Souveraineté du populo

Les pensées se développent souvent à partir d'un mot qui trotte dans la tête, s'associe ou s'oppose à d'autres qui traversent l'esprit. « Souveraineté » était un mot complètement passé dans l'oubli jusqu'à il y a peu de temps, aujourd'hui il est à toutes les sauces, s'accommode mal du populo, lui préfère le peuple.
C'est quelques échanges sur la vulgarité qui ont fait prendre la sauce qui tournait dans ma tête depuis un petit moment. Je me suis dit tiens c'est curieux, et pour être franche je ne l'avais jamais conscientisé avant, que tout le monde soit convaincu que vulgaire est synonyme de peuple. Le vulgus est le commun, le peuple est beaucoup plus difficile à définir depuis que la consommation a pris le pas sur la religion, depuis l'invention des classes moyennes ces bâtardes, pas bourgeoises complètement, on dit « petit bourgeois » mais qui exècrent tant le populo d'où elles viennent qu'elles jouent et font semblant de ressembler aux bourgeois, les vrais, qui détiennent le pouvoir depuis que le roi a perdu la tête. Ça fait un bail, n'est-ce-pas ? Ainsi, peuple, bourgeois, classes moyennes, souveraineté brassaient depuis quelques temps dans ma tête un air que je ne trouvais pas très sain, enfin j'y respirais mal.
D'abord, c'est « souverain » qui me titilla. Je me souvenais que l'on disait de la tarte aux pommes de ma mère qu'elle était souveraine, je pensai, ma mère est souveraine dans la famille. Quelque chose de suprême, de supérieur, d'inégalable. Aussi tirais-je sur les sens de ce mot, l'accordant ou le conjuguant à sa dernière occurrence : l'État souverain, la Nation souveraine, le Peuple souverain. C'est vrai que le sens des mots évoluant, de l'inégalable, de l'excellence, du suprême, on arrive au « libre et indépendant », avec une certaine logique. Ainsi pensais-je est-ce un État qui est libre et indépendant, libre de quoi faire, indépendant de qui, une Nation, notion floue tellement imbibée de guerres, ou un peuple ? Le peuple, c'est simple, on ne voit pas bien de qui il est indépendant même si on a bien bien cerné ce qu'il est libre de faire. En gros, le peuple est libre de se sacrifier pour conquérir la liberté de ses descendants, sans garantie de ce que ceux-ci en feront. La liberté de se battre, de mourir, est-ce encore la liberté ? Mais la souveraineté c'est aussi une puissance, donc un peuple libre de se battre, se sacrifier pour sa puissance. Mais soudain on en arrive au pouvoir, qui frôle le surnaturel car c'est Dieu qui détient le pouvoir suprême ! Le vocabulaire est humain, ce n'est pas par lui que nous pourrons sortir de notre condition. Niant Dieu, par ce besoin incompréhensible de pouvoir suprême, on en arrive au vingtième siècle, à la dictature, la dictature du peuple, comme une incontournable organisation pyramidale. Plus d'ambiguïté, pathologie séculaire, éternel schéma. On clame notre volonté d'autonomie et on crie « souveraineté ». mais ceci est tellement ambigu qu'on a bien conscience que le pouvoir est pris, forcément, par quelqu'un, et, qui dit pouvoir, dit soumission à ce pouvoir, sinon, on n'y trouve pas sens.
Le souverain, c'était le roi, élu de Dieu, le Pape, son représentant, pourtant pas forcément d'accord. Avoir imaginer un Dieu à qui nous étions soumis était une idée dont on peut dire qu'elle était bonne ; l'important, c'est d'être soumis à quelque chose, après, on verra à quoi. C'est sûr qu'au départ, Dieu, c'était le Bon, le Bien, la sagesse, mais pourquoi grand dieu nous fallait-il être soumis à ça ? Ne pouvions-nous pas être souverains, forts de ces valeurs ? C'était compter sans l'Église. Sans les Églises.
Je voudrais à cet endroit faire un petit tour par Napoléon. Napoléon, je n'en sais pas grand chose, oublié les cours, gardé passivement sans jamais y réfléchir, les guerres, les grognards, la Bérézina, mais le code civil, les départements et tout ce qui nous a guidés depuis. Or récemment j'ai lu un petit bouquin, fort sympathique, qui raconte l'épopée de quelques clampins qui firent à moto, en décembre le chemin exact fait par Napoléon et ses armées, de retour de Russie ; Moscou Paris.
J'ai toujours été attirée par la Russie – étant jeune j'espérais bien qu'un jour ce pays s'ouvrirait pour que j'y puisse entrer-, et jamais par les États-Unis qui avaient éradiqué des civilités chères à mon cœur. Mais il n'y a pas longtemps que je sais pourquoi. La Russie est un peuple, quelque chose de tenace et puissant à la fois, qui fait front, ensemble aux aléas toujours terribles de la destinée ; j'en aimais les auteurs, les musiques, les poètes qui la chantaient, ses espaces, ses toundras qui incitent au galop et ses taïgas inquiétantes ; et j'en aimais ses anarchistes. Les États-Unis, malgré ses audaces, ses imaginations et sa littérature, n'étaient qu'un ramassis de malfrats posés sur les décombres d'un génocide, et de fuyards, et d'aventuriers ; bien sûr, parmi eux, des Singer, des Bartok, des Chomsky, des Dos Passos, des Harrison, des Roth, mais... américains vraiment ? Bien sûr aussi les espaces qui nous font tant défaut ici.
Donc Napoléon, l' Empereur, le Souverain, avait un projet continental : la fusion pacifique des puissances en un empire universel. Paix et prospérité qui se heurtaient à l'Angleterre d'un côté , vaincues par la Russie de l'autre. Il était teigneux, enthousiaste et sûr de lui notre empereur, la vie de quelques milliers d'hommes ne l'inquiétait pas plus que ça ; et notre grand homme dans ses confessions disait : « sous mon gouvernement, il n'y a pas de pots-de-vin, les caisses sont surveillées, les impôts vont à leur destination... personne n'est moins que moi occupé de ce qui lui est personnel. » Suprême, évidemment, lui qui avait pour destin d'amener l'Europe à la paix. Et chacun sait que pour imposer la paix, et la faire apprécier, il faut faire la guerre ; ceci est vieux comme les empires. Ceci dit, Napoléon avait des idéaux et s'y donnait corps et âme, de plus, c'était le temps où l'empereur était sur le terrain, sur le chemin avec son armée, un peu plus choyé peut-être, mais à cheval quand même, et il y vivait les mêmes horreurs. Il était adoré par ses troupes, et ceci est très important et nous renvoie à d'autres situations, d'autres lieux, d'autres réflexions.
Le souverain donc ; le peuple, que ferait le souverain peuple, le sait-on ?
Le peuple est cher à mon cœur, mythifié, embelli, il prend la forme des peuples en lutte, ceux d'Espagne, de Grèce et de la sud Amérique. Je ne vois guère de luttes populaires dans le Nord, quoique les Anglais fissent leur révolution les premiers, mais mon imaginaire n'y va pas, ce qui n'a aucun intérêt. Le peuple, ses chants, ses musiques, ses couleurs ses douleurs sublimées, ses joies ses fêtes exprimées. Le peuple c'est cette chaleur, chez les bourgeois le froid, le peuple c'est une vie qui braille et qui accepte l'autre, par affection, et sa dignité tient toute entière dans sa décence ; la souveraineté de ses valeurs ne serait pas déplaisante. Chez les bourgeois c'est le savoir-vivre, les politesses comme un code d'usage retenu après des ans d'apprentissage.
Mais, le peuple, où est-il donc ? J'ai idée qu'il est devenu bourgeois, par imitation, ou exclu, par inadaptation.
Pour être souverain, il faut être « un », et ça, les puissants le savent qui font tout ce qui est en leur pouvoir pour le désunir ; réussite totale. D'abord, il y a, et depuis un petit bout de temps déjà, la part moyenne de celui-ci qui se hausse, bons revenus, culture correcte et qui ne voudrait pas que le pouvoir soit donné aux cons. Plus récemment, la division s'est dotée d'un troisième étage, les immigrés. De plus, aux trois étages, division idéologique, on va dire. Pourtant tous sont producteurs de richesses, autant que faire se peut dans le monde actuel. Aussi, je vois mal la souveraineté populaire pour demain.
La souveraineté de l'État est la seule, avec un peu de bonne volonté, qu'on pourrait retrouver ; mais il n'y a pas de bonne volonté, là aussi, ce me semble plié.
Quant au reste, notre attitude propre face au monde, nous sommes plus loin que jamais des préceptes du Bouddha :
« Aider chacun à posséder les fruits de son travail, ou bien : ne pas ravir à notre prochain les fruits de son travail » est un précepte qui condamne formellement l'appropriation d'une part de ce qui a été acquis par le travail d'autrui et l'exploitation de l'homme par l'homme.
Car il est notable que la plupart, -pour ne pas dire tout le monde car il reste des exceptions, rares, sans compter ceux qui se trouvent tellement tout en bas qu'ils ne peuvent en avoir l'idée-, a intégré l'exploitation de l'autre comme une forme de supériorité, une force du genre de celle que chacun convoite ! C'est tellement difficile d'être pris pour un médiocre, d'obscurcir sa lumière, parce que cette sagesse n'opère que quand la conscience des forces opposées se fait jour ; or, chacun est bien convaincu de pouvoir vaincre, et il ne l'est que parce qu'il ne voit pas !
Ainsi on est obligé de constater que le peuple souverain est une fumisterie, même si on peut la garder comme point de mire, un petit en-cas de rêve, et que l'État souverain ne pourra l'être qu'avec un gouvernement qui ne le promettra pas, mais le fera. Qui votera pour ce gouvernement-là ?
Je ne sais pas vous mais j'ai l'impression de tourner en rond dans un bocal et de m'y mordre la queue.
J'ai donné il y a peu, comme illustration d'un article, un poisson rouge qui saute hors de l'eau et essaie d'atteindre un autre bocal, plus haut mais plus grand. Cela s'appelle l'audace. Ou peut-être le courage.
Si on fait à cette heure un constat simplifié, on ne peut que souhaiter que le peuple, intelligent, vote Mélenchon ou Le Pen au premier tour, laisse les ferrailleurs aux vieux contents, aux semi-débiles et à la toute petite frange qui ne peut imaginer sortir de son pré carré. Le Pen et Mélenchon, c'est pas conciliable, et pourtant, c'est le même constat, c'est juste la manière d'y remédier qui diffère. Et c'est énorme.
Que tous ceux qui ont voté « non » en 2005 se partagent entre ces deux-là puisqu'on n'en est plus à choisir l'homme de sa vie ; que tous les « socialisants » qui ont voté « oui », de bonne foi mais qui ont dessillé, votent Mélenchon et que tous ceux qui se sont sentis autorisés à exprimer que le bougnoule est la cause de tous leurs malheurs votent Le Pen ; que des abstentionnistes sortent de leur trou, alors, quelque chose commencerait à ressembler à la souveraineté du peuple ; le peuple souverain est un peuple éveillé et instruit, il voit les chiffres ; les verts, rendus au fédéralisme puisque Hulot ne se présente pas, voteront Hollande pour garder leurs maroquins et l'espoir de pays dilatés dans l'uniformité qu'ils croient verte. Les verts de gauche sont déjà au PG et ceux qui n'y sont pas encore iront.
Ne pas convaincre un lépéniste de voter Mélenchon parce qu'il est meilleur, ne me fait aucun mal mais ne pas pouvoir convaincre de la réalité des chiffres ceux qui sont, et je n'en doute pas, de gauche, me fait mal au point que c'est le dernier article où je parle de cela.
Faire le constat de l'urgence, non pas s'effacer mais se mêler au nombre, pour faire force, si le peuple n'en est pas capable, alors, on le sait : Inch Allah !
( Le petit livre que j'ai lu s'appelle BEREZINA, de Sylvain Tesson)
72 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON