Sigmund Freud au coeur d’un festival de désirs inaperçus
Nous quittons maintenant la longue note ajoutée ultérieurement, et nous retrouvons Sigmund Freud et Emmy von N… le 15 mai 1889 au soir…

« Pendant l’hypnose, elle avoue avoir encore de temps en temps des craintes au sujet de ses enfants, elles pourraient tomber malades, cesser de vivre ; un accident pourrait arriver à son frère actuellement en voyage de noces ; la femme de ce frère pourrait mourir, aucun de ses frères et sœurs n’a été marié longtemps. » (page 920 du PDF)
Toujours rangé dans le droit fil des thérapies dont Hippolyte Bernheim de Nancy s’était fait le prophète, le médecin viennois passe aussi rapidement qu’il le peut sur le questionnement (rien que la mort !) qui apparaît ici…
« Je lui interdis de s’effrayer sans motif. Elle promet de m’obéir « parce que vous l’exigez ». » (Idem, pages 920-921)
La formule est effectivement typique… Nous allons voir ce que pouvaient en être les suites…
Elles sont là dès le lendemain 16 mai… Et c’est comme une avalanche qui tombe sur le grand protecteur…
« Elle sursaute à mon arrivée. « Heureusement que vous arrivez, j’ai eu si peur. » » (Idem, page 922)
Freud doit aussitôt l’admettre : tous les barrages qu’il avait tenté de mettre en place pour défendre sa patiente contre d’importants troubles du langage sont en train de céder devant une nouvelle vague d’angoisse…
« Cela avec tous les signes de la terreur, bégaiement, tics […]. » (Idem, page 922)
À cet instant, nous sommes dans la libre discussion. Celle-ci se poursuit un petit instant encore et pour évoquer certains des contenus qui ont effrayé Emmy von N…
« Dans le jardin, une souris monstrueuse a tout à coup frôlé sa main » ; « Sur les arbres, des quantités de souris étaient perchées. » (Idem, page 922)
Mais avec l’hypnose, nous allons être tout aussi bien servi(e)s…
« Elle répète l’histoire des souris avec toutes les manifestations de la terreur : alors qu’elle traversait l’escalier, une horrible bête y était couchée et a disparu aussitôt. » (Idem, page 922)
Nous voici le 17 mai… durant la libre discussion.
« Dans le bain de son qu’elle a pris aujourd’hui, elle a plusieurs fois crié, prenant la boue pour de petits vers. » (Idem, page 923)
« Elle bégaie plus que ces jours derniers, et raconte qu’elle s’est vue en rêve, cette nuit, marchant sur des tas de sangsues. » (Idem, page 923)
Or, nous n’avons bien sûr pas oublié les trois notes tardives dans lesquelles Freud se faisait le reproche de n’avoir pas accordé la moindre attention à la signification de tout ce bestiaire qui n’en finit pas de se déployer dans les terreurs de sa patiente. De même, face à ses angoisses de mort du 15 mai, il n’avait fait que lui en recommander le rejet… Et voilà que le thème de la mort se renouvelle maintenant :
« La nuit précédente, elle avait eu d’affreux cauchemars où elle devait faire la toilette d’une quantité de morts et les mettre en bière. » (Idem, page 923)
Ici, toutefois, pointe quelque chose d’un peu différent qui pourrait s’assimiler à une piste :
« Mais elle se refusait toujours à fermer les couvercles (évidemment un souvenir de son mari. » (Idem, page 923)
Impavide, Freud ne fait qu’ajouter une petite parenthèse (« voir plus haut ») qui lui permet de ne pas en dire plus, et il passe à la suite. Elle nous replonge dans ce même univers resté non analysé… tout au moins pour ce que nous en savons :
« Elle dit encore comment, au cours de sa vie, elle a eu une foule de mésaventures avec des animaux, la plus horrible avec une chauve-souris qui s’était laissé enfermer dans l’armoire du cabinet de toilette. » (Idem, page 923)
Mais là également, il y a une accroche possible :
« Emmy s’était alors précipitée nue hors de la pièce. » (Idem, page 923)
Ayant recueilli un matériel aussi riche, quelle orientation Sigmund Freud va-t-il donner à la séance sous hypnose qui s’annonce ?
Manifestement, il s’en tient à l’aspect factuel…
« Sa peur des vers vient de ce qu’ayant reçu un jour une jolie pelote à épingles, elle s’aperçut, en voulant s’en servir le matin suivant, qu’un tas de petits vers en sortaient, le son utilisé pour la rembourrer n’étant pas tout à fait sec. » (Idem, page 924)
Ici apparaît une nouvelle petite parenthèse : (« hallucination ou réalité ? »). Ce qui s’appelle : tourner en rond… Et aussitôt Freud y repique :
« Je lui demande d’autres histoires d’animaux. Un jour qu’elle se promenait avec son mari dans un parc de Saint-Pétersbourg, toute la route jusqu’à l’étang se trouva couverte de crapauds, de sorte qu’ils durent rebrousser chemin. A certaines époques de sa vie, elle ne pouvait tendre la main à qui que ce fût de peur de la voir se transformer en quelque horrible bête, comme cela lui était arrivé si souvent. » (Idem, page 924)
Encore un boulevard, vraisemblablement… Mais toutes choses qui, sans tout le travail subséquent de Sigmund Freud, ne nous diraient rien de plus aujourd’hui qu’à lui en 1889.
NB. Pour comprendre dans quel contexte politique de fond se situe ce travail inscrit dans la problématique générale de l'amour courtois...
https://freudlacanpsy.wordpress.com/a-propos/
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