Seul contre tous
Derrière la guerre que mène aujourd’hui la Russie contre l’Ukraine, il y a d’abord la décision d’un seul homme. Et c’est bien là tout le problème.
Que peut un homme seul dans ce monde ? Très peu de choses, assurément. Pour l’immense majorité d’entre nous, la capacité d’efficience individuelle est à peu près égale à zéro. D’où la nécessité, pour les individus, de s’associer afin de former des groupes pouvant faire entendre leurs revendications. L’union fait la force. A l’échelle de la très longue durée, ce slogan peut expliquer le succès planétaire de notre espèce.
Pour d’autres hommes, cependant, c’est différent. Par exemple les dirigeants de nos pays démocratiques. Ceux-là ont, sur la société, un pouvoir décisionnaire considérable ; un pouvoir qui peut modifier, en bien ou en mal, les conditions de vie de leurs administrés. Néanmoins, leur pouvoir n’est pas sans limite. Il reste assujetti à un ordre juridique et une constitution ; sans parler des débats avec leurs collaborateurs et la pression de l’opinion publique que nos gouvernants ne peuvent ignorer s’ils veulent poursuivre leur carrière. Autant d’éléments qui sont en mesure de mettre des freins à leurs actions, voire de les réorienter.
Même une personnalité aussi fantasque et autoritaire que Donald Trump ne pouvait pas, durant le temps de sa mandature aux USA, faire tout ce qu’il voulait. On dira ce qu’on voudra de nos démocraties, mais ces nombreux contre-pouvoirs sont à mettre à leur crédit. Littéralement, ils sont des gardes-fous, autrement dit des protections contre les poussées de folie individuelle.
Mais il est, hélas, encore des états où le destin d’un peuple est entièrement dans la main d’un seul homme, quand bien même il peut se targuer d’avoir été élu démocratiquement. C’est le cas pour tous ces pseudo-présidents qui révèlent rapidement leur vraie nature de dictateurs avec des méthodes depuis longtemps éprouvées (opacité, mensonges d’état, violence, élimination de toute opposition, désignation d’ennemis fictifs). Parmi eux, aujourd’hui, Vladimir Poutine est certainement le plus dangereux.
Bien que la Russie garde encore une assemblée parlementaire pour la forme – la Douma -, il n’y a plus de débats depuis longtemps et il dispose, vis-à-vis de ses concitoyens, d’un pouvoir absolu. Il peut donc entraîner son pays dans une guerre contre un état voisin – l’Ukraine – sans consulter personne d’autre que lui-même. Doit-il justifier son agression et ses conséquences pour des millions d’êtres humains, sinon pour la planète entière ? Il a dans sa manche une vision historique parfaitement anachronique à opposer à tous ceux qui croient au droit des peuples à s’auto-déterminer. Les nostalgiques de l’empire effondré seront comblés : c’est pour la grandeur de la Russie qu’il agit. « Tout ce qui est désiré est désiré sous l’angle du bien ». Dit – approximativement - une vieille maxime de la philosophie médiévale. Le meilleur comme le pire.
Ce pouvoir total, d’autres que lui l’ont eu en Europe au siècle dernier et l’on sait comment cela s’est terminé. Mais ce qui est aberrant, sinon scandaleux, c’est qu’au XXIeme siècle, après l’expérience de deux conflits mondiaux et de plusieurs génocides, après la création d’institutions internationales pour arbitrer et limiter les inévitables dissensions entre les nations, un tel homme puisse encore surgir et menacer le fragile équilibre international.
Nous ne savons pas ce qui résultera de cette guerre d’agression que mène Poutine contre l’Ukraine, même si nous espérons tous qu’elle trouvera une issue diplomatique. Mais ce qui semble certain, c’est qu’il faudra, à court ou à moyen terme, envisager l’instauration d’une gouvernance mondiale propre à empêcher un pouvoir individuel démesuré - ce qui serait le plus sûr moyen de mettre la guerre hors la loi. Cette proposition peut, dans le contexte actuel, paraître bien utopique. Mais les utopies d’aujourd’hui deviennent parfois les réalités politiques de demain.
Jacques LUCCHESI
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