Stages en entreprise : à quand la fin du scandale ?
Réflexion autour des stages en entreprise : les jeunes doivent-ils payer de leur poche l’expérience que les recruteurs leur demande ?
Le ministre du Travail a annoncé que les stagiaires seront rémunérés "à partir du premier jour" pour "tous les stages de plus de trois mois" à partir de février, mais seulement "à partir de 30 % du Smic". "On se moque de la jeunesse", estime, à juste titre, Génération précaire pour qui "l’usage des 30 % est entériné".
En 2007, j’ai eu le plaisir de participer à un travail sur l’aide à apporter aux jeunes dans le cadre d’un projet qui prit le nom de "Plan action jeune". Ce travail s’est construit autour de trois axes, dont un concernait les stages en entreprise... Je me fais un plaisir de vous livrer le constat et les propositions faites à cette époque, dans une version volontairement allégée :
Stages en entreprise, de quoi parle-t-on ?
Typologie des stages
Les stages et les périodes de formation en entreprise (PFE).
La spécificité et l’identité de l’enseignement professionnel résultent d’un équilibre entre la formation générale, la formation professionnelle et l’environnement économique.
La mise en place des stages de formation et des périodes de formation en entreprise (PFE) instaure de nouvelles relations partenariales entre le système éducatif et le monde économique. Ainsi l’alternance est le moyen d’ouverture réciproque entre l’école et le monde du travail. L’élève quitte l’établissement scolaire pour être formé en situation réelle, l’équipe pédagogique est amenée à partager son action avec le tuteur : c’est la reconnaissance de l’entreprise formatrice ou en tout cas lieu de formation complémentaire, puisque les compétences acquises ou mises en oeuvre en situation de travail sont évaluées, validées et prises en compte pour la délivrance du diplôme
Ces périodes sont incontournables, c’est-à-dire qu’il est impossible d’obtenir le diplôme sans réaliser ces stages.
La durée des stages est inscrite dans les référentiels de formation et, lors du stage, une convention est signée avec l’entreprise d’accueil. Cette convention comporte une annexe pédagogique indiquant clairement les enjeux, les compétences à acquérir, les modes d’évaluation du stage, nommé Période de formation en entreprise (PFE) dans les documents de l’Education nationale.
Evaluation
Ces stages font l’objet d’une évaluation sommative, voire dans certains cas d’une évaluation certificative, c’est-à-dire que la note obtenue à ces stages est prise en compte pour l’obtention du diplôme.
C’est le cas, par exemple, des stages de baccalauréat professionnel dans le cas d’un diplôme attribué en CCF (Contrôle en cours de formation).
Stages à vocation de découverte ou d’immersion dans le milieu professionnel, ces stages sont très encadrés, sur le plan légal par des parutions au Bulletin officiel (n° 25 du 29 juin 2000, n° 23 de juin 2001) ainsi que par la circulaire 20006753 du 1er août 2000 portant modification du décret n° 92-1189 du 6 novembre 1992.
Durée
La durée globale des périodes de formation en entreprise est définie dans la réglementation des diplômes. Elle est variable selon le type de diplôme et les objectifs de la formation.
Diplômes à objectif principal de poursuite d’études
Pour les diplômes à objectif principal de poursuite d’études, les périodes sont courtes, de 3 à 5 semaines au maximum : ce sont des stages.
Les diplômes concernés sont essentiellement des BEP de certains secteurs professionnels qui ne permettent pas d’insertion professionnelle à ce niveau de formation. Ces BEP ont pour but principal la poursuite d’études en baccalauréat professionnel. (J.-L. Mélanchon, ministre délégué à l’Enseignement professionnel,1999)
Pour les diplômes à objectif principal d’insertion professionnelle, les périodes sont plus longues :
- de 5 à 8 semaines pour le BEP,
- de 12 à 16 semaines pour le CAP,
- de 16 à 18 semaines pour le baccalauréat professionnel, selon les secteurs professionnels (semaines réparties sur les deux années de formation).
Ce sont des "périodes de formation en entreprise" (PFE) pour les BEP ou des "périodes de formation en milieu professionnel" (PFMP) pour les CAP ou les baccalauréats professionnels.
La répartition de ces périodes dans le calendrier scolaire au cours de la formation est de la responsabilité des établissements scolaires, en fonction des contraintes pédagogiques et économiques locales.
Ces stages ne sont pas rémunérés.
L’élève est en position d’observation même s’il est amené à participer à des tâches précisées dans le cadre de la convention de stage, il n’est pas en situation de production.
Néanmoins, bien que la pratique soit rare, une gratification est possible de la part de l’entreprise recevant l’élève.
La rémunération de ces stages n’est pas souhaitable : en effet, la période des stages est courte et l’enjeu pédagogique est important. Si une obligation de rémunération apparaissait, la tentation serait grande pour les entreprises de rentabiliser la présence du stagiaire pour en diminuer le coût. Nous quitterions alors le domaine pédagogique pour entrer dans une logique gestionnaire peut compatible avec l’acquisition de connaissances et d’expérience sur une période très brève.
Les stages facultatifs ou stages volontaires
Nous entrons là dans un maquis, une situation opaque qui va de la découverte du fonctionnement de l’entreprise, dans le meilleur des cas à l’exploitation pure de la force de travail d’un jeune et assimilable au travail clandestin dans les cas extrêmes.
Le stage volontaire
On appelle « stage volontaire », tout stage d’initiation, de formation ou de complément de formation qui n’entre pas dans le cadre d’un cursus. C’est le cas par exemple des cursus universitaires, type licence de sciences humaines.
Si découvrir le monde de l’entreprise permet de préciser un projet professionnel et d’étoffer un CV (les prochains employeurs y verront une preuve de dynamisme !), le jeune en recherche doit en prendre lui-même l’initiative.
Cela signifie sacrifier quelques jours de congés (ou de cours), faire reconnaître le stage comme partie intégrante de la formation et, surtout, obtenir une convention de stage : tout stage, même facultatif, doit faire l’objet d’une convention.
Or, l’établissement d’enseignement, s’il estime que le stage ne correspond pas au cursus de l’élève, peut la refuser.
Le stage hors études
Attention aux stages hors études et donc hors convention. Même si la loi pour l’égalité des chances mentionne l’obligation d’une convention, les employeurs sont tentés d’y recourir pour répondre à des besoins immédiats de l’entreprise (remplacer une personne en congé ou en arrêt maladie, pic de l’activité...), via un arrangement à l’amiable.
Et les jeunes, qui ne sont plus dans le circuit scolaire, sont bien contents d’en profiter, quitte à cotiser une assurance responsabilité civile.
Cependant, il vaut mieux éviter cette formule car elle peut être assimilée à du travail clandestin. Aux yeux de l’inspection du travail, il s’agit d’un emploi déguisé, dont la rémunération n’est pas à la hauteur du travail accompli. Au final, une telle pratique est fermement sanctionnée par la loi.
Le stage à l’étranger
Travailler six mois à l’étranger est le meilleur moyen de se doter d’un CV international. C’est assez simple dans l’Union européenne, ailleurs l’employeur doit obtenir un visa de travail temporaire pour le stagiaire.
Différents organismes peuvent vous accompagner dans votre démarche : certains sont spécialisés par secteurs d’activités (type AIESEC pour les étudiants en sciences économiques et commerciales...), par structure d’accueil (volontariat international en entreprise, en administration...), par destination (type Office franco-québécois de la jeunesse...). Sans oublier les programmes mis en place par les autorités européennes : programmes Léonardo ou Eurodyssée, Service volontaire européen.
Quel statut pour le stagiaire ?
Selon l’ordonnance du 22 février 2001, le stage a un objectif pédagogique et non productif : qu’il soit obligatoire ou volontaire, le stage ne donne pas lieu à un contrat de travail. Le stagiaire n’a donc ni les obligations ni les garanties d’un salarié. Il doit cependant respecter le règlement intérieur et les horaires de travail au sein de l’entreprise. Il est aussi tenu au secret professionnel. Quant à l’employeur, il n’est pas tenu de remplir les obligations liées à un contrat de travail.
Par exemple, le stagiaire n’a ni droit aux congés payés ni aux RTT. Il peut aussi être renvoyé sans motif et sans indemnité.
Il n’est pas rare toutefois de constater une certaine confusion concernant le contenu du poste.
Non salarié, le stagiaire ne doit pas assumer les charges productives réservées aux employés. Par exemple, les missions de prospection commerciale ou de vente par téléphone ne peuvent lui être confiées.
L’employeur ne peut demander au jeune stagiaire, qui n’a pas la qualité de salarié, de travailler le dimanche. Il ne peut pas non plus lui demander d’effectuer des heures supplémentaires.
La durée de son travail ne peut, en effet, excéder la durée légale hebdomadaire et la durée quotidienne du travail fixée par l’article L.121-1 du code du travail. Par ailleurs, sont notamment applicables au stagiaire les dispositions applicables au travail des mineurs, ainsi que celles relatives au repos hebdomadaire et dominical. Il ne cotise ni pour sa retraite ni pour son assurance chômage.
En cas d’abus, il peut demander au conseil des prud’hommes la requalification de sa convention de stage en contrat de travail, afin de percevoir une rémunération adéquate. Dans ce cas, les preuves à fournir sont : le lien de subordination avec l’employeur, la réalisation de tâches productives, l’absence de rétribution, etc.
Rémunération
Il n’existe pas de rémunération minimale légale.
On parle généralement de gratification pour parler de la rémunération des stagiaires. Cependant l’emploi des deux termes est admis.
Aucun texte n’oblige les entreprises à rémunérer les stagiaires. Parfois, les écoles se mettent d’accord pour fixer un seuil minimal. Mais c’est rarement le cas pour les stages facultatifs.
Les entreprises bénéficient d’allègements de cotisations différents selon le type de stage et la gratification versée.
Stages obligatoires
Si la rémunération varie de 0 à 30 % du Smic : les entreprises ne versent pas de cotisations. Cette rémunération est nommée « gratification » Si elle est supérieure à 30 % du Smic : les entreprises versent les cotisations patronales et salariales sur la totalité de la somme versée.
Stages facultatifs
Si la rémunération est nulle, les entreprises versent les cotisations patronales calculées sur 25 % du Smic. Si elle est inférieure à 25 % du Smic, les entreprises versent les cotisations patronales sur 25 % du Smic. Si elle est supérieure à 25 % du Smic, les entreprises versent les cotisations patronales et salariales sur la totalité de la somme versée.
La réalité
Pour les étudiants de premier cycle, la rémunération des stagiaires est généralement nulle.
En second et troisième cycle, elle est souvent égale à 30 % du Smic, montant maximum pour lequel l’entreprise est exempte de charges.
L’étudiant peut cependant obtenir d’autres compensations substantielles avec diverses indemnités journalières (transport, ticket-repas, etc.).
Pour les stages en Europe centrale et orientale, l’entreprise d’accueil peut contribuer au paiement du loyer et des frais de transport.
Certains secteurs tels que le droit, la publicité, le tourisme ou le luxe sont très peu rémunérateurs (de 0 à 500 € par mois), tandis que d’autres comme la finance ou l’informatique permettent d’obtenir des indemnités de stage allant jusqu’à 1500 € par mois pour les étudiants de grandes écoles en fin d’études.
Le Conseil économique et social chiffre à 800 000 le nombre de stagiaires chaque année. De son côté, l’Apec estime que 90 % des diplômés de niveau bac + 4 et plus ont effectué au moins un stage au cours de leurs études, 50 % en ayant effectué trois ou plus.
Par ailleurs, la durée des stages s’est allongée. Les formations de troisième cycle recommandent ainsi des stages d’une durée de quatre à six mois.
Des formations d’écoles de commerce ou d’ingénieurs incitent quant à elles leurs étudiants à effectuer des stages d’un an dans le cadre d’années "de césure". Pour une majorité d’étudiants, la durée totale de travail comme stagiaire au cours de leurs études dépasse aujourd’hui un an.
La multiplication des stages pour les étudiants et l’allongement régulier de la durée des études ont fourni aux entreprises, administrations et associations une quantité croissante de stagiaires.
Confrontées à une conjoncture économique difficile, les employeurs ont peu à peu appris à utiliser cette main-d’œuvre dont la rémunération n’est pas obligatoire.
Le "contrat moral" initial du stage, mi-pédagogique, mi-professionnel, s’est peu à peu perdu, au profit d’une logique d’utilisation de compétences à un coût sans rapport avec la réalité des coûts de main-d’œuvre.
Il est aujourd’hui fréquent que les stagiaires occupent de véritables postes de travail, sans aucune dimension pédagogique. Plus grave, des stagiaires se succèdent parfois indéfiniment sur un même poste remplaçant ainsi un salarié permanent.
Confrontés à un marché de l’emploi caractérisé par un très fort taux de chômage des jeunes, les stagiaires acceptent d’occuper des postes de salariés. Près de 25 % des jeunes actifs sont touchés par le chômage (Insee, 2005) et préfèrent travailler « gratuitement » comme stagiaires plutôt que de renoncer à leur insertion dans le domaine dans lequel ils se sont spécialisés.
Plus grave encore, de nombreux diplômés prolongent artificiellement la durée de leurs études à la seule fin de continuer à effectuer des stages !
La proposition
Afin de faire cesser une dérive constante vers une exploitation des stagiaires qui éloigne ceux-ci du champ pédagogique, notre proposition est donc d’instaurer un statut et une rémunération des stages en entreprise.
Seraient exclus du système de rémunération :
- les stages "d’observation" de très courte durée ,
- les stages des élèves du secondaire,
- les stages de la formation professionnelle continue des salariés,
- les stages des étudiants en contrat d’apprentissage,
- les stages des étudiants en contrat de professionnalisation.
Pour tous les autres, un système de rémunération progressive serait mis en place, qui assurerait au jeune effectuant un stage long d’être en capacité de vivre décemment.
Après une période où la non-rémunération pourrait être acceptable (un mois), une montée en charge du salaire apparaîtrait, proportionnelle à la durée du stage, pour atteindre au minimum le Smic après une présence effective dans l’entreprise de six mois.
Selon la durée du stage prévue dans la convention une rémunération minimum
Moins d’un mois pas de rémunération minimum
Jusqu’à trois mois 30 % du Smic
Jusqu’à quatre mois 40 % du Smic
Jusqu’à cinq mois 60 % du Smic
Jusqu’à six mois 80 % du Smic
Six mois est plus : Smic
Au-dessus de 30 % du Smic, la gratification se transformera en salaire, l’employeur devra alors régler des charges sociales afférentes, participant ainsi à la protection sociale de son stagiaire.
Statut
De plus, la position du stagiaire dans l’entreprise et la définition de ses droits et devoirs seraient définis par un « statut de stagiaire » relevant du droit du travail, au même titre que les statuts d’apprentis ou de contrat de professionnalisation.
Ce statut, appuyé sur un contrat de travail à durée déterminée (la durée du stage) encadrera la relation employeur/stagiaire.
La responsabilisation de l’employeur quant aux buts pédagogiques du stage passera par la désignation par l’employeur d’un tuteur.
Le stagiaire, lui, devra respecter le lien de subordination avec son tuteur et produira en fin de stage un rapport d’activité remis à l’entreprise, et à l’institut de formation dont il dépend, évaluant les acquisitions de compétences réalisées pendant le stage, l’accueil et la qualité du tutorat mis en place.
Enfin, un délai de carence entre deux stages sur un même type de poste évitera la transformation d’un véritable poste de travail en une succession de stages.
Alain Renaldini, secrétaire fédéral 17 "emploi-formation professionnelle"
Merci à
J.-F. Fountaine, premier président de région pour avoir initié le projet
et à
Blandine Hulin PS île de Ré, suppléante du député M. Bono,
Anne-Laure Jaumouillé MJS La Rochelle,
Yann Lequeue MJS La Rochelle,
Christophe Philipponneau PS La Rochelle
pour leur participation
11 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON