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Servier et l’information asservie : une expérience de laboratoire

Des trois grandes contraintes qui s’exercent sur l’information pour la modeler (1), l’annonceur publicitaire en cumule deux à lui tout seul : l’une relève, par les ressources qu’il apporte à un média, des moyens de diffusion et de réception de l’information, et l’autre, des motivations de l’émetteur. Puisque nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire, a fortiori on ne peut attendre d’un annonceur qu’il finance par sa publicité un média qui diffuserait des informations susceptibles de lui être nuisibles.

Entendue le 5 avril 2011 par la Mission d’information parlementaire sur « le Médiator » (2), une ancienne journaliste de la revue médicale Impact Médecine, Virginie Bagouet, vient de livrer une intéressante expérience personnelle qui illustre l’emprise implacable de ces deux contraintes sur l’information. Une véritable expérience de laboratoire !
 
L’hebdomadaire sous le contrôle étroit du laboratoire
 
Elle a ainsi révélé que le Laboratoire Servier – fabricant du « Médiator » - contrôlait étroitement tout article qui le concernait. Dépendant pour survivre de la publicité, l’hebdomadaire ne pouvait pas se permettre de contrarier son annonceur. Toute critique exposait à un retrait temporaire de publicité par l’annonceur et à une mise en péril de la vie de l’hebdomadaire. Prévenir plutôt que guérir était donc le mieux.
 
On relève dans le témoignage de la journaliste, relaté par Le Monde, les deux modes d’intervention de l’annonceur auprès de la rédaction :
 
1- L’autocensure
 
Un premier mode discret est l’autocensure avec ses deux modalités opératoires.
 
- La rédaction-en chef sait d’abord ce qui plaît au laboratoire : toute louange d’un de ses médicament.
 
- Inversement, la rédaction sait aussi d’avance ce qui lui déplaît et s’interdit donc d’en parler. Ainsi l’hebdomadaire n’a-t-il pas évoqué du tout le livre du Dr Frachon paru en 2010, « Médiator, 150 mg, combien de morts ?  ». Quant à l’étude de la Caisse nationale d’assurance-maladie qui confirmait en octobre 2010 la dangerosité de ce médicament, si elle a fait l’objet d’un projet d’article, celui a été pour finir rejeté : le sujet a été jugé « trop sensible  » par la rédaction en chef, selon la journaliste !
 
2- La censure
 
Le second mode d’intervention est moins discret : c’est la censure dans ses diverses modalités. Les articles sont carrément soumis à la relecture du laboratoire : celui-ci s’arroge le droit d’interdire par exemple la publication d’un graphique, de corriger, voire de réécrire pour moitié un article. La rédaction dispose même d’un prête-nom, Claire Bonnot, pour ces articles qui échappent à ses propres journalistes.
 
Le laboratoire apparaît dès lors comme une rédaction-bis de l’ombre avec laquelle l’hebdomadaire est en relation constante pour prise de rendez-vous de relecture et qui lui dicte le contenu de ses articles.
 
Les leurres de la directrice de la rédaction
 
On se doute que la directrice de la rédaction d’Impact Médecine ne peu admettre qu'on donne de son hebdomadaire pareille représentation servile envers Servier. Sa posture est celle de la dénégation. Mais les leurres dont elle use sont trop grossiers pour tromper son monde.
 
1- D’abord, elle reconnaît les faits allégués :
 
- oui, son hebdomadaire n’a fait aucune mention du livre du Dr Franchon ;
- oui, des articles font l’objet d’une relecture.
 
2- Et les motifs avancés pour les expliquer sont peu crédibles, tout simplement parce qu’il est naturel qu’un suspect oppose des explications qui l’exonèrent au moins partiellement de ses responsabilités, conformément au principe fondamental régissant la relation d’information rappelé en introduction.
 
- L’ignorance du livre-réquisitoire du Dr Franchon sur « le Médiator », produit par le Laboratoire Servier  ? Deux raisons l’expliqueraient : 1- l’hebdomadaire ne dispose pas d’une rubrique « Livres » ; 2- le livre paru en 2010 n’était plus d’actualité parce que le Médiator avait déjà été interdit en 2009 ! On a bien compris que sa dépendance financière envers Servier n’a pas influencé du tout le choix de l’hebdomadaire !
 
- Quant aux relectures et aux corrections ? Rien de plus naturel ! 1- ou des articles mal construits ont nécessité d’être réécrits ; 2- ou des sujets complexes, qui, plus est, souvent traités en anglais, ont demandé des éclaircissements et une validation scientifique par des experts. Et quels meilleurs experts que ceux de Servier pour les médicaments qu’il produit ?
 
3- La directrice ne peut évidemment s’empêcher pour conclure de proclamer haut et fort son attachement à sa déontologie  : « On fait notre travail avec éthique, » s’écrie-t-elle. Qui en douterait ?
 
Mais quelle déontologie a jamais résisté à la menace de se voir couper les vivres si on ne satisfait pas aux demandes de son bienfaiteur ?
 
Il ne s’agit pas de jeter la pierre à cette directrice d’hebdomadaire médical : elle a raison de soutenir que « les pressions dans la presse médicale sont les mêmes que dans toute la presse. » Comment y résister sans devoir fermer boutique ? Il semble qu’il n’y ait qu’une voie de salut : c’est l’éducation des lecteurs. Leur capacité à exercer le doute méthodique devient un bouclier pour une rédaction contre les pressions de propriétaires ou d'annonceurs qui lui enjoignent de publier des informations éloignées de la réalité : on ne raconte pas de bobards à qui sait les reconnaître. Face à des lecteurs avertis, un annonceur comme Servier courrait le risque de discréditer un journal suspect d’être à son service. Que des médecins qui ne sont pourtant pas en principe des lecteurs incultes, aient pu être encore abusés dans les années 2000, en dit long sur le chemin qui reste à parcourir. Qu’en est-il alors de la masse des citoyens dont la télévision et la radio sont les sources principales d’information, et qui a pourtant été majoritairement scolarisée ? N’est-ce pas au bout du compte la mythologie insensée de l’information enseignée par l’Éducation nationale qui, en égarant les lecteurs, permet à Servier et consorts de continuer à exercer leurs pressions sur les médias ? Il n’est que de voir encore les thèmes de la récente « Semaine de la Presse et des médias dans l’École », qui vient de se tenir du 21 au 26 mars 2011 ! (3) Paul Villach 
 
(1) Ces trois grandes contraintes sont les suivantes :
1- la contrainte des motivations de l’émetteur,
2- la contrainte des moyens de diffusion et de réception de l’information que sont les médias,
3- la containte des propriétés du récepteur.
(2) Samuel Laurent, « Une journaliste dénonce une censure des labos dans la presse médicale  », Le Monde, 5 avril 2011.
(3) Paul Villach, « La désorientation méthodique des lèves par l’Éducation nationale  », AgoraVox, 24 janvier 2011
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-desorientation-methodique-des-87671

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3 réactions à cet article    


  • Dinu pass Dinu pass 7 avril 2011 22:08

    Pourquoi parlez vous de Servier particulièrement ? Ne me dites pas que les autres labos ne font pas la même chose.

    Les fabricants de bagnole ou de cosmétique ne font ils pas la même chose à leur niveau également. Et de manière générale, tous les grands media ne sont ils pas tenus en laisse par la ckique de publicitaires de Neuilly.

    Allez, un sujet d’investigation à vous proposer : les liens de certains parlementaires francais (Gérard Bapt) avec des labos anglo-saxons comme GSK ! mais là bizarre plus aucun journaliste pour enqueter...


    • docdory docdory 7 avril 2011 23:36

      Cher Pierre-Yves

      Oui, une bonne partie de la presse médicale ressemble à la presse féminine : il y a presque autant de publi-reportages que d’articles sérieux . 
      Il faut préciser que la presse médicale que les médecins reçoivent est une presse gratuite. Si l’on veut une presse plus sérieuse, il faut s’abonner, pour des bonnes sommes, mais abordables pour les journaux avec très peu de publicité ( la revue du praticien ) et à des prix très élevés pour les journaux sans publicité ( Prescrire ).
      Cela dit, tout n’est pas à rejeter dans cette presse gratuite : il suffit d’apprendre à distinguer ce qui est publi reportage des articles à peu près honnêtes. Par ailleurs , il y a en général d’excellentes pages culturelles, en particulier les critiques de films !
      A propos : avez vous remarqué la symbolique du prête-nom : Claire Bonnot ( ou Bonnot Claire ) . Ce n’est pas parce qu’on utilise une Bonnot Claire, que l’on se retrouve dans une opération « mains propres » !!! Serait-ce une forme d’humour involontaire ?

      • jallatte 13 avril 2011 18:40

        Bon et qu’est ce qu’on va faire des Délégués Médicaux

        Vous souvenez vous de l’argument qui passait très bien je resume « ça marche sur le chien DONC ça marche sur l’homme » ?
        Combien était payé le cas au lancement de leur « grand » produit de de cardio ?



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