ; un peu plus d'aise aurait adouci les tâches, mais trop d'aise aurait pourri l'harmonie. L'entraide en était le fondement, le ciment, et sans volontarisme : une évidence. L'un a besoin de construire une dalle dans la maison qu'il remonte ? Tous venaient à l'appel, et pour cela, pas besoin de téléphone ; la fête du travail en commun suivi d'un repas ne rebutait personne, mais pour que cela fut possible il ne fallait aucune autre obligation que celles que l'on se donnait, reportées à demain. Pas d'emprunt, pas de patrons, pas d'ambition autre que vivre chaque instant ; un temps long, un temps lent qui voyait des pans entiers du paysage se transformer, s'habiter ; des jardins, des prairies, des granges, des troupeaux, des musiques, des peintures se créaient, se transformaient, s'élaboraient.
L'égalité était réelle, la liberté vécue, et la fraternité comme récompense. Aucune lutte à mener, aucun combat, juste un terrain vierge à façonner.
L'un connaissait les oiseaux, l'autre les insectes, l'un élevait des moutons ou des chèvres, l'autre des abeilles, et tous s'y frottaient.
La musique était le lien de créativité, d'expression et de rencontres, de sorties, de défi aussi car aucune sélection n'était faite, et venait qui voulait. L'un s'initiait, l'autre se perfectionnait, celui-ci aidait celui-là et les répétitions hebdomadaires, exigeantes, étaient un rendez-vous que personne ne manquait, sous aucun prétexte . Là aussi l'entraide était le liant et l'entraide n'établissant aucune hiérarchie, ne participant d'aucune pyramide ou échelle, l'égalité était un fait acquis. Et notre liberté tenait toute entière dans notre engagement que pas un n'aurait trahi. Alors, la fraternité était possible, car la fraternité ne précède pas l'installation d'un nouveau monde, elle n'en est pas la condition, c'est le nouveau monde qui la favorise ou au moins la permet.
L'entraide demande du temps et de l'attention, une disponibilité et une écoute, ce sont donc les fondements d'une société qui l'autorisent car elle fait partie de l'humain, comme une évidence ; c'est quand elle est empêchée que les relations tournent mal.
L'entraide c'est pouvoir compter sur les autres et avec eux sans chichis hypocrites ; c'est l'égalité dans toute sa splendeur, c'est la liberté sans calcul qui s'organise spontanément et c'est, aussi et peut-être surtout, un bon remède contre la solitude !
Réduite aujourd'hui à son cercle le plus étroit, perdant ainsi le contenu sublime de sa définition, l'entraide, part actrice de la fraternité, est un vain mot. Elle est présente encore dans les cœurs et ne demande qu'à renaître ! Mais le tas de cendres est haut au dessus de sa braise ! Et le vent devra être violent qui la fera s'enflammer de nouveau.
23 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON