Sous Hollande comme sous Sarkozy, le chômage en fond, la politique identitaire et l’Islam comme écrans

Abandon du droit de vote des étrangers (une promesse de 30 ans), démantèlement de camps de Roms, enfermement d'enfants dans des camps de rétention, agressions de femmes portant un voile donnant lieu à de nouvelles polémiques médiatiques sur l'Islam... Autant de faits inscrivant la présidence Hollande de manière évidente dans la continuité des gouvernements précédents, et ne rompant pas -comme on aurait pu le souhaiter à gauche- avec ce qu'il convient d'appeler une accélération dans la surenchère identitaire et sécuritaire, fomentée et entreprise par Nicolas Sarkozy et Patrick Buisson depuis 2007.
Face aux demandes de respect des êtres humains, de justice et d'égalité, le sinistre « ministre de l'Intérieur » veut apparaître plus que jamais intransigeant, en invoquant le « respect de la loi », s'attachant à « rétablir l'ordre » fut-il injuste. Pire, chacun des sujets devient le prétexte pour « un renforcement de la loi » ou de quelque autorité face aux déviants. La « droite décomplexée » souhaitée par Nicolas Sarkozy a laissé place à une « gauche complexée » -pour ne pas dire « constipée »- abandonnant toute critique de la politique sécuritaire, par peur de paraître « angélique » et de laisser les « problèmes d'immigration et de sécurité » (une liaison opérée par la droite) à l'extrême droite. Désormais, la ligne Sarkozy-Buisson, qui théorisait purement et simplement « la reprise des thématiques du FN pour lutter contre le FN » est devenue la ligne directrice de la gauche au pouvoir.
Comme le scrutin de mai 2012 l'a prouvé, cette stratégie moribonde a eu l'effet inverse de celui souhaité par Patrick Buisson : l'UMP perd toutes les élections depuis 2007, au profit du Front National, rechargé par 5 ans de matraquage propagandiste sur les thèmes de « l'identité nationale », de la « burqa », du « halal » et de tout ce qui touche de près ou de loin l'Islam et les musulmans, qu'il s'agisse de la politique intérieure comme de l'extérieur (Afghanistan, Iran, Libye...). Une analyse fine des scrutins a prouvé l'efficacité de la diffusion des thématiques identitaires depuis 2007[1], qui loin de soi-disant « asphyxier le FN », ont assuré un ancrage inédit de celui-ci dans certaines régions rurales [2]. Pourtant éloignées concrètement des problèmes urbains, les médias multipliant les unes sensationnalistes, les polémiques, les sondages dont il serait inutile d'en faire l'éventail, ont installé de concert avec le Pouvoir politique un climat anxiogène d'angoisse permanent sur ces sujets – tantôt la femme voilée, tantôt le terroriste islamiste.
Si le spectre de la « menace islamiste » a remplacé celui de « la menace bolchevique » depuis la fin de la Guerre Froide, à l'écran et dans les journaux, l'Islam est devenu, de manière accélérée, depuis la crise dessubprimes aux Etats-Unis (point de départ financier de « la crise économique mondiale » entamée en 2008) au moins aussi important que les délocalisations, les fermetures d'usines, les licenciements, la précarité et le chômage. Plus qu'un fait de diversion, les français de confession musulmane sont identifiés comme des figures extérieures menaçantes et dont l'affront régulier (régulièrement mis en scène) justifierait une intervention urgente de l’État.
L'islam -ou son ombre « l'islamisme »- est devenu la nouvelle obsession de la France, et d'une Europe en récession dans laquelle les classes dirigeantes appliquent des politiques d'austérité augmentant partout sans exception la dette auprès des banques privées, la précarité et le chômage. Dans ce contexte, de manière sournoise la francité des français de confession musulmane est sans cesse remise en cause, leurs droits fondamentaux d'expression et de culte entravés et sont appelés à disparaître de l'espace « public » (et même le privé depuis l'affaire Baby Loup !) à travers une laïcité revisitée que l’on la modifie depuis 2004, et vidée de son sens originel. La laïcité voulait défaire l’emprise de l’Eglise catholique sur l’Etat, et postulait la liberté de culte ainsi que la totale neutralité de celui-ci dans les affaires religieuses. Mais désormais la laïcité est une idéologie qui donne à l’Etat le pouvoir d’imposer une stricte « neutralité aux individus » eux-mêmes, servant de prétexte à une véritable chasse aux sorcières. La dernière croisade en date nous vient du « Haut Conseil à l’Intégration » qui propose ni plus ni moins l’interdiction du port du voile…à l’Université [3]. Lieu hautement symbolique de la liberté d’expression et du débat, est-ce dû au hasard ? En tout cas, les bornes sont franchies, et il ne semble plus y avoir de limites dans la prohibition.
Ce qu'il convient d'appeler islamophobie et qui se manifeste concrètement autant par des agressions de personnes en raison de leur apparence, des discriminations ou plus généralement par des dispositifs de contrôle telles que les lois d'exceptions, est euphémisée ou tout simplement niée par l'ensemble de la classe politique française. Les musulmans, qualifiés de « modérés » pour ceux à qui on ne peut rien reprocher -pour l'instant- sont toujours suspects, même quand ils sont victimes. En témoigne le refus du terme islamophobie par l'intelligentsia et dernièrement par le ministre Valls, sous prétexte qu'il aurait été inventé en Iran par « les mollah ». Une erreur sûrement due à l'incompétence (ne voyons pas le mal partout), puisqu'il n'existe aucun équivalent du mot en persan, les termes « islamophobie/islamophilie » apparaissant pour la première fois sous la plume d'administrateurs ethnologues français [4]. En réalité, le motislamophobie renvoie à celui de judéophobie, et rappelle que le racisme est né avant la race, que les persécutions, les violences et les discriminations subies par les juifs étaient d'abord motivées par l'anti-judaïsme, dénigrant leurs pratiques religieuses, leurs mœurs et leur apparence. On accusait les juifs, responsables d'à peu près tous les maux, de menacer les « valeurs traditionnelles », ou de participer à des « kabbales »contre leurs opposants. Les musulmans, lancent des « fatwa », et, suspectés de vouloir pervertir les « valeurs de la république et de la laïcité », sont même responsables des défaites sportives [5].
Les classes dirigeantes et leurs serviteurs, suspectés et dénigrés dans les contextes de « crise », utilisent donc depuis longtemps la xénophobiecomme arme de diversion et de contrôle. L'Etat-Nation, injuste, soi-disant affaibli et impuissant économiquement retrouve, soudain force et moyens financiers pour affirmer sa toute-puissance à travers la chasse [6] des ennemis qui sont censés le menacer, lui, et par extension ses membres. Le thème de « l'unité nationale », cette illusion qui permet de réconcilier les riches avec une partie du peuple, assure la survie des oligarchies et prépare idéologiquement les populations à l'Etat sécuritaire. La République « une et indivisible » montre son vrai visage en entendant faire la guerre à sa propre population, identifiant les quartiers populaires, abandonnés et pauvres, à des « territoires à reconquérir », leurs habitants, à des « sauvageons », à qui il faudra « envoyer l'armée », rappelant le sort qu’elle fit subir à ses administrés coloniaux. Cet Etat, tellement faible, fatalement dominé par des « Marchés Financiers » soi-disant incontrôlables, mute, revendique sa force et sa volonté de « réaffirmer » sa domination face à des indigènes de l’intérieur refusant l’assimilation. Un retour à l’esprit tribal qui le pousse à mener pour ainsi dire, une véritable bataille psychologique, utilisant les techniques de la guerre impérialiste pour la conquête et l'expansion : diversion, division, intoxication, lavage de cerveaux. L'ennemi structurant identifié, le corps national (blanc, chrétien ou laïque selon les circonstances) peut se resserrer et la peur de l'avenir provoquée par la globalisation économique -le sentiment de perte d'un monde, de voir ses repères annihilés- active des sentiments profonds de nostalgie, de crispation vers un passé idéalisé, où régnait stabilité, confort et homogénéité. Plus que jamais il y a « Eux » et il y a « Nous ».
La figure de l'étranger, de l'immigré, et particulièrement du musulman -même lorsqu'il est « français à part entière » est une incarnation physique de la menace qui pèse à côté de chez soi. Il incarne le désordre et le chaos de la globalisation ; le thème judéophobe du « cosmopolitisme » devient « mondialisme », à partir duquel le repli de la Nation se substitue au retour à la pureté raciale. Retour aux valeurs anciennes, aux valeurs de la République, qu'il s'agirait de réaffirmer face à l'occupant conquérant que serait le musulman. Que le Front National soit le premier à évoquer « laïcité, République et valeurs » aurait dû alerter depuis longtemps les forces de gauche. Au lieu de ça, celles-ci se disputent ces totems, sans interroger l'impasse idéologique dans laquelle elles se trouvent. Depuis les années 80, les théoriciens du Club de l'Horloge travaillant à imposer les thèmes identitaires à la droite ont compris à l'inverse des royalistes bornés de l'extrême-droite, que l'idéologie républicaine s’accommodait très bien avec le capitalisme libéral et...l'exclusion de l'étranger. Les horlogers défendaient comme tous les libéraux radicaux, l'idée d'un Etat minimal économiquement mais aussi et surtout… maximal pour « l'hygiène de la race ». En définitive, l’archétype de l’Etat sécuritaire, et nécessitant selon eux, « des esclaves » qu'il s'agit de « dresser » pour que « surgisse une nouvelle aristocratie ». [8]
Par l'intermédiaire de l'énarque Yvan Blot, les thèses du Club de l'Horloge vont bénéficier d'une plus large audience, quand celui-ci sera chargé d'assurer un séminaire en 1982, intitulé « La bataille des mots. Pour un nouveau langage de l'opposition ». Suivi par des élus du RPR et de l'UDI (« la droite républicaine ») Blot insistera sur l'usage des références républicaines pour imposer les thématiques identitaires notamment. Les horlogers s'encarteront massivement dans les partis de droite afin d'introduire « un vocabulaire et des représentations ». Bruno Megret emboîtera le pas en rejoignant le RPR (devenu UMP), et sera placé au comité central par Charles Pasqua dès 1979... L’idée d’universalismerépublicain, au départ subversive pour les nostalgiques de l’Ancien Régime, devient en circonstance, le socle idéologique justifiant l’exclusion des non-nationaux comme condition de survie de notre « culture, nos valeurs de liberté, d’égalité et de laïcité ». Les mythes de l'Ancien Régime foncièrement anti-égalitaristes sont préservés mais transférés : la« souveraineté » du Prince passe à la Nation tout entière, aux « citoyens ». Le rejet de l'étranger, corollaire de la citoyenneté, assure aux membres de la « communauté nationale » la même appartenance collective privilégiée que celle que conférait « le sang bleu » revendiqué par les Nobles.
Du Parti de Gauche au Front National, cette politique identitaire s’appuyant sur l’idéologie républicaine est un véritable écran de fumée et sert une vraie stratégie de contrôle. Ces polémiques fabriquées d’en haut, font des musulmans, des citoyens de seconde zone, nous ramenant à un affrontement ethnique, pour ne pas dire racial entre « eux » et « nous » : les Blancs. Rappelons-nous que l’actuel ministre de l’Intérieur socialiste, est celui qui regrettait le nombre insuffisant de « white, de blancos » sur un marché d’Ivry… Enfin, sans suggérer que le traitement réservé aux musulmans ne serait « que » stratégique, et contribuerait à voiler « les vrais problèmes », on ne peut pas ignorer que l’imposition du « problème musulman » comme thème récurrent, constitue un exutoire idéal sur lequel les classes dirigeantes se défoulent en période de crise. Patrick Buisson entendait « créer dans l’esprit public des stress complémentaires sur les sujets immigration-sécurité » [9], que fait la gauche, et même la gauche « radicale » en ce moment ? Que dit-elle de tellement différent que l’UMP ou le Front National sur le voile ? Buisson et Sarkozy voulaient « asphyxier le FN ». La gauche française s’asphyxie elle-même.
[1] Hervé Le Bras, Emmanuelle Todd, Le mystère français (2013) Chap. 11 « La métamorphose du FN. »
[2] Idem. Voir « Le Pen père s'immobilise » et « Sarkozy relance l'extrême-droite » p.283-285
[4] Voir l'éclaircissement d’Abdellall Hajjat et de Marwan Mohammed sur ce sujet.
[5] Notamment :« Les musulmans convertis comme Ribery, Abidal, Anelka ont imposé leurs lois ; Corcuf a été mis à l'amende comme certains premiers de la classe dans certains quartiers. » Eric Zemmour (RTL)
« Il faut prendre acte des divisions ethniques et religieuses qui minent cette équipe de France. » Alain Finkielkraut
[6] Sur la culture de la chasse, voir l’excellent Captures, Marc Bernardot (2012)
[7] La notion d'ennemi structurant a été théorisée par Carl Schmidt, un constitutionnaliste nazi.
[8] Dans l’ombre des Le Pen, voir chapitre « Megret, le technocrate ».
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON