Statues déboulonnées, nouvelle humanité assurée
La vague de soi-disant « idées à la con » en provenance des mairies dirigées par les écologistes et leurs alliés doit être prise au sérieux. Loin d’être des maladresses, ces prises de position répondent d’une manière claire et décomplexée à une volonté profondément ancrée dans les esprits de certaines courantes d’idées, et qui a comme objectif de refaçonner l’être humain afin de l’améliorer. Pour cela, le déraciner et l’isoler au nom du Progrès, donc pour son bien, est une étape incontournable. Les adversaires seront rapidement ghettoïsés dans la catégorie « fachos » afin non seulement de disqualifier leurs arguments, mais surtout de contrôler toute opposition et pensée libre. Leur idéal n’est pas la démocratie mais la post-démocratie, et leurs méthodes ne sont pas nouvelles.
Déboulonner les statues et regime change
La dernière déclaration du nouveau maire de Rouen Nicolas Mayer-Rossignol suscite les inévitables et, au bout d’un moment, lassants débats sans fin. Napoléon Ier réduit à nouvelle icone démoniaque par les sempiternelles âmes errantes du Progrès, toujours à la recherche d’un chimérique « point Goldwin » en sauce française. On dirait qu’ils sont jaloux des Allemands, des Chinois, des Italiens et des Russes, qui eux, ont goûté au totalitarisme, le vrai, pas celui que l’on prête à Napoléon Bonaparte et qu’on tente de dénicher, Bernard-Henri Lévy aidant, dans les écrits de Maurice Barrès, de Charles Péguy et de Charles Maurras.
Déboulonner Napoléon pour le remplacer avec une figure féminine. Et pourquoi pas ? Jeanne d’Arc, par exemple, qui fut brûlée à Rouen, ça leur parle ? Ce serait un beau geste en un monde noyé dans la laideur. Mais soyons solidaires des autres pays, et avançons une autre idée afin d’honorer cette France ouverte au monde que l’on nous chante : Elena Ceausescu leur conviendra-t-elle ? Nous aimons la culture, en France, l’élégance et une certaine idée de la grandeur historique : pourquoi pas la martiniquaise Joséphine de Beauharnais, née aux Trois-Îlets ? Proche des Révolutionnaires, elle fut amie de Charlotte de Robespierre, la sœur de Maximilien de Robespierre, et, une fois épouse de l’épouvantable Napoléon Bonaparte devenu empereur, elle ouvra activement afin de favoriser la création d’instituts de charité et d’améliorer le statu de la femme en lui permettant de s’impliquer davantage dans la vie sociale française.
Dommage que sa statue de Fort-de-France ait été sauvagement fracassée par une poignée d’abrutis, le 27 juillet 2020, signe que non, pas toutes les femmes ne sont les bienvenues dans le Panthéon du progressisme.
Pourtant, le nouveau maire socialiste et écologiste de la ville de Maurice Leblanc et de Gustave Flaubert n’est pas un ignorant. Son parcours humain et politique nous montre une personne douée, capable et pleine d’énergies. Ancien étudiant en biologie moléculaire à l’Ecole Normale Supérieure et à Standford, il intègre par la suite le Corps des mines et travaille à la Commission européenne. Proche de Laurent Fabius, il devient le plus jeune président de région en 2013, à seulement 36 ans.
Ils sont loin d’être des nantis, ces dirigeants, et il faut les prendre au sérieux - chose qui n’a visiblement pas encore été faite par leurs adversaires, lesquels se contentent à soulever le scandale sans rien de plus. Les déclarations et les programmes des maires des grandes métropoles mondialisées ne relèvent pas d’un quelconque dérapage ou maladresse. Ils sont clairs et assumés, et ils prospèrent sur la faiblesse d’une France fatiguée, d’une classe politique et culturelle sciemment médiocre et d’une « opposition » de droite qui est sur la défensive depuis quarante ans, devenue conservatrice molle, réactionnaire moisie et peureuse d’être accusée de fricoter avec le clan des le Pen.
Les leurs ne sont guère des « idées à la con » débitées plusieurs fois par jour, sans filtres. On déboulonne des statues et réécrit l’Histoire lorsque la révolution est en cours, pas avant. Il n’y a rien de conséquence de grotesque dans les externalisons anti-sapin de Noël d’un Pierre Hurmic (avocat, ancien de Sciences Po Bordeaux et élève de Jacques Ellul), ou d’un Grégory Doucet qui qualifie le Tour de France de « manifestation machiste et polluante », et qui refuse de participer à la cérémonie du Vœu des Echevins de Lyon au nom de la laïcité tout en se rendant, le lendemain, assister à la pose de la première pierre de la nouvelle mosquée de Gerland, truelle à la main. Elles font au contraire partie d’un programme, d’une idéologie cohérente et profondément ancrée dans l’histoire des idées, et qu’elle accompagne les êtres humains depuis l’aube des temps. La nature humaine étant considérée comme imparfaite, il faut la modifier. Les prières n’ont pas l’air d’avoir fonctionné – on se retourne vers la nouvelle religion de la Science, qui pourra assurer un Progrès réel, concret et immédiat.
Cette idée a pris plusieurs noms et s’est modifiée au fil du temps, mais elle est toujours là, croix et délice de l’humanité, suscitant les plus grands espoirs et ouvrant la voie aux totalitarismes les plus féroces. Elles sont les « vertus chrétiennes devenues folles » dont le monde moderne serait, selon Keith Chesterton, remplis. Il s’agit alors de créer une nouvelle humanité en modifiant le Réelle afin de façonner les représentations dites sociales. Un mélange explosif de rationalisme, de millénarisme, de calvinisme sécularisé et de marxisme appliqué à tous les champs de la vie et de la pensée humaine.
Déboulonner des statues, utiliser les femmes une fois de plus en arguant que c’est pour leur bien (ah ! le vieux paternalisme !) s’ils brûlent ce qu’ils ont jadis adoré et adorent ce qu’ils ont jadis brûlé, rebaptiser délicieuses tête-de-nègre en pleine pandémie BLM, demander à Omar Sy de jouer Arsène Lupin dans la nouvelle série Netflix afin de rendre le personnage crée par Leblanc plus en phase aux nouvelles idéologies diversitaires[1], tenter d’interdire corridas et courses camarguaises, appeler à l’établissement d’un revenu universel, décrédibiliser les traditions locale mais pas celles importées, attaquer par tous les moyens la famille en la désignant « traditionnelle », donc nuisible en un monde qui se veut constamment tourné vers l’avenir… tout afin de créer un « Homme nouveau ».
Une nouvelle religion
Le rêve des êtres humains est, au fond, religieux. Leur mythe de référence est Prométhée : il vole le feu de la connaissance aux Olympiens pour le donner aux humains, raille le tout-puissant Zeus et accepte avec orgueil d’en subir le châtiment. Le tout parce qu’il souhaite prendre la place du chef des Olympiens. Et pourtant, Prométhée ne fut guère ami des Humains, pas davantage que Marat fut « l’ami du peuple ». Le Titan utilisa les êtres humains afin de mener son combat contre Zeus et devenir le nouveau maître de l’Olympe. Ainsi le père des dieux châtia les insolents : Prométhée fut enchaîné à une roche au milieu des montagnes du Caucase et son foie dévoré chaque jour par un aigle, tandis que les hommes reçurent un cadeau beau et empoisonné, Pandore, la première femme.
La mythologie grecque nous apprend beaucoup de choses sur la nature humaine ; c’est pour cela qu’elle est de moins en moins enseignée. Il faut refouler cette histoire encombrante et souvent sombre, violente, faite de guerres et d’intrigues, et la remplacer avec une histoire où les Européens sont les éternels protagonistes de l’esclavage, des massacres et des persécutions. On refoule la Tragédie grecque, qui n’est rien d’autre que la reconnaissance de la tragédie de la nature humaine, inévitablement limitée et imparfaite, et on tente de changer de régime, d’élire Prométhée maire du Village global. Sa promesse électorale : vous serez tous des dieux, me chers Humains. Elon Musk n’en dit pas moins, mais avec une pointe d’élitisme d’inspiration calviniste, car pas tous auront accès au paradis artificiel du transhumanisme.
Au nom du dogme du Progrès, le sacrifice semble toujours légitime. Et la première chose qui doit être sacrifiée sur son autel est l’Histoire, le passé, lequel doit être réécrit afin de contrôler le présent et de façonner le futur souhaité. Pour cela faire, il est nécessaire d’atomiser une société, la rendre « liquide » selon l’expression utilisée par le sociologue et philosophe Zygmunt Bauman. Déraciner le sujet, le transformer en individu détaché de tout ce qui l’a façonnée afin de le reconstruire et lui conférer une nouvelle identité postmoderne, adaptée pour un monde instable e précaire. La société où il vivra sera aussi -post : post-démocratique, post-genre, post-religieuse… post-humaine ? Tel fut l’héritage du communisme, des « valeurs devenues folles » du matérialisme historique, des Jacobins, des Illuministes, des Humanistes. « Du passé faisons table rase, le monde va changer de base, nous ne sommes rien soyons tout » chante l’Internationale, et c’est là le seul et unique programme des adeptes du culte du progressisme.
Mais de quel passé parlent-ils ? D’un passé sélectif, bien entendu. La réécriture de l’Histoire n’est point une table rase – c’est une destruction sélective et sciemment calculée qui faut prendre au sérieux. Car la gauche française, qui s’était jadis autoproclamée maître du temps et du Destin humain, a rendu les armes pour une poignée de votes et des postes à l’université, abandonnant le prolétariat au profit des minorités, de l’écologisme et du néolibéralisme. Trop statiques, ces prolos, trop attachés à leurs champs, ces agriculteurs. Ils ne comprennent rien aux bienfaits des frontières poreuses, à l’abrogation de la souveraineté, au libre marché, à l’UE, à l’OTAN. Ils sont pauvres – on va les enrichir.
Désormais, à Jean Jaurès à l’Assemblé nationale, cette gauche porte-drapeau du Progrès préfère Greta Thunberg à Davos, à Che Guevara et à ses luttes de libération Beyoncé et ses déclarations antiracistes, à Anatole France et ses doutes Edouard Louis et ses névroses, à Brigitte Bardot et sa féminité toute française Virginie Despentes et son entichement (tardif) pour Assa Traoré.
Tout ce qui structurait la gauche républicaine de jadis, enracinée et patriote a été délibérément broyé. Ils n’assument plus rien, et surtout pas le colonialisme que leurs aïeux radicaux et républicains ont promu au nom du « devoir [des races supérieures] vis-à-vis des races inférieures, […] le devoir de civiliser les races inférieures » de Jules Ferry dans son discours à l’Assemblée nationale, le 28 juillet 1885. Pourtant, cette névrose d’aller « éduquer » les autres afin de les confirmer à un idéale, demeure, plu fort que jamais, à travers l’action des ONG et de certains programmes d’Erasmus + dont les financements se doivent de respecter les critères que l’UE a choisi, et qui ne correspondent surtout pas au contenu des projets proposés.
Le progrès social a été sacrifié au nom du progressisme sociétale. Autrement dit : afin de « libérer » le sujet, il fallait détruire la société qui l’avait vu naître, car accusée d’en empêcher l’épanouissement. Le résultat ne s’est pas fait attendre, et on a obtenu la transformation du sujet en individu en une communauté où plus rien n’unit ses membres, communauté qui s’est réduite à fait sociétal où seules les interactions, de plus en plus difficile et source de mal-être, car aucune communauté ne put surgir d’un ensemble d’individus-rois.
Ainsi les « élus » rêvent, suivant les militants BLM et antifas états-uniens, de déboulonner des statues considérées témoignages d’un passé retenu insupportable afin de permettre l’évènement d’un nouveau monde, ouvert et apaisé. Le tout tandis que les rares d’usines françaises encore présentes sur le territoire métropolitain sont également déboulonnées afin de permettre l’émergence d’un nouveau monde libre, ouvert et où l’individu doit pouvoir s’adapter perpétuellement afin de prouver son « ouverture d’esprit » et son amour pour le changement, seul antidote contre la ringardise et le repli sur soi.
America first, France second
Les liens historiques que la France et les Etats-Unis entretiennent sont particuliers. La façade atlantique des deux pays a permis des échanges économiques et culturels importants, et la présence de colons français dans ce que deviendront par la suite les états méridionaux des USA et au nord, au Québec, favorise la circulation d’informations et idées. Les mouvements d’idées entre les deux nations n’en finissent plus de nous surprendre. L’Illuminisme français influence les élites des Treize colonies ; la guerre d’indépendance des colons, dont la victoire est largement redevable à l’aide français dispensé par Louis XVI, inspire les futurs révolutionnaires français de 1789 ; en 1886 la France fait cadeau aux USA de la statue de la Liberté, en hommage aux cent ans de la Déclaration d’indépendance américaine ; à la fin de la Première guerre mondiale, tandis que les poilus et les Anglais tenaient le front, les boys diffusaient le jazz et la culture américaine dans l’arrière-garde, leur valeur au combat laissant à désirer.
Les USA ont globalement une idée favorable de la french attitude, ce mélange de légèreté, grâce et libertinage décomplexé assaisonné d’intellectualisme. C’est une image d’Epinal, bien entendu, qui correspond davantage à une certaine culture parisienne qu’au reste du pays, mais qui est largement plus appréciable que l’image que donnent Paris, Marseille et Avignon au touriste, venu découvrir les accordéonistes au long de la Seine et les artisans qui produisent le fameux savon de Marseille et qui découvrent au contraire des hordes de délinquants, des quartiers devenus inaccessibles et des Français constamment au bord du burnout. Les Japonais, touristes ou étudiants, en savent quelque chose.
La France voulue par nos élites rangées derrière les Américains depuis l’après-guerre est la mauvaise caricature des USA. Il ne pouvait pas être autrement car ils nient ostensiblement plus de mille ans d’histoire française. Parmi les résultats de ce souci du Progrès, une jeunesse entichée par le rap qui, sauf exceptions louables, dégueule des mauvais textes qui copient l’abrutissement bling-bling des périphéries des grandes métropoles états-uniennes. La France, un pays parmi d’autres qui ne doit pas avoir d’histoire autre que mondiale et mondialisante, qui doit intervenir sur tous les continents afin d’y jouer le rôle de petit-frère un peu bête du gendarme américain. Ainsi les anciens « cols Mao » parisiens des années 1960 se sont reconvertis en néocons atlantiste et appellent, au nom des Droits de l’Homme, à larguer des bombes payées par le contribuable français. Lequel n’a rien à cirer de ce qui se passe au Moyen-Orient ou en Afrique et qui n’a surtout pas envie de disloquer le pays des autres. Ce sont les « franchouillards », les « sans dents » détestés par ces élites culturelles et politiques qui virent l’émergence de l’indigeste french theory, celle du déconstructionnisme et du poststructuralisme, de Jacques Derrida à Michel Foucault, du binôme Deleuze-Guattari à celui Sartre-Beauvoir, qui débarquera dans les campus américains dans les années 1960, sera comprit tout de travers et sera recraché en France sous forme de gender studies, décolonialisme, postmodernisme et transhumanisme ; comme d’habitude, les élites françaises, à la fois jalouses et soucieuses de se montrer « ouvertes », copient les Judith Butler et gourous de la Silicon Valley avec les résultats que l’on voit.
Les cirques que les nouveaux maires des grandes métropoles mondialisées de France nous montrent chaque jour relève donc de ce retour américanisé de la pensée de certains de nos philosophes. La différence est que la fameuse maxime de Karl Marx, contenu dans ce petit et explosif texte qu’est Thèses sur Feuerbach, a été prise au pied de la lettre et appliquée à tous les domaines de la vie : « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes manières ; ce qui importe c’est de le transformer. »
Aujourd’hui, ces élites se sont données les moyens de le faire. A vos dépenses.
[1] Nous attendons avec impatience le personnage de Black Panther joué par Leonardo Di Caprio ou par Xing Yu.
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