Silicon Valley Bank et Signature Bank : cinq questions sur le krach boursier latent
Un krach est une baisse brutale des prix d'une classe d'actifs à la suite d'un afflux massif d'ordres de vente. Un krach intervient souvent après l'éclatement d'une bulle spéculative, comme le krach boursier de 2001-2002 après celui de la bulle Internet. L'histoire des bourses de valeurs est jalonnée de krachs.
Ce week-end, la valeur des actions de nombreuses banques a chuté dans le monde après la banqueroute de deux plus grosses banques américaines, la Silicon Valley Bank et Signature Bank. Cette tornade qui a déjà fait des dégâts dans le monde des GAFAMs risque de produire un "effet papillon" : "Si un seul battement d'ailes d'un papillon peut avoir pour effet le déclenchement d'une tornade, alors, il en va ainsi également de tous les battements précédents et subséquents de ses ailes, comme de ceux de millions d'autres papillons, pour ne pas mentionner les activités d'innombrables créatures plus puissantes, en particulier de notre propre espèce" (Edward Lorenz, météorologue). Sauf qu'en l’occurrence, il s'agit plutôt de corbeaux que de papillons !
La nouvelle de la deuxième plus grande faillite bancaire de l'histoire des États-Unis est survenue quelques jours seulement après que le président de la réserve fédérale, Jerome Powell, ait assuré au Congrès que la situation financière des banques américaines était saine.
Il n'est pas nécessaire d'être extralucide pour comprendre que, lorsque le président américain lui-même fait tout son possible pour expliquer aux braves gens que leur argent est en sécurité, cela signifie que son gouvernement prend au sérieux le risque d'un krach financier.
Les assurances données lundi par Joseph Robinette Biden ne concernaient pas seulement les clients des deux banques en faillite ; elles portaient aussi sur des ramifications du système bancaire aux États-Unis et dans le monde.
Pour avoir une idée de la tempête qui se prépare, il faut se poser cinq questions.
1. Pourquoi Silicon Valley Bank et Signature Bank ont-elles fait faillite ?
La Silicon Valley Bank - spécialisée dans les prêts aux entreprises technologiques - a été fermée par les régulateurs américains qui ont saisi ses actifs vendredi dernier. Il s'agit de la plus grosse faillite d'une banque américaine depuis la crise financière de 2008. La banque avait tenté de lever des fonds pour combler une perte résultant de la vente d'actifs touchés par des taux d'intérêt trop élevés. La rumeur sur les turbulences en cours a amené les clients à se précipiter pour retirer des fonds, ce qui a entrainé une crise de trésorerie.
Deux jours plus tard, le dimanche 12/03/2023, les mêmes autorités ont pris le contrôle de la banque Newyorkaise Signature Bank dont de nombreux clients étaient impliqués dans la cryptomonnaie. Sans surprise d'ailleurs, car cette institution était déjà considérée comme la plus vulnérable en cas de panique bancaire (bank run).
SVB et Signature Bank étaient toutes deux spécialisées dans le secteur des technologies connectées. Elles étaient aussi toutes deux surexposées aux actifs dont la valeur était sous pression en raison de la hausse des taux d'intérêt.
2. Quelles autres banques courent le même risque ?
Les actions bancaires aux États-Unis, en Asie et en Europe ont chuté à la suite de l'effondrement de SVB et de Signature Bank, les boursicoteurs et petits épargnants, toujours frileux, s'inquiétant de l'état général du secteur bancaire. et craignant que les faillites des deux banques ne soient le signe de troubles dans d'autres secteurs du monde financier.
La plupart des banques considèrent que les risques sont réduits car elles disposent de liquidités abondantes et qu'elles réalisent des placements dans les autres secteurs bancaire en appliquant l'adage : "ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier".
Or, ces deux faillites ont mis en évidence le fait que de nombreuses banques sont plus fragiles qu'elles n'en donnent l'impression, car beaucoup sont en train de subir des pertes importantes sur leurs investissements en obligations d'état, du fait que leurs taux d'intérêt montent en flèche, ce qui fait baisser leur valeur.
Les affairistes ont pris conscience de ce phénomène ces derniers jours, et c'est l'une des raisons pour lesquelles les actions bancaires ont chuté.
3. L'argent des clients des banques est-il en sécurité ?
Le gouvernement américain garantit les dépôts bancaires inférieurs à 250 000 dollars, ce qui concerne en fait la plupart des détenteurs de comptes bancaires.
Déjà, il faut savoir que le recours aux nouvelles technologies rend absurde et inique cette limite de 250 000 $ pour l'assurance-dépôts fédérale puisque certaines entreprises se livrent à un arbitrage réglementaire en éparpillant des fonds sur un grand nombre de banques, et le système revient à les récompenser aux dépens de ceux qui ont fait confiance aux régulateurs.
Mais en plus, les clients de SVB et Signature n'étaient pas des pékins lambda : SVB s'adressait en grande partie aux entreprises technologiques en démarrage, tandis que Signature Bank était une banque d'affaires. Bon nombre des comptes de leurs clients affichaient des montants dépassant le seuil des 250 000 $.
Les mesures prises au cours du week-end par le département du Trésor, la Réserve fédérale et la Federal Insurance Deposit Corporation (FDIC) avaientpour objectif de lancer un message comme quoi même ces clients-là n'allaient pas perdre leur argent. La diffusion de la bonne nouvelle a été confiée à Biden qui a déclaré cette semaine que ces mesures devaient rassurer les Américains inquiets pour le système bancaire : "Vos dépôts seront là quand vous en aurez besoin", a-t-il dit. Seulement voilà, les actions bancaires s'effondrent un peu partout dans le monde malgré les assurances de Biden.
4. Les plans de sauvetage seront-ils financés par des fonds publics ? Les contribuables financent-ils le sauvetage ?
Les régulateurs américains ont tenté de trouver un repreneur pour SVB. Ils ont également mis en place un tout nouveau programme de prêt qui est censé permettre aux banques confrontées à des problèmes similaires d'utiliser certains de leurs actifs financiers comme moyen d'obtenir un prêt de la Réserve fédérale, la banque centrale américaine.
Pour les régulateurs, ce programme doit fonctionner comme un filet de sécurité pour s'assurer que les banques seront en mesure de répondre à tous les besoins de leurs déposants.
Mais, depuis la colère persistante provoquée par l'aide accordée à Wall Street pendant la crise financière de 2008, la question de savoir si le gouvernement renfloue une banque en difficulté reste une question politique controversée, pour ne pas dire un détonateur sensible.
Biden a déclaré lundi que la direction de toute banque reprise par la FDIC serait virée, les responsables étant tenus pour responsables. Sans doute une consolation pour le peuple américain qui craint de payer la facture : "Aucune perte ne sera supportée par les contribuables. Permettez-moi de répéter que : aucune perte ne sera supportée par le contribuable". L'argent est supposé provenir des cotisations que les banques versent au fonds d'assurance-dépôts.
Or, la réalité, c'est que la plupart des Américains sont des clients de ces banques en même temps qu'ils son contribuables. Les frais facturés aux banques seront en fin de circuit répercutés sur le consommateur. Donc, même si ce n'est pas par le biais de leurs impôts, ce sont bien les citoyens américains qui paieront la facture et nous aussi par ricochet, le dollar étant l'étalon mondial.
5. Quels secteurs sont impliqués directement ?
SVB était un prêteur crucial pour les entreprises en démarrage (les fameuses "start-up"), de sorte que son effondrement a fait craindre un impact sur de nombreuses autres industries, de la technologie climatique à la recherche médicale, et même la "big pharma".
Pour amortir le choc par un refroidissement de la surchauffe en ralentissant les mécanismes économiques, la Réserve fédérale a augmenté les taux d'intérêt. Or, le serpent se mord la queue, puisque la hausse des taux d'intérêt est déjà en partie responsable de cette crise.
Les chiffres publiés mardi ont montré une inflation annuelle américaine de 6% en février, avec une hausse des prix constante. La question est maintenant de savoir où se produira la prochaine crise causée par la hausse des taux. Certains analystes financiers spéculent même que la réserve fédérale arrêtera de relever les taux en réponse aux événements de ces derniers jours, voire commencera à les réduire.
Il n'y a ni recette, ni boussole, ni GPS pour guider les apprentis-sorciers, et il faut s'attendre à d'autres faillites bancaires.
En fait, non seulement les nouvelles technologies n'ont pas changé les fondamentaux du secteur bancaire, mais elles ont accru le risque de panique bancaire. Il est beaucoup plus facile de retirer des fonds qu'auparavant, et les rumeurs sur les médias sociaux alimentent une vague de retraits simultanés. La chute de SVB n'est pas due aux mêmes pratiques frauduleuses de prêts que celles qui ont conduit à la "crise" de 2008 et qui représentent un échec radical du système bancaire dans son rôle central de gestionnaire privé du crédit. Au contraire. L'engagement des banques dans une « transformation des liquidités » a rendu les dépôts à court terme disponibles pour des investissements à long terme. SVB avait acheté des obligations à long terme, ce qui a exposé l'institution à des risques en cas d modification rapide des courbes de rendement, ce qui s'est passé.
Curieusement, on ne trouve plus de libertariens dans les couloirs du Capitole et de la Maison Blanche. Les aficionados de la déréglementation sont soudainement devenus les champions d'un renflouement gouvernemental de la SVB , tout comme les financiers et les décideurs politiques qui avaient concocté la déréglementation qui a conduit à la crise de 2008 ont appelé à renflouer ceux qui l'ont provoquée.
La réponse est aujourd'hui la même qu'il y a 15 ans. Les actionnaires et obligataires, qui ont bénéficié du comportement à risques de l'entreprise, devraient en supporter les conséquences. Mais non ! Les déposants de SVB devraient être indemnisés, que ce soit au-dessus ou en dessous du montant « assuré » de 250 000 $.
Il faut surtout que le grand public continue à croire à l'adage "too big to fall" et soit convaincu que son argent est protégé quand il le place dans les banques « trop grandes pour faire faillite ». Mais il ne suffit pas de prier pour croire, et encore moins de croire pour que les désirs deviennent réalités.
SVB représente plus que la faillite d'une seule banque. Elle est emblématique des défaillances profondes dans la conduite de la politique monétaire. Comme la crise de 2008, elle était prévisible.
Plus de 100 ans se sont écoulés depuis la panique de 1907, qui a conduit à la création du système de la réserve fédérale aux États-Unis, mais les nouvelles technologies ont emballé les mécanismes classiques et rendu obsolète le mode d'emploi, les robots comptant plus vite que les fonctionnaires. Keynes va tomber de son piédestal.
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