Le fait que la France soit devenue une société multiculturelle est asséné depuis quelques années par de nombreuses personnalités de la sphère politique ou de la société civile et repris largement par tous les médias.
Cela mérite toutefois quelques précisions.
Tout d’abord, notre société n’est pas « devenue » multiculturelle car elle l’est depuis très longtemps du fait de l’histoire de notre pays et il suffit de mettre ensemble par exemple un Alsacien, un Antillais, un Breton et un Provençal pour s’en rendre compte (cette petite énumération n’est évidemment ni limitative ni porteuse d’une volonté discriminatoire).
Dans le même état d’esprit, on peut sans difficulté ajouter que les citoyens français d’origine espagnole, italienne, polonaise ou portugaise ont largement participé à ce multiculturalisme.
Il semble donc que dans l’esprit de nos « élites », un élément nouveau soit survenu pour réaffirmer ainsi avec force une évidence qui est loin d’être récente et que cette nouveauté soit source d’interrogation (voire de problème).
Il est vrai que depuis un bon demi-siècle, la nature de l’immigration a changé et que nous accueillons maintenant des personnes du monde entier de couleurs de peau et de religions différentes.
A part la minorité d’abrutis qui pense toujours qu’une teinte de peau peut être un signe d’infériorité (et ceux-ci ne sont pas tous automatiquement blancs), la majorité des habitants n’a plus aucun problème avec cette distinction naturelle et ce, même s’il a fallu un peu de temps pour que les mentalités évoluent car façonnées par des siècles de discours allant dans l’autre sens.
Comme ce n’est pas la couleur de peau, serait-ce donc la question religieuse qui pourrait être responsable de cet impérieux rappel ?
Il semble bien que oui puisque la quasi-totalité des spécialistes s’accorde à dire que, jusqu’à présent, les cultures sont intimement liées aux religions.
Mais qu’est ce qu’une religion ? La définition la plus courante qu’on trouve classiquement dans n’importe quel dictionnaire indique « ensemble de croyances ou de dogmes et de pratiques qui constituent les rapports de l’homme avec la puissance divine ou surnaturelle ».
Rappelons aussi que toujours selon les mêmes dictionnaires, « croire » c’est entre autres « accepter entièrement sans examen ni critique une proposition ou des paroles » et qu’un dogme correspond à une « opinion donnée comme certaine et intangible ».
Pourquoi pas, si cela reste au niveau de la spiritualité et n’a pas de conséquence sur la vie temporelle.
Sauf que dans la pratique, c’est très loin d’être cela et que la priorité des chefs religieux de tout poil n’est pas d’alimenter la réflexion concernant les interrogations métaphysiques ressenties par de nombreux êtres humains mais de régir l’organisation de la cité et la vie quotidienne de ses habitants.
Et quand on se préoccupe de ces aspects, cela s’appelle faire de la politique : l’apport spirituel en terme de valeurs morales peut être éventuellement intéressant si les dogmes ne contiennent pas des connotations fascisante et raciste et si les règles et pratiques ne sont pas basées sur des balivernes et des superstitions favorisant la crédulité, la soumission et la frustration.
Malheureusement, nous sommes loin du compte pour les trois religions monothéistes et radicalement cléricales largement majoritaires dans notre pays.
Tout esprit libre ne peut qu’en être fortement préoccupé quand on voit les dégâts (et le mot est faible) que ces idéologies ont fait chez nous par le passé et qu’elles font encore partout à travers le monde.
A ce premier problème s’en ajoute un autre qui tient à nos origines les plus profondes et sur ce terrain, deux théories concernant la présence de l’Homme s’opposent à nouveau : la création par un ou des dieux pour les sectes et religions et l’évolution particulière d’un ancêtre commun que nous partagerions avec tous nos cousins animaux.
Il est difficile d’avoir un avis tranché sur cette question mais les recherches scientifiques raisonnées vont plutôt dans le sens de l’évolution et le comportement naturel humain va plutôt également dans ce sens puisqu’à l’instar de tout ce qui vit sur cette planète, l’Homme a à la fois besoin d’un espace vital d’intimité personnelle mais également d’un territoire géographique pour le groupe dont il fait partie.
Nos facultés de réflexion nous permettent toutefois de tempérer ce dernier instinct sans toutefois annihiler complètement l’animalité qui est en nous et un minimum de cohérence de fonctionnement dans l’espace public commun est nécessaire si on veut maintenir la cohésion indispensable à une vie paisible dans la cité.
La coexistence entre groupes ou espèces différentes s’avère donc naturellement difficile sur un même territoire.
Nous sommes donc passés à un nouveau stade de société multiculturelle du fait que des personnes de religions différentes ayant des pratiques quotidiennes fort éloignées vivent sur le même territoire.
Existe-t-il actuellement ou dans un passé récent des sociétés multiculturelles (au sens de la coexistence de religions avec des dogmes et règles très différents), toutes évidemment assurées de détenir la « Vraie Vérité » et de devoir porter la parole de « Dieu » sur la terre entière (voire à l’univers quand cela sera possible) ?
Oui, il y en a ou il y en a eu mais que constate-t-on dans les faits (liste évidemment non exhaustive) :
- une religion dominante qui dicte ses règles aux autres : pays musulmans
- des conflits internes « politico ethno religieux » fréquents et meurtriers : Liban, Inde, certains pays d’Afrique
- un calme apparent lié à des facteurs spécifiques : ex-Yougoslavie (« main de fer » du régime communiste), département français de la Réunion (manne financière en provenance de la métropole)
Rien de bien folichon dans tout cela et même plutôt dramatique : voulons-nous donc pour notre pays une évolution de ce type ?
Les religions ont certainement été un mal nécessaire pour structurer politiquement les sociétés mais il serait grand temps de dépasser ce modèle d’organisation.
La France a toutefois la particularité d’avoir initié ce dépassement par toutes les lois laïques mises en place depuis la fin du 19ème siècle.
Depuis, plusieurs brèches ont été ouvertes par différents gouvernements de droite au bénéfice des cultes chrétien et juif mais malgré cela, la société française était quand même peu à peu en phase d’émancipation (ce qui d’ailleurs désespérait la hiérarchie catholique).
Ce n’est donc que tardivement que les partis politiques de droite se sont rappelés que nous étions dans un pays où existait une loi de séparation entre l’Etat et les églises : en fait depuis les revendications identitaires relativement récentes de la communauté musulmane de plus en plus importante.
Cet évènement est très important car il participe fortement au renforcement de la cléricalisation de la société et il semble bien que l’on perçoit çà et là le soulagement des chefs catholiques et surtout une volonté de « sainte alliance » entre les dirigeants de nos trois « partis de Dieu » quant à la nécessité que la Religion retrouve Sa Place dans la vie de la cité (en rêvant peut-être de « s’expliquer » entre eux quand les mécréants et autres infidèles auront été réduits au silence).
Cette régression est perceptible tant par le « haut » (lobbying au plus haut niveau des institutions françaises et européennes par les hiérarchies) que par le « bas » (rappel fort et « pressant » sur le sentiment d’appartenance en direction de « leur communauté » par les chefs et adeptes musulmans qui par effet collatéral réactif engendre des effets similaires sur le reste de la population).
Dans ces circonstances, les esprits libres sont malheureusement pris en tenaille.
Le plus inquiétant est certainement dans le fait qu’on peut avoir le sentiment que les « élites » dirigeantes ou influentes donnent l’impression d’apprécier positivement cette régression : si cette situation est somme toute logique pour celles de droite, faut-il que celles de gauche soient désemparées pour accepter le renouveau de cet instrument de domination et d’encadrement du peuple !
Le problème se situe particulièrement dans le fait que ces idéologies sont par essence dominatrices et qu’il est donc difficilement imaginable qu’elles acceptent de partager un seul et même territoire en toute quiétude…
Si par hasard, tous les chefs religieux réussissaient à être « copains comme cochon » et si cet « oecuménisme » voyait le jour, ce serait certainement les athées et les agnostiques qui en feraient les frais…
Et dans ce contexte, la paix civile pourrait malheureusement être un jour remise en cause.
Pour éviter l’éventualité d’un tel risque, et si les religions souhaitent réellement œuvrer positivement pour la société, elles doivent recentrer leur message sur la spiritualité, donc amender leurs règlements intérieurs respectifs afin d’en supprimer tous les interdits relatifs à la vie quotidienne et adapter les textes avec les droits de l‘Homme, de l’Enfant et de l’Animal.
Afin de ne pas être utilisé comme instrument de propagande, le baptême des enfants doit être aboli : cela n’empêchera en rien les diverses « catéchèses » et la possibilité pour une personne majeure d’adhérer à une religion et d’en changer si bon lui semble.
Pour les lieux de culte et vu le nombre non négligeable d’églises qui ne servent plus à rien mais que les contribuables continuent d’entretenir, on pourrait facilement imaginer un transfert de certaines au culte musulman (leur dieu irritable étant le même que celui des chrétiens), voire même créer des lieux de culte polyvalents à l’instar de ce qui se fait pour les équipements sportifs (la symbolique serait phénoménalement positive).
Malheureusement, il est fortement à craindre que cette possibilité ne soit qu’une vue d’un esprit éclairé et qu’il faille poursuivre et finaliser la séparation initiée par nos aînés par la mise en œuvre de plusieurs orientations fondamentales, importantes et symboliques :
Tout d’abord, deux rappels de fondamentaux qu’il ne faudrait plus malmener :
- le respect intégral de l’article 2 de la loi de 1905 sur l’ensemble du territoire
Aucun financement public ne devrait plus être attribué aux sectes et religions (quel que soit le mode de financement : enseignement privé, subventions directes ou indirectes, avantages fiscaux des cultes ou des adeptes, etc.).
En ce qui concerne les bâtiments cultuels, et pour éviter à la fois la spoliation actuelle des citoyens non croyants et les revendications légitimes de toute religion arrivante ou promotionnée, seuls devraient être conservés dans le bien public ceux ayant une valeur culturelle ou historique reconnue (avec une participation financière des religions s’ils sont utilisés par ces dernières) et les autres seraient vendus.
- la primauté de l’enseignement public laïque seul garant de l’émancipation humaine
Sans nostalgie, il convient de retrouver l’état d’esprit qui prévalait au moment de l’instauration des lois laïques sur l’école car le contexte actuel présente des similitudes avec celui de l’époque : la priorité absolue doit être donnée à l’instruction (acquisition de connaissances, réflexion et raisonnement) et non au « vivre ensemble » qui lui, découle automatiquement de la gestion de groupe.
Pour ce faire, la relation entre les parents et les enseignants doit redevenir la plus exemplaire possible afin que les maîtres ne passent pas la moitié de leur temps à faire l’éducation de base des enfants ou des jeunes, la police ou l’assistance sociale (il est toutefois évident que la question sociale dépasse largement le périmètre de l’école).
Le fait religieux doit être étudié à la fois sous les angles historique, géographique et philosophique mais aussi sous l’angle sociétal en insistant sur la notion que, dans un pays de liberté, n’importe qui a le droit de croire en n’importe quoi et de le dire mais que tous les discours ne se valent pas et que la priorité est donnée au raisonnement scientifique et logique.
Ensuite, deux décisions importantes qu’il conviendrait de prendre législativement :
- la généralisation de la loi de 2004 (sur les signes religieux à l’école) dans les lieux de travail et peut-être aussi malheureusement dans l’espace public (vu les débordements actuels)
- l’adaptation au territoire pour la construction des nouveaux lieux de culte (à l’instar des réglementations très contraignantes pour les particuliers qui construisent leur maison)
Et pour finir, pourquoi pas quelques points symboliques :
- le remplacement des jours fériés religieux par des jours fériés citoyens (célébration de la loi de 1905, de l’école publique, etc.)
- la suppression de toutes les émissions ou références à caractère religieux dans les médias publics : messes et autres cérémonies, calendrier, etc.
- l’inscription du droit au blasphème dans la loi : oui, se moquer des dogmes et tabous religieux est un droit mais quasiment un devoir de salubrité publique (et il est bien triste de constater que beaucoup de nos humoristes actuels, à l’inverse de quelques uns de leurs illustres prédécesseurs, ne mettent pas ou peu leurs talents au service de cette noble cause)
Dans ce nouveau contexte de société multiculturelle, la France a besoin d’une communauté de destin forte et une distance doit être obligatoirement prise par rapport aux antiennes religieuses afin de trouver une voie paisible qui puisse éventuellement intéresser les autres peuples de notre planète non pas du fait d’un discours théorique incantatoire éloigné des réalités mais grâce à son exemplarité pratique.
On prête à André Malraux la fameuse phrase « Le siècle prochain sera religieux ou ne sera pas » qui serait en fait une citation non littérale de ce propos authentique au sujet des Hommes « Je pense que la tâche du prochain siècle, en face de la plus terrible menace qu’ait connue l’humanité, va être d’y réintégrer leurs dieux ».
En conclusion, on peut en formuler une interprétation audacieuse en affirmant que le 21ème siècle pourra être paisible s’il est spirituel et sera guerrier s’il est religieux.