Siwan, fusion des temps
ECM a le chic. Le chic de mêler rencontres improbables et exigence. A priori, rien ne prédestine à entendre un clavecin et un théorbe joués avec une trompette électro-jazz, saupoudrant leurs notes afin de se marier le plus parfaitement possible avec la voix d’un chant arabo-andalou. Et pourtant Jon Balke l’a fait. Le pianiste norvégien a voulu mélanger les musiques pré-baroques de l’Andalousie médiévale, du classique italien avec la rigueur de ses compositions jazz progressistes.

Une approche minutieuse permet de comprendre le titre énigmatique de l’album. Siwan signifie Équilibre dans un langage appellé Aljamiado, langue mi-romane, mi-arabe que l’on parlait dans l’Andalousie médiévale où juifs, chrétiens et musulmans savaient vivre ensemble. Des temps de paix que l’inquisition a savamment détruit.
Place à la musique. Dès la première écoute se révèle, au-delà de l’évidente beauté, une faiblesse pour certains, une caractéristique inévitable pour d’autres : ce projet est une fusion de musiques savantes. C’est une musique ardue, difficile d’accès pour le béotien qui aura souvent des difficultés à entrer dans des univers musicaux virtuoses certes, mais qui demandent chacun séparément un minimum de maturité afin d’en saisir toutes les essences. Et quand bien même l’amateur lambda viendrait à apprécier de bout en bout cet album, il manquera ce petit supplément d’âme qu’apporte la connaissance et la maitrise des styles susmentionnés. Je me rangerai donc dans la deuxième catégorie.
Ce qui ne signifie pas qu’il faut être fataliste. Au contraire, ce genre de projets aura toute sa raison d’être en concert, moment où l’on peut voir ce que l’on entend, où la communication des musiciens dépassent toutes les barrières pour faire triompher l’essentiel et les émotions.

La fin est peut-être la meilleure. A la dina dana utilise un thème instrumental médiéval proche des Cantigas de Santa Maria sur lequel l’ensemble à cordes improvise dans un style totalement baroque. Après un dialogue entre la trompette et le violon arabe, c’est au tour de Ayshyin Raïqin de nous surprendre. Sur quelques accords typiquement 17ème siècle italien égrénés au théorbe, le chant andalou d’Amina Alaoui surgit comme une lumière et donne à voyager. Jamais une fusion n’aura été aussi convaincante.
On croit l’alchimie atteindre son paroxysme. Mais dans un dernier souffle, des élans de spontanéité font irruption. Les protagonistes se libèrent. Les deux derniers morceaux sont la synthèse parfaite de tout le projet, un grain de folie en plus dans la conclusion de Toda Ciencia Transcendiendo, après la dizaine de minutes de couplets lancinants mais non moins rêveurs.
La boucle est bouclée. Siwan demande à être réécouté pour en saisir tous les détails. Au final, c’est bien d’équilibre qu’il s’agit. Les interactions entre les musiciens et les époques se font dans la finesse. C’est un folklore arabisant onirique qui puise sa force dans une cohérence et une excellence recherchées du début à la fin.
Il faudra éviter de tomber dans le piège de la promotion des idées bien-pensantes - multiculturalisme, rapprochement des peuples, paix partout dans le monde - comme chaque fois qu’une fusion orient-occident voit le jour. Si les cultures ont peut-être peu de mal à se rencontrer et à porter très haut l’entente et la communication musicales, il ne faut pas oublier que ce n’est qu’un sentimentalisme de plus. Le politique et la culture doivent être séparés car ils ne se fondent pas dans la même essence : l’un est fondamentalement réaliste, voire cynique, l’autre est idéaliste.

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