Shoot’em up
Voilà, avec un titre comme ça, je suis sûr de glaner au moins les fans de jeux vidéos et ceux qui pensent que j’ai envie de tirer à vue sur les toxicos (ce qui fait pas mal de monde quand même). J’ai hésité avec « Réservoir Drogue », et puis je me suit dit que le public cinéphile était moins fourni, donc j’ai laissé tomber.
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Mais revenons-en au sujet de l’article. Quand j’ai entendu qu’ils allaient ouvrir une salle de shoot à Paris, je me suis dit (bêtement) « bonne idée ! mais bon… PSG est premier, il ferait mieux de l’ouvrir à Marseille, vu comme l’OM est à la ramasse… ». A ma décharge, j’étais à la machine à café, donc pas obligé de dire des trucs intelligents (la connerie étant même plutôt conseillée), c’est en revenant à mon PC que j’ai compris qu’on parlait pas de ces shoots-là.
Ha cruelle est la langue française quand elle te trompe (surtout avec des mots anglais, et je te parle pas quand c’est la langue d’une femme française qui s’y met avec un anglais).
Qu’est-ce que c’est, bordel ?
Bon alors déjà, le vrai terme – pas piqué des vers, sans mauvais jeu de mots – est « Site d’injection supervisée », autrement dit un lieu où les toxicomanes s’injectant par voies intraveineuses peuvent venir pratiquer leur injection dans de bonnes conditions sanitaires et d’hygiènes ainsi qu’en présence d’un personnel fixe (forcément fixe) et (chloro-)formé.
Dit comme ça, ça sonne un peu comme l’endroit où tout est permis pour le (ou la) toxico, genre le lieu dont vous êtes l’héroïne (ha ha). Je précise quand même – au cas où – que le produit n’est pas fourni (sinon, ce serait l’émeute), et j’insiste sur le fait qu’il s’agit de toutes les injections dites « intraveineuses » (pour les lignes de coke, il y a les boîtes de nuit ou les soirées chez Canal+).
Leur mise en place s’inscrit dans une démarche de réduction des risques pour les toxicos marginalisés, notamment par rapport aux overdoses et à la transmission du VIH (courant lors d’échanges de seringues).
Les opposants y voient une promotion de la drogue et un coût exorbitant.
Bon, on va pas en faire tout un foin (surtout que ça deviendra dur d’y retrouver les aiguilles après), ce truc existe depuis 2003 aux USA, et en Europe, l’Espagne, l’Allemagne, la Suisse, le Portugal et les Pays-Bas (qui question drogue a une longueur d’avance). Ce qui est intéressant, comme souvent, c’est de voir les réactions épidermiques provoquées par ce débat (et notamment entre la gauche et la droite française, ce sujet étant particulièrement clivant). Essayons donc d’éviter les clichés (c’est pas gagné, j’adore la photographie).
Le monde est stone
Ce truc me fait penser à deux choses (la vache, je viens de découvrir que je pouvais penser à deux choses à la fois). Le film « Traffic » de Soderbergh tout d’abord et la série « The Wire » d’autre part. Ils montrent tous les deux les dégâts de la drogue et du trafic, mais des deux côtés de l’échiquier. Notamment, le combat des autorités dans les pays riches et la façon de consommer chez les jeunes de ces pays (Traffic) et le trafic et la consommation chez les pauvres du côté de Baltimore (The Wire). Dans ces deux œuvres, on voit à quel point la lutte est sans fin. Le héros de « Traffic » comprend notamment que son combat est absurde, tant que la jeunesse dorée – dont sa progéniture fait partie – continuera à se shooter à la cocaïne, tandis que les policiers de Baltimore, comprenant qu’ils ne peuvent rien faire pour stopper le trafic, en viennent à mettre en place des zones de libres consommation et revente de la drogue pour circonscrire le trafic et la consommation à une zone délimitée, loin de la population.
Partant du principe que les gens n’arrêteront pas de se droguer et que la loi est relativement paradoxale (interdit de vendre de la drogue, mais par contre on peut en consommer certains types – cannabis par exemple, celui-ci ayant certaines vertus thérapeutiques, ce qui n’est pas le cas des stupéfiants comme la cocaïne –, tout va bien ; sans parler des autres drogues en vente libre comme l’alcool ou le tabac qui ont leur lot de morts, elles aussi), une question pourrait être : que peut-on faire, non pas pour arrêter la consommation de drogue, mais pour limiter les risques liés à sa consommation ?
L’approche expérimentale
En effet, la question de l’arrêt de la consommation de drogue est complexe. On n’imaginerait pas forcer des fumeurs de cigarette – qui mettent pourtant objectivement leur santé en danger et coûtent cher à la communauté – à aller voir un psy, ou à se mettre des patchs. Ainsi, de la même façon qu’on ne peut pas forcer un âne qui n’a pas soif à boire, il semble difficile d’aller contre le libre arbitre des toxicos. La liberté des gens inclut la liberté de se détruire, malheureusement (et c’est pas près de changer me dit-on, flute).
L’idée d’une zone de consommation encadrée peut paraître choquante de prime abord, on imagine pas ce genre de mécanisme appliqué à d’autres actes illégaux comme le meurtre (et pourtant, il est assez probable que l’homme trompé tuera de toute manière l’amant de sa femme, à part dans « Minority Report » peut-être) ou les excès de vitesse (une petite zone « tunnel » pour rouler à 300 km/h, ça vous dit ?), et elle ne résout clairement pas le problème de fond de la consommation. Cependant, elle peut avoir ses vertus, et son expérimentation, pour peu qu’elle soit suivie et ses effets étudiés objectivement (sur la délinquance, la transmission des maladies, etc.), ne me paraît pas totalement déconnante (comme toute expérimentation d’ailleurs dugland et pour peu que mon avis ait un quelconque intérêt… j’ai peut-être un peu trop fumé avant d’écrire cet article bordel (*)), en espérant, bien sûr, que c’est expérimentation ne fasse pas pschoot, comme dirait Jacques Chicrack.
Allons plus loin (j’ai pas dit « plus haut »…)
Une autre question pourrait être celle de la raison pour lesquelles des populations deviennent marginalisées, comment elles sortent totalement des structures sociales classiques, et comment considérer ces populations dans leur problématique globale, et non pas juste en traitant les symptômes (dont la drogue en est assurément un bon représentant). Je me demande, par exemple, si ces structures prévoient un minimum de prévention, voire des cellules d’écoute, pour proposer des perspectives éventuellement aux populations marginalisées et précaires qui fréquenteront ces lieux, au-delà de l’encadrement purement technico-médical.
Comment ces personnes en sont-elles arrivées là ? Quel autre type d’aide peut leur être apportée ? A quel moment de leur parcours, quelque chose a dérapé, et comment peut-on les aider aussi à vouloir s’en sortir ? L’idée serait de passer d’un traitement symptomatique à une démarche plus globale, style médecine chinoise appliquée à la consommation de drogue (**).
Il est temps de conclure Jean-Fab’
On peut, enfin – car je n’ai que trop parlé, et puis je m’endors –, faire un parallèle avec le bar de quartier, où la consommation d’alcool y est relativement encadrée (pas de prise de volant à plus de 3 grammes, limitation des rixes alcooliques par la présence d’une batte de baseball sous le comptoir, etc.) et dont l’effet bénéfique est indéniable (sur le PIB de la France et sur la vie sexuelle des rousses) et surtout objectif. Il est difficile de nier, en effet, qu’il y a plus de coma éthylique at home que dans les établissements possédant une licence IV. Le parallèle s’arrête là, puisqu’il arrive au bar de vendre un peu d’alcool quand même (on me dit même que c’est sa raison d’être, en voilà une révélation).
Je me demande d’ailleurs comment cela se passera à proximité des salles de shoot… Autorisera-t-on le marketing ciblé ? Genre les dealers qui distribuent des flyers à l'entrée ou, mieux – euh… je voulais dire « pire » bien sûr –, des produits d'appel, ou font de la pub carrément (genre dealer sandwich).
Finalement, si on veut aller jusqu’au bout de la logique (qui peut se résumer en « on ne peut pas empêcher un toxico de se droguer, mais on peut lui permettre d’éviter de se contaminer ou de faire une overdose »), une étude des drogues consommées permettrait peut-être de sélectionner des produits plus purs et moins coupés, donc moins nocifs. Pendant qu’on y est, on pourrait encadrer un peu la vente aussi pour éviter qu’ils se tirent dessus comme des lapins (« ce matin, un lapin » (***)) dès que le connard d’à côté a marché sur le mauvais trottoir…
Ha merde, ça s’appelle la légalisation.
Mais bon, ça c’est pas demain la veille, compte tenu des enjeux en jeu. Ben oui, le trafic de drogue, c’est quand même 500 milliards de dollars de chiffre d’affaires dans le monde. Bon, c’est pas le premier business… qui reste quand même celui des armes, mais c’est pas loin.
Je suis pas sûr que tout le monde serait d’accord qu’on légalise toute cette merde, les prix chuteraient, ça serait pas bon pour le business.
Finalement, la mort ça vend bien.
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(*) ok, ça va, j’ai juste pris un joint
(**) phrase écrite après une consommation abusive de crack
(***) quand je prends un ecsta, je chante du Chantal Goya (et je fais des rimes foireuses aussi)
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