Statistiques et médias, une mauvaise alchimie
Fumer augmente les risques d’avoir un cancer. Manger gras augmente les risques de maladie cardiaque. Manger épicé augmente les risques d’avoir des hémorroïdes. Ne vous êtes-vous jamais posé de questions à propos de résultats scientifiques présentés dans la presse et exhibant des chiffres parfois abscons ?
Nous parlons ici en particulier des résultats statistiques, souvent en médecine, sur le modèle que l’on pourrait appeler du "résultat général" : x augmente les risques de y de z %. Il semble que, pour tout x et y, il soit possible de faire une publication scientifique pour décider de la valeur de z. Nous aussi, jouons avec les chiffres.
Plus clairement et par l’exemple, disons que x est "passer au moins deux heures par jour devant un ordinateur" et y "avoir un gros bouton vert sur le bras droit". Alors trouvons un échantillon de 1000 personnes dont 500 passent plus de deux heures par jour devant un ordinateur. Il nous suffit de déterminer z, et de publier ça dans un journal. Ensuite, la presse généraliste s’emparera du "chiffre", et dénoncera les risques que nous fait prendre notre nouvelle société électronique. Ce sera scientifiquement prouvé, nos enfants auront plus de gros boutons verts sur le bras droit que notre génération ! Une révélation, un scoop.
Rassurez-vous, il est probable que z vaille 0, c’était pour l’exemple. Mais en voici d’autres, des exemples, réels :
- x = "la cigarette", y = "présenter un excès de graisse à la taille", z = 1800 [source]
- x = "manger des frites entre 3 et 5 ans, plus d’une fois par semaine", y = "développer un cancer du sein à l’âge adulte", z = 27 [source]
- x = "l’obésité", y = "développer un cancer du pancréas", z = 72 [source]
- x = "naître d’un père âgé de plus de 50 ans", y = "devenir schizophrène", z = 200 [source]
- x = "fumer", y = "contracter une dégénérescence maculaire", z = 100 [source]
- x = "le traitement antirétroviral", y = "’infarctus du myocarde", z = 17 [source]
- x = "la prise de l’antidépresseur Seroxat", y "suicide", z = 600 [source]
- x = "prendre la pilule", y = "développer un cancer du sein", z = 200 [source]
C’est en général alarmant. Par exemple, concernant cette étude sur les effets de la pilule, et son traitement médiatique, il y a de quoi réagir. La "découverte" du lien entre cancer du sein et prise de la pilule contraceptive, a été largement exploitée par la presse généraliste cet été. Les médias ont eu très peu de recul par rapport à cette information et ont paru ignorer les effets que peuvent avoir de telles annonces sur les femmes concernées. Même si, admettons-le, ça n’est pas une généralité puisque l’Humanité par exemple citait un médecin :
« Ce n’est pas une nouvelle », commente Marie-Claude Zalamansky, médecin et présidente départementale du Mouvement français pour le planning familial, agacée par ce qu’elle considère comme un faux scoop médiatique. « Ça ne changera rien du tout à la façon de prescrire ce médicament », conclut-elle [...]
Finalemet, c’est cela. Evoquer de telles statistiques dans la presse constitue de faux scoops. Que signifie le fait que les jeunes filles qui mangent des frites présentent plus de risques de développer un cancer du sein ? Les parents doivent-ils priver leur fillette de frites ? Le fait est que pour tout x, on trouvera un y tel que z soit supérieur à 0. Pour ceux qui n’aiment pas le formel, disons que, quoi que vous fassiez, vous augmentez vos risques pour une quelconque chose. Après tout, plus vous vivez plus vous augmentez vos risques de mourir.
Ce mauvais traitement médiatique des résultats scientifiques est d’autant plus frappant qu’il vient de paraître une étude, avançant que plus de 50 % des études statistiques sont probablement fausses (voir New Scientist). Remarquez que c’est quelque peu paradoxal, à la manière du paradoxe du menteur, et que les pourcentages traduits plus haut dans cette note sont peut-être faux également. Néanmoins, il en ressort que si l’on prend au hasard deux tels articles scientifiques, probablement l’un d’entre eux aura des résultats erronés.
Quel crédit leur apporter alors ? Solomon Snyder, neurophysicien et éditeur de Proceedings of the National Academy of Sciences déclare :
« Lorsque je lis ce genre de littérature, je ne la lis pas comme le texte d’un livre. Je la lis pour en retirer des idées. Donc, même si quelque chose est faux dans l’article, s’il présente les bases d’une idée nouvelle, c’est quelque chose d’important. »
Mais comment les journalistes lisent-ils ce genre de littérature
généralement ? Comme des scoops potentiels scientifiquement fondés. Le public visé, lui, n’a plus qu’à avoir peur de vivre. Malgré la volonté initiale d’informer, cela ressemble plus à du
terrorisme médiatique, avec la paranoïa qui l’accompagne. Alors faites attention, vous prenez des risques, ils l’ont dit dans les journaux...
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