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Accueil du site > Tribune Libre > Social et développement durable : chronique d’un désordre annoncé (...)

Social et développement durable : chronique d’un désordre annoncé ?

Tempêtes, cyclones, sécheresses à répétition ! Que de violences climatiques programmées et de perturbations annoncées. Peut-être dans dix ans, sans doute dans vingt ans. Plus sûrement dans cinquante ans. A l’échelle de l’histoire de la planète, c’est demain.

Le climat, peu à peu se disloque, la cause est entendue. Peu de scientifiques, aujourd’hui, oseraient prétendre le contraire. L’excellent hors-série de Courrier international disponible ces jours-ci en kiosque, « Trop chaud », ainsi que le documentaire présenté par Al Gore sur le réchauffement climatique, « Une vérité qui dérange », sont là pour nous le rappeler.

Et si ces dérèglements touchaient aussi l’organisation de nos nations, à commencer par la cohésion sociale ? Là encore les signes ne manquent pas : conflits sociaux, contestations syndicales, remise en cause de la mondialisation. Sans compter les inégalités qui, malgré des politiques volontaristes et le souci de les corriger, vont en s’accroissant. Certains vont jusqu’à imaginer que la planète sociale pourrait subir les mêmes dérèglements que la planète climatique ! A voir...

La réduction des inégalités en panne
Il n’est pas interdit de penser que la grande affaire des démocraties est de travailler à la réduction des inégalités. Depuis Platon, on n’a de cesse de brandir cette cause comme un étendard politique. Après tout, la vitalité de la démocratie ne se mesurerait-elle pas à sa capacité à réduire les inégalités entre les hommes ?

Si chacun est convaincu du bien-fondé de ce principe, force est de constater que depuis quelques années on perçoit une insécurité sociale, qui, pour une large part, se nourrit du sentiment que les inégalités se creusent. Il suffit de se rappeler comment ont prospéré des slogans comme la « fracture sociale » ou la « panne de l’ascenseur social ». Les mots ne sont pas loin ici de refléter la réalité.

Souvenons-nous des Trente Glorieuses, ces trente années de croissance ininterrompue entre 1945 et 1975 ; ces trente ans qui ont permis à une génération d’accéder à un niveau de vie jamais atteint jusqu’alors. Comme le rappelle justement Denis Clerc, économiste et fondateur de la revue Alternatives économiques, on pouvait alors imaginer que c’était la fin de la pauvreté dans nos sociétés.

Le rêve a connu un arrêt brutal, douloureux, que l’on peut situer aux environs du premier choc pétrolier (1975). Soudain les mots chômage, exclusion, crise sont devenus peu ou prou l’horizon de notre univers quotidien.

Et si les Trente Glorieuses n’avaient été qu’une parenthèse ? En effet, voici près de trente ans que le chômage s’est installé et qu’il caracole bien au-delà de cette fameuse crête des deux millions de chômeurs. Entre-temps, tout a été mis en place pour amoindrir le choc, comme si quelques ersatz peu coûteux permettaient de se donner bonne conscience à moindre frais. On pense notamment au revenu minimum d’insertion qui s’est installé sans doute définitivement dans le paysage français.

C’est quoi, le bonheur ?
On connaît tous les indicateurs économiques traditionnels comme le PIB, censés mesurer la richesse d’un Etat, mais aussi sa progression d’une année à l’autre. Ce fameux taux de croissance qui donne des sueurs froides à nos gouvernements dès qu’il s’affaisse en dessous du seuil de 1 %, et qui les fait trépigner d’extase lorsqu’il dépasse les 2,5 %.

Dictature du taux de croissance ! Difficile de qualifier autrement l’omniprésence de ce taux dans le débat public. Jusqu’aux syndicalistes qui le prennent en référence pour bâtir la pertinence de leurs revendications salariales.

Mais si, finalement, ce taux de croissance n’était qu’un leurre, qu’une manière imparfaite de mesurer la richesse véritable d’un pays ? Après tout, qu’est-ce qui permet de mesurer le bonheur véritable des habitants d’un Etat ?

Denis Clerc rappelle aussi cette évidence. Le PIB (produit intérieur brut) des États-Unis est supérieur de 30 % à celui de la Suède. Pourtant si l’on s’en tient à d’autres indicateurs, chacun d’entre nous préfère de loin le modèle suédois au modèle américain, notamment si l’on raisonne en termes de protection sociale, de qualité de la vie ou de qualité du système éducatif. Il est clair que le PIB n’est pas nécessairement le meilleur moyen de mesurer le bonheur d’un peuple !

Des indicateurs différents sont régulièrement imaginés par les spécialistes. Ils partent du principe que le PIB nous renvoie une vision tronquée de la société. Le dernier en date a été créé par deux chercheurs belges de l’Institut pour un développement durable. Selon eux, la croissance économique n’est plus une condition suffisante pour garantir le progrès social. Il n’est que temps ! Si les indicateurs à vocation sociale ont été très en vogue tout au long des années quatre-vingt, ils ont plus ou moins sombré dans l’oubli depuis.

Mais il ne faut pas ici se bercer dans l’optimisme. Ces indicateurs ne sont que très rarement repris par les Etats et les gouvernements. Pour l’heure ils ne constituent que d’agréables sujets de discussion entre initiés.

L’influence altermondialiste
Lorsqu’on examine à la loupe les mouvements altermondialistes, ce courant de pensée qui se développe à travers la notion de développement durable, on se rend compte qu’il ne se résume pas à une seule et réductrice dimension environnementale. Au contraire, la réflexion dépasse largement ce domaine pour en investir d’autres comme les relations internationales, la politique, le social, la culture, etc. C’est d’ailleurs tout ce qui constitue la richesse de cette nébuleuse qui semble brouillonne - évidemment de manière trompeuse - à une partie du public.

La dimension sociale est ici largement présente. Comme l’indique Anne-Marie Ducroux (présidente du Conseil national du développement durable), « pour beaucoup le développement durable devrait poser les bases d’un nouveau contrat social ». Il est vrai que le consommateur de demain, s’il intègre la dimension du développement durable dans ses modes de vie, devrait logiquement, sûrement plus qu’aujourd’hui, devenir un consommateur-citoyen. La prise en compte du développement durable devrait permettre à chacun de ne plus être ce consommateur passif qui subit. Le développement durable incite en effet à devenir plus actif. Les altermondialistes ne s’y trompent pas, en pointant du doigt les dysfonctionnements de nos sociétés.

La dictature de l’économie
C’est un fait acquis, comme une antienne sans cesse énoncée : aucun grain de sable ne doit gripper l’efficacité de la machine économique. En clair, on veut gommer tout ce qui nuit à la compétitivité.

Il faut réduire la fiscalité, supprimer les freins au licenciement, libérer le monde de ses carcans administratifs, enlever toute entrave à la compétitivité des entreprises. Jusque-là, le discours s’en était tenu à l’univers économique.

Mais on n’hésite pas à aller plus loin ! Pourquoi ne pas aussi passer au filtre de l’efficience nos systèmes juridiques ? C’est le rapport de la Banque mondiale « Doing Business 2004 » qui a ainsi commencé à constater la moindre performance de notre système judiciaire français. Il serait lourd et générateur de coûts pour les entreprises. Bref, il nuirait gravement à la compétitivité. Le rapport préconise même aux pays en voie de développement de ne pas choisir notre vieux système juridique, d’inspiration latine, mais au contraire de s’inspirer des systèmes de Common Law anglo-saxons, réputés plus performants pour l’activité économique.

Le rapport avec le social ? Il n’est pas si éloigné. On le sait bien, le droit est parfois le dernier rempart permettant d’endiguer les atteintes à la dignité des hommes dans de nombreuses parties du monde. Créateur de normes, de systèmes de protection, son autonomie - parfois relative - est le gage que le droit n’est pas inféodé à d’autres considérations, économiques notamment.

En filigrane de ce rapport de la Banque mondiale, on voit poindre l’idée, assez inquiétante, que le droit est un frein à l’efficacité économique. A quand un monde sans norme et sans règle ?

La montée en puissance de l’économie sociale
Heureusement, il y a des signes positifs. De plus en plus, l’économie sociale apparaît comme un véritable modèle économique. C’est ainsi qu’émerge un nouveau type de chef d’entreprise : l’entrepreneur social.

On peut ainsi donner une définition de l’entrepreneur social : « Toute personne ou groupe de personnes qui crée, dirige, développe ou reprend une entreprise ou une organisation ayant une viabilité économique et qui met au cœur de son projet la prise en compte de la fragilité humaine et/ou du lien social ».

Les entreprises appartenant au secteur social ont pour objectif de faire travailler celles et ceux qui se trouvent en dehors des circuits classiques du monde du travail : handicapés, chômeurs de longue durée, marginaux.

Comme l’indique Thierry Jeantet, le président du Centre des jeunes dirigeants de l’économie sociale : « On ne gère pas de la même façon une entreprise dont les actionnaires demandent une rémunération et une autre où les sociétaires ont des exigences sociales. »

On ne peut que penser du bien de cette économie sociale, sauf qu’elle entraîne deux types de problèmes. Le premier, c’est la concurrence « déloyale » qu’elle peut provoquer à l’égard des secteurs de l’économie traditionnelle. Le second problème tient à la définition même de l’économie sociale. Economie sociale, oui, mais dans la mesure où elle n’est qu’une passerelle permettant à ceux qui y sont employés de s’insérer ensuite dans les secteurs traditionnels.

On notera que depuis quelques années, certains cursus s’adaptent à ces nouvelles attentes du marché. L’ESSEC en particulier a installé une chaire spécialisée. Destinée à des étudiants de seconde et troisième années, elle offre des cours d’entreprenariat social, entreprise et développement durable, etc. Inhabituel, pour une école supérieure de commerce !

L’ESSEC n’est pas la seule à s’engouffrer dans cette nouvelle voie. HEC, l’Université Paris IX-Dauphine, le CERAM Sophia Antipolis proposent des troisièmes cycles dédiés au développement durable.

Une nouvelle ambition citoyenne
Peu à peu, dans le vacarme des organisations altermondialistes, dans le bruit apparent des forums sociaux, émerge une conscience nouvelle qui fait de la solidarité un maître mot, et affirme une volonté de faire émerger une nouvelle citoyenneté comme un programme.

Mais le risque est grand de tendre vers un idéal et d’oublier la réalité. La tentation est grande aussi de laisser dériver l’altermondialiste vers une idéologie qui tournerait le dos aux mécanismes sociaux et économiques élémentaires. Personne n’aurait intérêt à ce glissement.

Rien n’empêche pourtant les ambitions de s’afficher. Edgar Morin est de ceux-là. Selon lui, « nous devrions substituer à la notion de développement celle d’une politique de l’humanité [...] et celle d’une politique de civilisation ».


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6 réactions à cet article    


  • Fabrice Fabrice Duplaquet 12 octobre 2006 12:19

    Il faut se débarrasser de fausses idées :
    - l’écologie n’est pas un frein à l’économie au contraire
    - le libéralisme n’est pas liberticide au contraire
    - l’économie sociale est une manière différente de faire du capitalisme à visage humain
    - le communisme est bien mort


    • rjolly (---.---.227.38) 12 octobre 2006 16:25

      « La tentation est grande aussi de laisser dériver l’altermondialiste vers une idéologie qui tournerait le dos aux mécanismes sociaux et économiques élémentaires. Personne n’aurait intérêt à ce glissement. » Une idéologie comme... la décroissance ?


      • Lui (---.---.178.61) 12 octobre 2006 18:55

        Et si finalement, la réalité finissait par nous rattraper ?

        Plus hypocrite que les médias tu meurs... çà fait 30 ans qu’on leur parle d’environnmement et ils commencent tout juste à se réveiller.

        Désolé de vous le dire, mais avec vos conneries, c’est déjà trop tard...

        Villepin il vient à peine de réaliser que fumer çà provoque le cancer. Sarkozy lui cherche pas, à part sa pomme il connait pas grand chose à l’écologie... et c’est des gens comme çà qui vont sauver la planète ?

        Vous z’inquiétez pas , les femmes et les enfants d’abords.... oui mais pour partir ou ?


        • candidat 007 (---.---.122.128) 12 octobre 2006 19:51

          « Lorsqu’on examine à la loupe les mouvements altermondialistes, ce courant de pensée qui se développe à travers la notion de développement durable, on se rend compte qu’il ne se résume pas à une seule et réductrice dimension environnementale. »

          On ne peut pas dire qu’ATTAC soit trés fort dans le développement durable de la dimension démocratique de leur propre organisation.


          • Eric-nicolier Eric-nicolier 13 octobre 2006 08:31

            rjolly : la « décroissance » est-elle une idéologie ? Ce n’est pas certain. Après tout dépend aussi quel indicateur on utilise pour s’engager sur la voie d’une décroissance. Mais le débat reste ouvert. L’idée de décroissance me laisse aussi perplexe...

            candidat 007 : vous avez raison, Attac est l’exemple même de ces entités qui se torpillent elle-même et au passage torpillent les idées qu’elles sont censées défendre.


            • (---.---.107.65) 13 octobre 2006 14:03

              L’idée de décroissance vous laisse-t-elle plus perplexe que l’idée d’une croissance infinie ?

              La « décroissance » est, de mon point de vue, non pas une idéologie mais une mouvance, dont se réclament des personnes aux sensibilités et aux idées parfois très différentes. Il est malheureusement très courant de voir des personnes qui ne s’en réclament pas décrédibiliser la totalité de cette mouvance en la caricaturant ou en lui faisant dire ce qu’elle ne dit pas en majorité, au nom de ses éléments les plus détestables, en oubliant totalement le discours de ceux qui tiennent un raisonnement sensé et humaniste sur la chose.

              La mouvance « décroissante » doit être prise comme une objection de croissance, elle vise à stopper la course aveugle à la croissance économique, qui est l’indicateur-roi à maximiser dans l’esprit de nombre de nos décideurs, ce qui pose les problèmes que l’on sait (consommation effrénée de ressources finies par la minorité la plus riche, pollutions parfois irréversibles des sols, de l’eau, de l’air au nom de la rentabilité financière à court-terme, creusement des inégalités à l’échelle mondiale, absence totale de vision long-termiste, etc...).

              Voici ce que je crois à propos de la décroissance, à propos de ce qu’elle devrait être, selon moi. C’est mon avis mais je crois qu’il est partagé par la majorité de ceux qui se disent décroissants ou objecteurs de croissance :

              - La décroissance n’est pas anti-progrès. Elle n’est pas un retour à l’âge de pierre/l’âge des cavernes/la bougie/le Moyen-Age/etc...
              - La décroissance ne veut pas empêcher les pays les plus pauvres de se développer. Son terrain d’application privilégié est donc l’ensemble des pays dits développés.
              - La décroissance n’est pas une recherche aveugle de la décroissance du PIB
              - La décroissance est un altermondialisme.
              - La décroissance vise à réduire notre empreinte écologique en consommant moins (démarche personnelle pour mieux cibler nos vrais besoins et les discerner des envies artificiellement créées par la publicité) ou mieux.
              - Les décroissants sont bien conscients des problèmes économiques que pose la décroissance mais estiment que ces problèmes peuvent être résolus (au moins partiellement) par une meilleure gestion des priorités et sont un moindre mal comparés aux problèmes que nous rencontrons déjà et que nous rencontrerons dans un avenir proche si la tendance actuelle se poursuit (changement climatique, creusement des inégalités mondiales et donc montée du terrorisme, déshumanisation de la société, croissance du mal-être y-compris au sein des sociétés dites développées,...)

              Tout cela mériterait des développements approfondis mais une webographie touffue existe déjà.

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