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Soft Power

 

Dans le préambule de sa Constitution la République Populaire de Chine se définit comme « Etat socialiste de dictature démocratique populaire, dirigé par la classe ouvrière, basé sur l’alliance des ouvriers et des paysans », une structure hiérarchique dans laquelle le pouvoir du peuple est exercé par l’intermédiaire d’un parti unique, le Parti communiste.

Deuxième puissance économique mondiale, plus important partenaire commercial de l’Union Européenne devant les Etats-Unis, cet état multiethnique avec ses 1,4 milliard d’habitants inquiète. Jadis ballotté entre les puissances occidentales pendant près de deux siècles, l’Empire du Milieu semble actuellement sur le point de leur rendre la monnaie de leur pièce, au propre comme au figuré. Ainsi se répète, comme le remarqua le philosophe Karl Marx, l’Histoire, la première fois comme tragédie et la seconde comme farce.

La Révolution française, précurseur d’importants chamboulements de l’ordre social, chauffa certes les esprits du peuple et faisait trembler l’aristocratie foncière, mais les anglais surent ramener à la raison leurs souverains bien avant, au 17ème siècle déjà, ouvrant d’ores et déjà d’intéressantes perspectives pour une nouvelle classe émergente de possédants, les capitalistes, se servant, dans le but de faire valoir leurs intérêts, d’une institution spécialement crée à cet effet, le parlement.

Ainsi, mercantilisme et libre-échange eurent finalement raison, au 19ème siècle, de la puissante dynastie impériale Qing, au pouvoir depuis trois siècles, face à la supériorité militaire de l’Empire britannique, mais, ironie de l’Histoire sans doute, son dernier empereur, Puyi, ne finit pas en tant que banquier dans la City, mais comme horticulteur au Jardin botanique de Beijing, un poste, offert par le regretté Premier ministre de la République populaire de Chine, Zhou Enlai, en 1960. 

Quand l’écossais Adam Smith, père de la science économique, remarqua dans son ouvrage « La Richesse des Nations », paru en 1776, que « La Chine est une puissance économique sans potentiel de développement à cause de son faible coût de travail, ses nombreux monopoles et son incapacité à faire circuler le capital » il ne soupçonna sans doute pas que deux siècles plus tard ce fut précisément le faible coût du travail qui permit son développement fulgurant, contribuant accessoirement à l’érosion de l’industrie manufacturière de l’occident, cruelle ironie du sort.

Entre temps la Pax Americana a remplacé la Pax Britannica et le déséquilibre de la balance commerciale n’est plus le fait de la consommation effrénée de thé mais de smartphones. 

Deng Xiaoping, leader spirituel de la République Populaire de Chine entre 1978 et 1992, architecte de la Chine moderne et de son ascension économique fulgurante, résuma l’objectif des réformes économiques, entamées sous son règne, avec ces mots : « Peu importe qu’un chat soit blanc ou noir, s’il attrape la souris, c’est un bon chat. » 

Ainsi, l’actuel leader spirituel, Xi Jinping, vient d’annoncer l’éradication de l’extrême pauvreté, phénomène qui touchait encore 750 millions de chinois en 1990, et dont le seuil est fixé par le Parti communiste à un revenu quotidien de 2,3 USD, comparés aux 1,9 USD par jour, fixés par la Banque Mondiale. Le nombre d’habitants, disposant d’un revenu quotidien de moins de 5,5 USD, seuil minimum fixé par la Banque Mondiale pour définir la « classe moyenne », a été réduit de 1,1 milliard en 1990 à 300 millions en 2016, grâce à ce que Den Xiaoping appela « l’économie socialiste de marché » un modèle d’ailleurs pas très éloigné de celui prôné par un certain Ludwig Erhard, Ministre fédéral de l’économie entre 1949 et 1963, père du « miracle économique allemand » et accessoirement guide spirituel du Président du « World Economic Forum », Klaus Schwab, modèle appelé communément « économie sociale de marché », une petite nuance.

En 1989 l’Empire du milieu dut faire face à une épreuve existentielle, la plus importante depuis la révolution culturelle. Inspirés par la politique de démocratisation de la chancelante Union soviétique d’un certain Mikhaïl Gorbatchev, un collectif d’ouvriers et d’intellectuels demandèrent des réformes identiques au Parti communiste chinois. Celui-ci, comptant bien poursuivre les réformes économiques avant d’entamer un processus de démocratisation, répondit par une intervention militaire musclée contre les étudiants sur la Place de la paix céleste, intervention connue sous le nom de massacre de Tian’anmen.

En rétrospective, considérant le bradage de l’héritage communiste par le défunt Président de la Fédération de Russie, Boris Eltsine, et son homologue américain William Jefferson Clinton, on peut légitimement se poser la question qui a vu juste.

Frappée par la crise financière de 2008, la Chine, imperturbable, entama un changement de cap radical de sa politique économique en dirigeant ses efforts vers un renforcement de son économie domestique en investissant massivement dans son infrastructure et en relevant le niveau salarial per capita de 2'000 USD par année à 8'000 USD.

Ce n’est donc pas une surprise, que, malgré la pandémie du Covid, l’économie chinoise n’a pas subi de récession en 2020. Après une faible croissance de 2,3% le Premier ministre Li Keqiang table d’ores et déjà sur une croissance de 6 % pour l’année en cours.

Ainsi, en l’espace d’à peine une génération l’atelier du monde est devenu une menace pour l’hégémonie post-communiste des Etats-Unis d’Amérique.

Joint Vision 2020 fut un document, publié par le Département de la Défense des Etats-Unis au mois de mai 1990, au sujet de potentielles menaces contre l’intégrité américaine, document, stipulant « qu’en vue de protéger les intérêts vitaux des Etats-Unis et de ses investissements dans le monde, l’armée américaine doit aspirer à la supériorité militaire absolue, qu’elle soit aérienne, maritime, souterraine, extraterrestre, psychologique ou bio- et cyber-technologique. »

Il n’est pas inutile d’ajouter que les Etats-Unis sont probablement un des rares pays sur terre dont l’intégrité territoriale n’a jamais été violée. 

Dans ce contexte, sous l’administration Obama, le lauréat du Prix Nobel de la Paix, les efforts de démocratisation de la région Asie-Pacifique furent particulièrement intenses. Entre 2009 et 2017 les investissements dans de nouveaux ogives nucléaires atteignirent la somme d’un billion USD, un niveau jamais atteint depuis la fin de la Guerre froide. (John Pilger)

Outre ses 4'000 bases militaires sur sol américain, la majeure partie de ses 1'000 bases à travers le monde se trouvent dans la région Asie Pacific, toutes munies d’ogives nucléaires pointant vers les centres urbains chinois, dont un seul tir d’essai coûte 100 millions USD.

Parmi de nombreuses autres dans la région on compte notamment la base militaire d’Okinawa au Japon, où est stationné, outre les missiles balistiques intercontinentales pointées vers la Chine, un contingent permanent de 50'000 soldats américains et l’archipel des Iles Marshall, notamment l’ile de Kwajalein sur laquelle se trouve une des plus importantes bases militaires de la région Asie-Pacifique, le « Ronald Reagan missile test site ». (John Pilger)

Une série de documents déclassifiés sous le Freedom of Information Act au sujet des essais nucléaires effectués sur les Iles Marshall après la Seconde guerre mondiale, une explosion de la taille de la bombe d’Hiroshima par jour pendant dix ans, révèlent que des essais cliniques furent effectués sur la population des indigènes pour évaluer le niveau de la toxicité de la radiation, notamment alimentaire, du à dix années de contamination. (Project 4.1, John Pilger)  

Contrairement aux Etats-Unis, la République populaire de Chine n’a jamais violé l’intégrité territoriale d’une autre nation et quand et il s’agit de sa propre intégrité territoriale il semble légitime qu’elle se réserve le droit de la préserver contre des visées sécessionistes, qu’elles soient tibétaines, ouïghours ou hongkongais.

Mais, quand il s’agit de punir un rival économique l’imagination et l’inventivité du législateur américain ne connaît pas de limites. A l’instar du « Global Magnitsky Act » une législation américaine visant à sanctionner la Russie pour la mort d’un lanceur d’alerte, Sergej Magnitsky, dans une prison moscovite, au mois de mai de l’année passée, le Congrès américain a adopté, le « Uyghur Human Rights Policy Act » dont le contenu affirme la culpabilité de la Chine « de torture, détention arbitraire, enlèvement, traitement dégradant de groupes musulmans minoritaires dans la province de Xinjiang. Toute personne identifiée subira des sanctions, telles que le gel des avoirs, révocation de visas et refus d’entrée aux Etats-Unis. Est concerné notamment le Secrétaire général du Parti Communiste Chen Quanguo, membre du Politburo. »

L’accusation dont la loi s’inspire est largement basée sur l’allégation, d’une part par une organisation qui s’appelle « Chinese Human Rights Defenders », soutenue financièrement par le gouvernement américain et d’autre part par un fondamentaliste chrétien, l’anthropologue allemand Dr. Adrian Zenz, accessoirement chercheur de la Fondation « Victims of communism Memorial Foundation » une organisation américaine à but non-lucratif, formellement instaurée par un décret du Congrès américain en 1993 dans le but « d’éduquer le peuple américain sur l’idéologie, l’histoire et l’héritage du communisme ».(Grayzone)

Toujours est-il cette expédition punitive est chaudement applaudie par le New York Times et le Washington Post ce qui équivaut à un blanc-seing pour la presse européenne.


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11 réactions à cet article    


  • Clark Kent Séraphin Lampion 8 mars 2021 09:11

    Deux coureurs unijambistes peuvent être performants quand ils tiennent debout en servant chacun de béquille à l’autre, mais ils ont intérêt à bien réfléchir avant de faire un croche-pied à leur co-équipier pour arriver le premier.

    Le problème, c’est que les spectateurs ne peuvent ni participer à la course, ni intervenir, ni même choisir leur champion. Ils ne peuvent qu’assister à un spectacle affligeant.


    • Clark Kent Séraphin Lampion 8 mars 2021 09:22

      @Séraphin Lampion

      évidemment, les spectateurs en question sont tous paraplégiques et pensionnaires des Epad dont les deux unijambistes rivaux sont les propriétaires


    • titi titi 8 mars 2021 11:13

      @L’auteur

      « En rétrospective, considérant le bradage de l’héritage communiste par le défunt Président de la Fédération de Russie, Boris Eltsine, et son homologue américain William Jefferson Clinton, on peut légitimement se poser la question qui a vu juste. »


      « L’héritage communiste » ? 

      Lequel ? les millions de morts du « bond en avant » ?




      • titi titi 8 mars 2021 12:12

        @titi

        Visiblement les lecteurs ne sont pas d’accord...

        Alors plutôt que les millions de mort du « bon en avant » il y a aussi le massacre des moineaux...

        Car pour cacher l’incurie de sa gestion Mao avait imputé les mauvaises récoltes à... la prolifération des moineaux.

        Et incité la population à pourchasser ces ennemis du communisme à la solde du grand capital !
        Et la technique c’était que la population devait « faire du bruit » pour les effrayer et qu’ils volent jusqu’à l’épuisement.

        Le Moyen Age dans les années 60

        On se marre vraiment quand on voit qu’il y a encore des personnes qui se réclament de cette idéologie.


      • Decouz 8 mars 2021 11:51

        Parmi les groupes d’influence qui accusent la Chine de crimes de masse au Xinqiang et de trafic d’organes, il y a le Falun Gong, du moins ceux qui ont échappé à la persécution et ont émigré aux USA, un de ses canaux est la chaine New Tang Dynasty Téle, certaines de ses émissions sont maintenant traduites en français (vers 20h), ils commentent aussi la politique française ou celle d’autres pays, mais je n’ai pas encore saisi quelle est leur position.

        Le Falun Gong a bien été persécute par Jiang Zeming, je ne connais pas trop les raisons, sans doute a-t-il été jugé dangereux pour le parti, même si il ne faisait pas de politique, car si leurs pratiques ressemblaient à celles des nombreux groupes de Tai Chi ou de Chi Gong, ils avaient un leader charismatique et une apparence de secte (c’est toujours le cas, ils ont un livre de référence et rapportent de nombreux miracles), leurs adhérents particulièrement auraient subi des prélèvements d’organes.

        Hier j’entendais ceci : il y avait une classe de fonctionnaires spécialement chargés de critiquer la politique des empereurs, le présentateur comparait avec l’interdiction actuelle de toute critique publique du Parti. Mais je pense plutôt que l’empereur avait des conseillers, sans doute avaient-t-ils l’autorisation, même le droit, de donner leur avis, éventuellement critique, sur la politique de l’empereur,cependant ces critiques n’étaient pas publiques, ils devaient rester loyaux, sinon exécution ou ordre de suicide.

        Tout le monde n’a surement pas le même avis à l’intérieur du Parti, mais les querelles internes restent ignorées du grand public et ne font pas l’objet de débat à l’extérieur.




        • phan 8 mars 2021 16:51
          << Contrairement aux Etats-Unis, la République populaire de Chine n’a jamais violé l’intégrité territoriale d’une autre nation et quand et il s’agit de sa propre intégrité territoriale il semble légitime qu’elle se réserve le droit de la préserver contre des visées sécessionnistes, qu’elles soient tibétaines, ouïghours ou hongkongais. >>

          Objection votre honneur, la Chine a des conflits meurtriers avec ses voisins pour les territoires : Aksai Chin, Arunachal Pradesh, Cachemire, Îles Paracels, Îles Senkaku, Îles Spratleys ...
          Par exemple, Les îles Spratleys et Paracels  : Considérées comme un des points chauds du monde, une zone probable de conflit, les îles Spratleys et Paracels en mer de Chine du Sud sont peu connues du grand public.

          • phan 8 mars 2021 16:55
            << une intervention militaire musclée contre les étudiants sur la Place de la paix céleste, intervention connue sous le nom de massacre de Tian’anmen. >>

            Voir un court article du journaliste Jay Matthews intitulé “Le mythe de Tiananmen” qui a complètement bouleversé cette réalité apparente.
            Selon Matthews, le tristement célèbre massacre n’avait probablement jamais eu lieu, mais n’était qu’un produit médiatique élaboré par des reporters occidentaux déboussolés et une propagande malhonnête, une croyance erronée qui est rapidement devenue partie intégrante de notre scénario médiatique standard, répétée à l’infini par tant de journalistes ignorants qu’ils ont tous fini par croire qu’elle était vraie. Au lieu de cela, autant que l’on puisse en juger, les étudiants protestataires avaient tous quitté la place Tiananmen pacifiquement, comme le gouvernement chinois l’a toujours soutenu. En réalité, il est parfois arrivé que des journaux de premier plan tels que le New York Times et le Washington Post reconnaissent ces faits au fil des ans, mais ils enterrent généralement ces maigres aveux si profondément dans leurs articles que peu de gens les remarquent. Pendant ce temps, la plupart des grands médias étaient tombés dans le piège de ce qui parait être un canular.

          • Bruno Hubacher Bruno Hubacher 8 mars 2021 17:19

            @phan
            Dans le cas des iles artificielles de Spratley il est vrai que la zone est disputée par un certain nombre d’états riverains, mais on ne peut pas parler d’invasion. En outre, il n’est pas surprenant que les Etats-Unis ne goûtent guère l’établissement d’une base militaire chinoise, or la mer de Chine est truffée de bases américaines.


          • Decouz 9 mars 2021 09:44

            J’oubliais : « New Tang Dynasty Télé » ne critique pas uniquement le régime chinois (et pas d’une manière soft), mais le communisme en général, plus précisément tous les régimes communistes du XXème siècle, avec abondance de documents historiques.

            On va voir maintenant de quoi il est question dans les émissions en français, hier il s’agissait de critiquer l’islam politique, en disant que Sayyid Qutb avait détourné l’islam dans un sens marxiste.

            Quant à la chaine officielle (en français chez nous) elle est en plein dans le « soft power », les infos, c’est : "le Parti a fait ceci, cela, le Président projette ceci, cela) sur un ton monocorde. Mais plus intéressant, de nombreux reportages sur l’histoire ancienne, sur l’artisanat traditionnel, les minorités ethniques (même les tibétains et leur religion), les différentes régions, récitals musicaux et spectacles de danse.

            Quant aux téléfilms (toujours sous-titrés) ils sont parfois de qualité, mais insérés dans la réalité chinois contemporaine (problèmes de familles, rivalités dans les entreprises, amours, et ce qui semble être un thème classique, luttes entre femmes avec parfois bagarres).

            Mais pour ce qui est de l’amour et concernant une majorité de feuilletons (et les autres chaines accessibles sont dans le même registre), on se croirait dans un roman photo des années 50 de chez nous, sentimentalité, guimauve.

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