SNCF et repentance : la colère d’un petit-fils de juifs déportés de France !
Le président de la SNCF Guillaume Pepy a entendu faire acte de repentance en reconnaissant mardi 25 janvier à Bobigny (Seine-Saint-Denis), de l’endroit hautement symbolique d’où sont partis les juifs déportés de France, que son entreprise, bien que ’’contrainte, réquisitionnée’’, fut ’’un rouage de la machine nazie d’extermination’’. « Chercher l’erreur ! » serait-on tenté de lâcher, si la chose n’était pas si grave, derrière cette déclaration dont les termes ambigus reflètent une sorte de malaise propre à l’esprit d’un « pardon » dont on s’interroge sur le sens et l’opportunité.
Une démarche qui force l’histoire en lui donnant des allures de mauvaise conscience pour la France, rejaillissant sur les Français qui s’identifient à cette entreprise publique de renom. Car ce dont il s’agit ici, c’est bien d’une certaine façon de l’honneur, non seulement de la SNCF, mais de la France, qu’on entache une fois de plus. Pourtant, il n’y a rien de plus faux que l’accusation portée, à travers cette déclaration publique, envers la SNCF, rien de plus absurde, de plus historiquement anachronique. On appelle cela en histoire, un contresens.
Un coup de couteau dans le dos de l’entreprise publique comme de la France
Au lendemain de cet événement, les journaux en retiennent l’idée principale résumée dans ce titre de l’article que DIRECTMATIN lui consacre : « La SNCF, « Rouage de la machine nazie ». Comment ne pas être horrifié par ce raccourci au jugement sans appel, sans même que la SNCF ne puisse se défendre alors que précisément devant la justice, la demande de sa condamnation à ce titre a été déboutée.
Cette déclaration fait l’effet d’un un coup de couteau dans le dos de l’entreprise publique, et par procuration de l’Etat de la France, de la nation elle-même en regard de ses valeurs touchées de plein de fouet. Dans le droit fil de ceux qui passent leur temps à vouloir voir une France « collabo » plutôt que résistante, voire uniquement à travers les excès de l’épuration, pour mieux appliquer l’adage, « tous responsables, tous coupables », il n’est pas difficile de voir l’intention qui préside à cette démarche : coller à un climat délétère envers la France mise en accusation et en situation de rendre des comptes pour tout et n’importe quoi, à travers une repentance générale qui, au lieu de situer les responsabilités politiques de la collaboration ou ailleurs du colonialisme, invite le peuple de France à faire pénitence, à se cacher, à se démettre.
La prime à cette bonne conscience est prise sur une insulte faite à la France, à son peuple, aux valeurs de service public et à l’histoire. On retrouve ici des relents de bouc-émissaire qu’on aurait pensé venir de partout, sauf de là ! Cette reculade devant des réclamations communautaires faites au nom d’une souffrance venue du passée que rien ne comblera, encourage à se tromper de colère, d’histoire. C’est bien ce que l’on peut reprocher à Jacques Celiset, président de l'association Fonds Mémoire d'Auschwitz qui explique : « Nous sommes satisfaits (…) Le combat que nous menons depuis plus de quinze ans trouve enfin une concrétisation.
Le Président de la SNCF n’y est pas allé, il faut le dire, de main morte dans son mea maxima culpa qui déconsidère la SNCF tout en le faisant apparaître comme un homme courageux, pour un peu ainsi même comme un héros : « Elle a pris part à cette mécanique de l’inhumain » dit-il, justifiant à la suite cette tirade mortifère au goût de cendres ainsi « Je veux dire aujourd’hui la profonde douleur et les regrets de la SNCF pour les conséquences des actes de la SNCF de l’époque. En son nom, je m’incline devant les victimes, les survivants, les enfants de déportés, et la souffrance qui vit encore. »
Il faut retenir ces mots au dommage irréparable dont se paye son costume de grand chambellan de la repentance ce Président de la SNCF, comme le parfait exemple de ces relectures historiques opportunes qui jouent sur les ressentiments pour apparaître fallacieusement comme le bien après le mal. Cette attaque atteint nos valeurs collectives et fait voler en éclats de nouveaux repères collectifs, pour diviser ceux qui devraient s’unir autour de cette France dont les acquis issus du Conseil National de la Résistance, qui en 1945 réunirent toute la France, sont aujourd’hui gravement menacés.
Alors que l’honneur de la SNCF fut bafoué par l’occupant nazi la dépouillant de son sens, de sa vocation nationale s’identifiant avec l’intérêt général, on la met sur le banc des accusés de l’histoire en la déshonorant. Ce à quoi nous venons d’assister est une véritable trahison en regard des faits qui ont constitué cette histoire, une perversion de la mémoire et un cadeau empoisonné fait aux déportés juifs de France, à ceux qui portent par delà les générations leur mémoire, dont on trompe ici gravement la vigilance.
Accuser la SNCF, en tant que telle, relève d’une scandaleuse manipulation de l’histoire !
Dans la période aux faits en référence, l’Etat était confisqué par l’occupant nazi et dirigé par une équipe qui en était complice. Les principaux acteurs de ces faits, après la victoire sur le fascisme, furent jugés et lourdement condamnés jusqu’à la peine de mort, bien qu’un nombre incertains de ses rouages passèrent entre les mailles du filet. La République pendant cette période avait été mise entre parenthèse et les membres du gouvernement choisis (avec des dirigeants de la SNCF remplacés), dans un contexte qui était celui de la livraison de la France à l’ennemi et en dehors de toute élection libre, les partis étant interdits et leurs militants pourchassées. Comment prétendre dans ces conditions où la SNCF n’était plus elle-même et aurait pu parfaitement être rebaptisée, « Chemin de fer français du IIIe Reich », qu’elle puisse avoir une responsabilité quelconque en tant que telle, c’est-à-dire comme symbole des conquêtes sociales qui avaient avant guerre abouti à la création de cette première entreprise publique de la République !
Dans le contexte du Front populaire et des premiers confès payés, en 1937 naît la SNCF comme société anonyme mixte régie par le code du commerce. L'objet de la société est l'exploitation du réseau qui est propriété de l'État et dont la SNCF est concessionnaire, ainsi que la construction de nouvelles lignes. L’Etat se veut majoritaire dans l’entreprise en en détenant déjà 51% des parts. Elle embrasse une vocation au service de la nation en unifiant le réseau ferré qui lui donne d’emblée un rôle d’intérêt général pour s’imposer aux « seigneurs du rail ». Elle embauche 80.000 cheminots !
Dès la signature de l'armistice franco-allemand du 22 juin 1940, l'occupant réquisitionne des matériels entre locomotives et wagons par milliers qu’il met immédiatement au service de la répression, particulièrement antijuive et anticommuniste. En application de l'article 13 de la convention d'armistice, les chemins de fer de la zone occupée (soit les deux tiers du réseau de la SNCF) et le « personnel spécialisé nécessaire » sont mis à la disposition de l'occupant, qui donne ses priorités, comme il en sera d’ailleurs pour les routes et voies navigables. En juillet 1940, Goeritz, le Colonel Commandant de la WVD (Wehrmachtverkehrsdirektion, direction des transports de la Wehrmacht) adresse une lettre au directeur général de la SNCF rappelant, entre autres, que : « Tous les fonctionnaires, agents et ouvriers de la S.N.C.F. sont soumis aux lois de guerre allemandes. » Autrement dit, en cas de résistance aux ordres c’est la peine de mort sinon la déportation ou les travaux forcés.
Le premier président de la SNCF, Pierre Guinand, est démis de ses fonctions dès septembre 1940 par le gouvernement de Vichy et remplacé. Robert Le Besnerais qui en fut le premier directeur général resta en fonction jusqu'en 1945. Il fut exclu de la SNCF par mise en retraite anticipée dans le cadre des mesures d'épuration qui furent finalement à son endroit très modérées. Mais surtout, dans ce contexte de soumission aux nazis, la SNCF est elle-même occupée : 6500 cheminots de la Deutsche Reichsbahn (littéralement le « Chemin de fer de l'Empire allemand ») avaient été détachés dès 1940, dont on ne cessa de renforcer les effectifs dans le cadre de la politique de collaboration.
C’est lors de la rafle du Vel d'Hiv, les 16 et 17 juillet 1942, que les moyens entrent en action massivement. Les juifs sont arrêtés puis déportés par les autorités françaises dans des trains pris à la SNCF vers les camps de Drancy, Pithiviers et Beaune-la-Rolande. Ils seront 76000 environ a connaître ce sort et 86000 pour les déportés politiques
Le 31 octobre 1942, un conducteur de locomotive, Léon Bronchart, refuse de conduire un train de Juifs vers la déportation. 8.938 cheminots ont été tués sous l'Occupation, 15.977 blessés pour faits de résistance, 2.480 déportés vers les camps de la mort essentiellement pour faits de résistance ou de sabotage dont 1.157 n’en sont pas revenus.
La direction des services de l’armistice a recensé, pour la période allant de janvier 1942 à juillet 1944, 13 998 attentats et sabotages dirigés contre les occupants. Parmi eux, 43 % visaient les moyens de communication, dont essentiellement les équipements ferroviaires. (Dictionnaire historique de la Résistance, Robert Laffont, 2006, p. 693).
Le Conseil d’Etat avait rejeté toute idée de responsabilité juridique de la SNCF, accablant a contrario les autorités politiques de Vichy.
Le chef-d’œuvre de René Clément, « La bataille du rail », film consacré à la gloire des cheminots de France n’a rien d’une œuvre partisane ni d’un mythe, mais porte témoignage de l’un de ces actes qui ont fait la beauté de l’homme dans ce qu’il a de plus noble, tournant le dos à cette révision inique de l’histoire de la SNCF à laquelle s’est prêté sous différentes influences et intérêts, son président actuel.
Selon son ancien président, Louis Gallois, tel qu’il l’exprimait il y a quelques années à propos d’une plainte déposée contre la SNCF pour complicité de « crime contre l’humanité » par la famille Lipietz (Alain Lipietz est député vert) concernée par la déportation, qui n’avait pas été retenue par le tribunal : « le devoir de mémoire ne doit pas être un devoir de repentance pour des actions pilotées et commanditées par l'armée d'occupation allemande »
Nombre d'historiens à la suite ont condamné l’initiative de ce député, affirmant, dans le même état d’esprit, qu'il ne faut pas confondre « devoir de mémoire » et judiciarisation de l'histoire. Attaquer ainsi la SNCF, comme en fait la remarque Serge Klarsfeld, « C’est diluer les responsabilités. Ceux qui sont responsables ce sont les Préfets et au-dessus d’eux (…) Pétain, Laval et Bousquet… » et ceux qui les ont aidés à agir dont certains hauts-fonctionnaires zélés de l’Administration aux ordres. Trop d’entre ces derniers sont restés impunis, comme les fidèles chiens de garde des élites et des possédants qui avaient trahi et qui n’ont pas eu, pour l’essentiel, au lendemain de la guerre à en pâtir, comme en témoigne trop bien le parcours d’un Papon.
Tout est faux dans cet éloge de la repentance, qui instrumentalise une mémoire douloureuse et vend notre honneur au plus offrant.
Le journal Libération a eu l’outrecuidance d’appeler cette opprobre ignoble « L’hommage de la SNCF aux déportés » bien dans sa tradition de maître en repentance et de tribunal de l’histoire tourné contre la France. A ceux de ma famille qui, de Drancy sont partis pour Auschwitz, cet aller vers l’enfer sans retour, jusqu’à cet arrière grand-père mourant que les nazis sont allés chercher sur son lit d’hôpital pour l’y emmener sans état d’âme, la meilleure façon de leur rendre hommage, c’est d’alerter contre ces errements pour ne laisser personne autant que possible s’égarer sur ces faux chemins de l’histoire. « La SNCF n'a pas essayé de cacher les zones d'ombre de son histoire, nous sommes satisfaits », confie Jacques Celiset, président de l'association Fonds Mémoire d'Auschwitz : « Le combat que nous menons depuis plus de quinze ans trouve enfin une concrétisation »
Ce dont il est question, c’est de garder le regard clair sur le passé et leur destin, pour ne jamais faire que, à se tromper de combat, on favorise les mêmes ennemis tragiques d’hier. Préserver toute la valeur de témoignage au parcours des miens prématurément disparus qui me restent si chers, et dont la douleur de les avoir perdu jamais éteinte d’une famille m’a transmis la flamme, passe par un rejet sans concession de ces manœuvres de bas étage qui par la confusion qu’elles créent font livraison à l’ennemi de leur mémoire, comme à celle de tous les déportés de France !
Ceux qui se livrent, avec ce genre de falsification de l’histoire, à ce jeu qui consiste par son entremise à faire de la morale et ce, pour des causes qui n’ont en général rien à voir avec elle, feraient bien de se méfier, car elle a ses retours de bâtons et parfois implacables. Il restera de ce Président de la SNCF une "drôle" d’image, celle du cadeau de son entreprise, par cette révision de l’histoire, à titre posthume au nazisme avec lequel elle est mise en amalgame, au lieu de la défendre comme une entreprise liée au destin de notre République qui n’a cessé d’être de bien public !
Outre-Atlantique, on demande depuis longtemps à coups de procès une indemnisation au titre de l’utilisation pour la déportation par les nazis de la SNCF, sous la pression d’un lobby puissant qui met en œuvre tous les moyens pour arriver à ses fins. Plus, on suggère que des projets français d’aménagement du réseau de train à grande vitesse aux Etats-Unis aient plaidé en faveur de cette cause, qui auraient donc eu un rôle dans cette repentance soudaine, mise en scène de haute main. On serait tenté de penser encore une fois, en suivant ces informations, que rien de résiste, relativement à la faible volonté de certains, à la loi du marché et de l’argent faisant office de morale dont le principe est de nous la faire perdre.
Décidément, la France républicaine, libre, laïque, sociale et démocratique mérite bien mieux que ces insultes faites à sa mémoire et cette mauvaise conscience qu’on veut lui induire pour la faire reculer et se rejeter elle-même, pour mieux pouvoir en prendre possession et en faire ce que l’on veut, pour qu’on en finisse avec ce qu’elle représente comme modèle de progrès dont la SNCF a été historiquement le symbole d’un grand pas en avant dans le sillon du Front populaire et du droit aux vacances pour les salariés.
On s’émancipe en tirant les enseignements de l’expérience, tout le contraire de la repentance.
Le ressentiment envers le passé conduit à la demande criante et impérieuse du pardon qui ne liquide aucun compte avec l’histoire, fut-elle la plus tragique. Le pardon ne règle rien sur le fond, seul vaut ce qui doit permettre que jamais cela ne se reproduise. C’est en tirant les enseignements de l’expérience à travers une prise de conscience collective de portée universelle, faisant en grand son entrée dans l’éducation et la mémoire, que l’on peut espérer y parvenir. C’est dans cette démarche positive, qui poursuit des buts humanistes, que peut trouver réellement à s’apaiser la douleur et commencer à se panser les plaies.
C’est en sachant dépasser les contradictions auxquelles l’homme s’affronte, sur le chemin parfois tortueux de son émancipation, en tirant profit des mésaventures tragiques de l’histoire où se fourvoient ses facultés parfois jusqu’à détruire et exterminer au lieu de défendre la vie et l’humanité, qu’il va à sa propre rencontre. Il y a des pulsions dangereuses de l’homme pour l’homme qu’il s’agit de dépasser tous ensemble comme nous avons su le faire avec cette histoire, au même titre aujourd’hui que le totalitarisme politique ou religieux encore nous en défient.
Les capacités incommensurables de l’homme, pleines d’espoir pour l’avenir, sont prises dans cette alternative, entre leur pouvoir de nous porter au nu ou celui de nous détruire. Sachons faire ensemble le juste choix pour ceux d’hier comme pour ceux qui viendront après, celui de la vigilance à l’opposé de la repentance, en toute conscience humaine.
Sources : Dictionnaire historique de la Résistance, Robert Laffont ; Dictionnaire commenté de la collaboration française, Philippe Randa, Jean Picollec, 1997 ; Wikipédia : Histoire de la SNCF ; Histoire de la France contemporaine – Tomes V et VI, Editions Sociales, 1979 ; Chiffres sur la résistance des cheminots : Syndicat CGT ; Site, « Histoire, Actualité du Droit », article « Les excuses marchandes de la SNCF ; « Il y a 70 ans, l’épopée du Front populaire et des premiers congés payés », article, par Guylain Chevrier, accessible entre autres sur le site du Parti de gauche de Midi-Pyrénées.
Guylain Chevrier, petit-fils d’une famille juive déportée de France et historien.
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