Shadow banking
Avant la mise sous tutelle de la chaîne de télévision franco-allemande ARTE par le gouvernement français, dont le projet de la création d’une holding de l’audiovisuel public, un sujet qui sera sans doute âprement débattu à l’Assemblée nationale au mois de janvier prochain, dort encore dans les tiroirs du ministre de la culture, profitons de ce répit, accordé au journalisme indépendant, pour nous régaler des quelques documentaires sans muslière qui nous restent.
Cela s’appelle « BlackRock », le pouvoir inquiétant d’un géant de la finance ». Certaines révélations sont déjà connues du public, d’autres paraissent triviaux, mais on y trouve des pépites qui laissent franchement pantois.
Pour ceux qui s’intéressent au mécanisme des fonds d’investissements, il est recommandé de faire un saut en arrière dans l’histoire, 1960, Ferney-Voltaire dans les faubourgs, français, de la Genève internationale, le quartier général du financier américain Bernard Cornfeld, Bernie pour les intimes, et sa société de distribution de fonds de placements « International Overseas Services » IOS, 25'000 courtiers à travers le monde, volume sous gestion 2,5 milliards USD, une broutille de nos jours, public ciblé, les militaires américains stationnés dans les bases militaires en Allemagne, avides de structures financiers exemptes d’impôts, mais également l’investisseur lambda, les petites gens.
L’éclatement de la bulle spéculative des marchés financiers début 1970 sifflait la fin de la récréation et l’avalanche de demandes de remboursement de la part des investisseurs provoquait la clôture de tous les fonds IOS, débouchant sur la plus importante déconfiture financière à l’époque.
Entre temps, le monde a vu défiler le financier suisse Werner K. Rey, le négociant américain en « junk bonds » Michael Milken, « obligations pourries » pour les néophytes, les financiers Ivan Boesky et Dennis Levine, le copain de l’ancien président George W. Bush, Kenneth Lay et sa « société de courtage en électricité » « Enron » (fallait l’inventer ce modèle d’affaires), Bernard Madoff.
Et maintenant, nous avons l’ancien vendeur de chaussures, Laurence D. Fink, PDG du plus important distributeur de fonds de placement de la planète « BlackRock », 6'500 milliards USD sous gestion, près d’un tiers de la dette souveraine des Etats-Unis.
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts du Hudson River depuis les mésaventures des financiers indélicats de la fin du siècle dernier, mais le modèle d’affaires de la captation de l’épargne des petites gens, notamment celui des plans de prévoyance par capitalisation, celui du 2ème pillier pour les suisses, mais également celui qui dort dans les coffres de la sécu ou le système de prévoyance par répartition, AVS, dans le cas de la Suisse, reste le même.
Les fonds de placements, « mutuel funds » dans le cas d’IOS, ou ETF, exchange traded funds, car cotés en bourse, dans le cas de « BlackRock », ne sont rien d’autre que des paniers d’actifs financiers, investis à travers le monde entier, l’argument de vente étant la répartition du risque, argument devenu quelque peu boiteux, car avec la libéralisation des marchés financiers et la levée successive des contrôles des flux de capitaux depuis 1980, le monde est devenu un village. On devrait donc plutôt parler de contagion que de répartition. Le volume investi, au niveau du village, s’élève par ailleurs à 5'000 milliards USD dont « BlackRock » gère à peu près la moitié.
Larry Fink commença sa carrière au service de la banque d’affaires First Boston, rachetée en 1990 par le Crédit Suisse. En 1988, sous l’égide du plus important fonds de capital-investissement à l’époque « The Blackstone Group », Fink fonda, avec deux autres investisseurs le gestionnaire de fortune « BlackRock ». En 1994 Fink se sépare de « Blackstone » et en 1999, avec 165 milliards USD sous gestion, la firme est introduite en bourse de New York.
Mais, la bonanza commence avec la crise financière de 2008, dite la crise des « subprimes ».
Néophytes en matière de finance, et de ces choses-là, paniqués par l’imminente déconfiture du plus important assureur américain AIG « American International Group » et du groupe bancaire « Citigroup », le président de la « Federal Reserve Bank of New York », une des douze banques de la Réserve Fédérale américaine, Timothy Geithner, futur secrétaire du trésor sous l’administration Obama, ainsi que le secrétaire du trésor de l’époque, Hank Paulsen, s’adressèrent à Larry Fink avec la demande, que le système électronique d’analyse d’actifs financiers de « BlackRock », « Aladdin », jette un coup d’œil sur la comptabilité des deux géants et évalue la valeur des titres toxiques accumulés par l’assureur.
Par la suite « BlackRock » acquit quelques centaines de milliards de titres toxiques de la Réserve Fédérale, au prix, fixé par « Aladdin ».
L’acronyme « Aladdin » se traduit par « Asset, Liability, Debt, and Derivative investment Network » ou analyse de risques pour actifs financiers, dettes et produits financiers dérivés, dont un des quatre centres de calcul se trouve à Wenatchee dans l’état de Washington, pour le coût avantageux de l’électricité et des prix immobiliers, où 6'000 ordinateurs analysent 24 heures sur 24, des données économiques, politiques, environnementales, sociétales, comportementales, médicales. Les services d’Aladdin étant loués également à d’autres institutions financières, dont par exemple le Crédit Suisse, la masse sous gestion, indirecte, s’élève à 11'000 milliards USD, 30'000 portefeuilles d’investissement ou 7% des actifs financiers mondiaux. (chiffres de 2011).
En 2009 la crise financière offre à « BlackRock » une autre occasion inespérée. La firme rachète la partie « fonds de placements » de la banque britannique « Barclays Bank », en graves difficultés, pour 13 milliards USD.
Prise de court par la crise financière, la « Commission européenne » décide, en 2014, de confier la régulation bancaire à la « Banque centrale européenne ».
A l’instar des sieurs Geithner et Paulsen, celle-ci semblait avoir cruellement manqué de moyens, ou d’expertise en la matière (de surveillance bancaire), à en juger par l’interview accordée à Arte par son directeur général Stefan Walter, dixit : « Quand nous avions commencé le travail en 2014, nous n’avions que peu de collaborateurs. Nous avions d’abord besoin d’établir un « comprehensive assessment » ou « évaluation complète » en français (en 2014, six ans après le début de la crise ndlr), raison pour laquelle nous étions obligés de faire appel à des experts externes, dont « BlackRock ».
La collaboration avec un prestataire privé implique forcément le partage de données économiques et politiques hautement sensibles et confidentielles, mais Monsieur Walter nous rassure, car il y aurait eu des « chineses walls », et « nous faisions très attention à ce que nos experts fussent une claire distinction entre leur mandat et les intérêts de leurs clients. » Faisons donc confiance à Monsieur Walter.
Ou peut-être pas, car au mois de juillet 2015, « BlackRock » acquit massivement des titres de la dette souveraine de la Grèce, à un moment où la concurrence craignait une faillite de l’état comme le diable l’eau bénite. Il se trouvait toutefois, qu’au préalable, la « Banque centrale européenne » confia au gestionnaire, ou à « Aladdin », l’évaluation comptable des banques grecques.
Une fois le pire évité, les primes de risque sur les papiers grecs fondèrent comme neige au soleil et « BlackRock » se débarrassait des siens avec un bénéfice appréciable.
Lorsque la « Commission européenne » mettait le gouvernement grec sous pression pour vendre des actifs, notamment des biens immobiliers, le premier acheteur sur le marché fut « BlackRock », et , surprise, le responsable, nommé pour le déroulement de l’opération, finit comme directeur général de la filiale grecque de « BlackRock ».
Si l’objectif de rentabilité est respecté, Larry Fink, peut tout à fait se passionner pour des sujets qui ne touchent pas directement à la finance. Sous l’impulsion de quelques clients, animés par un sentiment de culpabilité peut-être, Larry Flint approche le président français, Emmanuel Macron, avec la demande de l’aider à développer des projets durables dans des pays en développement, notamment en Afrique, pour d’évidentes raisons.
Au mois de décembre 2017, celui-ci organise donc un forum avec des investisseurs, dont Larry Fink, dans le but de développer un fonds, alimenté partiellement avec des fonds publics, allemands et français, censé investir dans des projets « écologiques » en Afrique. Connaissant la fibre écologique de « BlackRock » on ne peut que se réjouir.
Sachant que l’actionnaire principal de 90% des 500 sociétés les plus importantes des Etats-Unis est un des trois majeurs fonds d’investissements américains et que « BlackRock » à lui seul domine les assemblées des actionnaires et leur politique entrepreneuriale de 17'000 entreprises dans le monde, on peut s’inquiéter sur l’impact salarial, inflationnaire et environnemental de la concentration du capital.
Le milliardaire Carl Icahn, dont le personnage est immortalisé dans le blockbuster « Wall Street » du réalisateur Oliver Stone, et qui doit sa fortune, 20 milliards USD selon Forbes, au malheureux négociant de » junk bonds » Michael Milken, apostrophe Larry Fink lors d’un forum de la chaîne de télévision américaine CNBC le 15 juillet 2015, dixit Carl Icahn : « Larry Fink and Janet Yellen (présidente de la Réserve Fédérale entre 2014 et 2018 ndlr) are pushing the party until it’s over. Janet wants to pull the brakes and Larry says no let’s continue. Sooner or later Janet and Larry are pushing us all over the cliff like in 2008. »
La boucle est bouclée.
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