Sous le suffrage universel, la révolution cherche les mots pour se dire
Pour résumer la position de l’un des auteurs, source de la Constitution de 1958 - Charles Benoist -, il est possible de dire que l’un des dangers du suffrage universel, pour les détenteurs de capitaux, est qu’il permet aux travailleurs de se compter, et, comme ils sont le nombre, de mesurer leur force politique potentielle.
Cependant, Charles Benoist sait aussi qu’ensuite tout se complique : le travail ne prend pas pour autant le dessus. Tout au contraire. Et de ce contraire, il s’enchante de trouver la confirmation chez Jean Jaurès lui-même, qui avait écrit, dans son Histoire socialiste de la Révolution :
« La Révolution a préparé indirectement l’avènement du prolétariat. Elle a réalisé les deux conditions essentielles du socialisme, la démocratie et le capitalisme. Mais elle a été, en son fond, l’avènement politique de la classe bourgeoise. » (La Crise de l’État moderne, tome II, pages 223-224)
Autrement dit, au-delà de la "forme" démocratique, et s’agissant du "fond" des systèmes de pouvoir, le "nombre" ne fait pas le "poids"…, à moins que la bourgeoisie ne finisse par se rendre responsable de grosses bêtises, du point de vue d’un système institutionnel qui peut parfois bouger sans qu’elle s’en aperçoive, et venir miner la production des lois dans le sens contraire à l’intérêt de la propriété privée des moyens de production et d’échange.
Hormis cette dangereuse dérive, il n’y a pas à s’inquiéter. Pour en faire la preuve, Charles Benoist est même disposé à prendre ses références chez l’effroyable Babeuf qui avait écrit :
« Les lois sociales ont été faites pour permettre aux forts et aux rusés d’accaparer les propriétés communes. Ils ont entassé, pour leur usage, ce qui suffirait à des milliers de leurs semblables. Les petites fortunes se sont englouties dans les grandes, qui ont pu croître indéfiniment. Le nombre des ouvriers s’est augmenté, leur salaire a baissé ; souvent même ils ne trouvent point de travail. Dans ce cas, sur vingt-quatre millions d’hommes, quinze ne possèdent rien et souffrent, faudra-t-il qu’ils respectent la propriété et qu’ils meurent de faim pour l’amour des neuf autres ? » (page 228)
D’où l’intérêt de veiller avec le plus grand soin sur le fait de savoir qui impose "sa" loi : le capital ou le travail ? Pour qu’il ne puisse s’agir que du premier, il est nécessaire de canaliser le suffrage universel, et sans que cela apparaisse aux yeux du commun des mortels, c’est-à-dire à la conscience de classe des exploités.
Avec rien qu’un petit coup d’œil sur une histoire pour lui récente, Charles Benoist nous rafraîchit les idées :
« 1848 n’a pas été seulement le point de jonction des deux révolutions, politique et économique. Ç’a été le point d’aboutissement de la plus grande révolution, celle qui enfante toutes les autres, les amène, les déchaîne, ou les rend toutes possibles : la révolution psychologique. » (page 331)
Car, sitôt que la conscience de classe des exploités, c’est-à-dire la cessation des illusions qui font perdurer la domination de la classe bourgeoise, se développe, il se produit, selon Charles Benoist, d’étranges choses :
« Non seulement une classe s’oppose à l’autre ou aux autres, mais un État de classe se dresse contre l’État national, un État particulier contre l’État général ; et il s’efforcera d’abord, par le suffrage universel, par le nombre, de s’emparer de l’État général, et de faire servir la souveraineté nationale aux fins particulières de ce qu’il nomme le travail ; ensuite ce sera le duel du syndicalisme contre le parlementarisme, et ensuite ce sera autre chose. » (page 370)
Voilà ce à quoi remédie, depuis une soixantaine d’années et avec une extraordinaire efficacité, l’enfant lointain de Charles Benoist, la Constitution de 1958, que nous devrions, paraît-il, à ce héros incomparable : Charles de Gaulle.
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