L’autre jour, chez le kiné (je ne vous l’ai pas dit mais je me suis foutu au yoga et du coup j’ai eu besoin qu’un homme de l’art me remette quelques tendons, os et articulations à la place qui est normalement la leur), j’étais en salle d’attente, vaguement vautré de travers sur un fauteuil afin de soulager une ribambelle de vertèbres déplacées, et pour passer le temps, j’ai chopé au hasard une revue sur la table basse (très basse). C’était le journal « Alternatives Economiques »… Bon… Ça me changerait du Paris Match et autres Figaro Magazine habituellement proposés dans ce genre d’endroit. J’ai ouvert le truc un peu au hasard et me suis mis à lire.
C’était un article qui parlait des « budgets de références analysés et expliqués par l’ONPES ». J’en étais à la première ligne et déjà, je n’avais pas compris « budget de référence » et je n’avais pas la moindre foutue idée de ce que pouvait être l’ONPES. Sur le coup, j’ai pensé que c’était une analyse budgétaire de l’émission On N’est Pas Couché mais il manquait un C et il y avait un E et un S en trop. Intrigué, j’ai continué ma lecture.
Ce billet est donc écrit pour vous faire profiter de ce que j’y ai appris, c’est mon côté « partageur collectiviste ». Au bout de quelques lignes j’ai capté pour commencer qu’en fait, je n’y trouverais pas Laurent Ruquier ni un résumé de ses dernières émissions. Tant pis, j’irai acheter Closer dès que je marcherai à nouveau et que ma tête ne sera plus penchée à 45 °. Le yoga, c’est quand même un peu surfait.
L’ONPES, c’est l’Observatoire National de la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale. C’est une institution gouvernementale créée par la loi d’orientation n° 98-657 du 29 juillet 1998, c’est vous dire si ça ne rigole pas et qui est donc chargée de rassembler toutes les études faites dans le domaine de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion dans notre beau pays.
Je me suis dit que ça partait d’une bonne intention et je suis donc passé à la suite c'est-à-dire au « Budget de référence ».
J’ai compris au bout de vingt lignes que celui-ci, à l’aide de savants calculs effectués à partir de diverses remontées chiffrées venues d’institutions, d’experts, d’associations, de sondages, de relevés, de constats sur le territoire Français, détermine le « Revenu Minimum Adéquat », c'est-à-dire les besoins minimums de tout citoyen Français afin que celui-ci, je cite :
« participe effectivement à la vie sociale ».
J’avais d’abord lu « affectivement » et je me suis demandé une seconde à quoi pouvait bien servir un rapport sur les bisous. Mais non, en fait c’était bien « effectivement » (après le kiné, j’ai RV chez l’ophtalmo).
Autrement dit et là, je cite encore : « les besoins qui définissent le panier de biens et services utiles à la construction de ce budget ». Comme j’ai dû relire sept fois la phrase et les mots autour, je vous la fait courte : c’est ce qu’il faut à minima à n’importe quel Français pour budgétiser ses dépenses sans être à découvert le 8 du mois.
Ces dépenses, ce sont en vrac : alimentation, logement, soins et hygiène corporelle, transports, vacances, énergies (eau, gaz, électricité, essence), habillement, activités culturelles et sportives et quelques autres trucs à la marge. En bref, tout ce qu’un salaire devrait permettre d’assurer dans la vie quotidienne d’un citoyen lambda pendant un mois sans avoir à se priver d’un ou plusieurs postes énumérés plus haut voire à ce qu’il lui reste quelques menues piécettes en rab s’il veut offrir des fleurs à son amoureuse ou à une inconnue dans la rue mais ça, il me semble que c’est l’effet Impulse.
Et c’est là où l’article est rigolo, c’est qu’il donne une évaluation chiffrée du fait de se nourrir, de se loger, de se chauffer, d’acheter des vêtements, d’aller à un point à un autre en voiture, train et/ou désormais trottinette, se faire un ciné dans le mois, élever ses enfants, aujourd’hui, dans notre beau pays startupisé. Je mets cette évaluation, là… juste en-dessous, afin que vous aussi puissiez en profiter :
1600 euros net...
Attendez, je le réécris pour que tout le monde comprenne bien : 1600 euros net
Je l’ai précisé plus haut mais je préfère y revenir pour que ce soit bien clair, ce chiffre n’est pas issu d’un fantasme de l’Internationale Bolchevique ni d’un rêve utopique style Coluche ou l’Abbé Pierre. Ce n’est pas non plus ce que les médias macronistes appellent les invectives d’un Mélenchon énervé pas plus qu’un oukase confiscatoire d’un Besancenot mais bien d’un organisme gouvernemental et d’une évaluation budgétaire à minima.
Quand j’aurai écrit que le SMIC, aujourd’hui, est à 1300 euros net, cela signifie qu’en début d’année, il manquera aux smicards, malgré leur contribution à la productivité nationale et à la richesse de ce pays, 300 euros pour vivre sans avoir envie de se pendre à partir du 15 du mois. Quand dans le même temps le panier de la ménagère de plus de 50 milliards aura vu sa fortune gonfler d’à peu près 20 %. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est l’ONPES, c'est-à-dire une institution du gouvernement auquel appartient Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
Là où je voulais en venir, c’est que Macron et ses sbires n’ignorent pas la conclusion de rapport. Ils n’ignorent pas non plus que personne ne peut vivre normalement avec 1300 euros dans un pays où ils disent eux-mêmes, à travers un de leurs organismes, qu’il en faut 1600 pour vivre à peu près dignement. Ils sont parfaitement au courant mais ils s’en cognent…
Ils s’en cognent parce que ce n’est pas leur problème. Parce que cette situation scandaleuse au niveau social, économique et humain, fait entrer des milliards d’agios dans les caisses des banques. Parce que cela fait marcher le crédit, toujours par milliards et toujours chez les banques et que les vieux parents à la retraite vont sortir leur bas de laine qui dormait (les banques n’aiment pas l’argent qui dort), pour aider leurs enfants. Parce que cela contribue à un semblant de paix sociale basée sur le surendettement, la peur de perdre son emploi, cette « charité » du Patronat et donc à la résignation, à la désyndicalisation, à la renonciation, à la tête et aux bras baissés, à l’humiliation quotidienne de l’individu que l’on a privé de la force du collectif.
Cette « paix sociale », pendant des décennies a été à ce prix. Un prix uniquement assumé par les classes moyennes et les petites classes. Une paix sociale exigée par la haute bourgeoise, par les patrons du CAC 40, par les financiers, par les banquiers, par les actionnaires. Une paix sociale que George Orwell aurait associée en novlangue à « guerre de classe ».
C’est cette guerre de classe déclarée par les riches qui, à force de morgue, de mépris, d’injustices sociales, d’iniquité devant l’impôt et de pauvreté généralisée, a foutu les Gilets Jaunes, les infirmières et d’autres désormais depuis l'affaire Pouyanné/TOTAL, dans la rue.
Nul ne sait où cela va nous mener dans les prochains jours. Ce qui est sûr, c’est que les responsables de cette quasi insurrection, de cette révolte, de cette rage et de cette colère sont dans les palais de la République. Une République dont la devise est pourtant : Liberté, Égalité, Fraternité.
Il va vraiment falloir le leur répéter…
Jusqu’à ce qu’ils le comprennent.
Tiens, je le remets là : 1600 net