Stop à la violence ? Chiche !
Le Département de la Réunion vient de publier en ligne, mais aussi sur plusieurs sites d’information, un petit texte intitulé : « Stop à la violence – 2023 ». L’illustration [1] évoque de récents actes de violence commis sur l’île mais, comme vous pourrez le constater, le texte en question ne propose aucune réflexion et permet simplement aux Conseillers d’apparaître comme s’étant saisis du problème, tant au travers du rappel des missions du Département qu’avec d’emphatiques appels à la non-violence.
Il est indéniable que le Département intervient auprès de la population de diverses manières qui contribuent au mieux-être des plus démunis et que cela constitue un facteur d’apaisement. Mais la violence croît constamment sous nos yeux alors que des politiciens de tout bord, sont sur le pont depuis des années — et même des décennies — à toujours faire un peu plus de la même chose, pour le résultat que l’on sait. Il est donc clair que, pour quelque raison que ce soit, les moyens mis en œuvre ne s’attaquent pas à la racine du mal.
Se pose alors la question de savoir d’où vient ce mal qui corrode nos sociétés, modernes ou postmodernes ? Pourquoi cette lente mais incessante dérive vers la barbarie ? Au petit jeu consistant à désigner un coupable, nous avons tous un ou plusieurs rois de pique à abattre. Nul doute qu’ils soient coupables car, à divers degrés, nous le sommes tous. En effet, pour l’être, il suffit de fermer les yeux quand une injustice est commise et cela d’autant plus si la victime est un enfant. Or, la société dans son ensemble s’est accommodée d’une éducation qui, jour après jour, fait violence aux enfants en instaurant un rapport de force destiné à systématiquement imposer la volonté de l’adulte.
Non seulement une telle attitude ne respecte pas la personne de l’enfant mais, surtout, cela lui offre à tout instant le modèle désastreux de la violence, serait-elle seulement vocale, comme moyen privilégié d’obtenir satisfaction et, en l’occurrence, la soumission de l’autre à sa volonté, quel que soit cet autre. Ne voit-on pas qu’à la moindre occasion la plupart des adultes se permettent de crier sur les enfants afin qu’ils leur obéissent ? Autant ceci est compréhensible de la part de parents démunis et débordés par leurs marmailles, autant c’est proprement inacceptable dans le cadre de l’Education Nationale qui, comme son nom l’indique, est censée éduquer et former les futurs citoyens.
Dans une démocratie, ceux-ci devraient, en principe, apprendre à régler leur conduite sur des lois ou des règles connues à l’avance car discutées puis convenues, y compris pour ce qui, en cas de transgression, a trait aux conséquences, c’est-à-dire, aux sanctions. Autrement dit, en démocratie, les élèves ne sont pas censés se soumettre au fait du prince, ils ne sont pas censés grandir dans l’Ancien Régime. Or c’est précisément cela qui se passe dans l’Education Nationale : le principe est que l’élève s’y trouve soumis au bon vouloir de l’adulte « tout puissant » qui, dans l’immense majorité des cas, apprécie seul et décide en tout arbitraire des punitions ou sanctions à appliquer — ou pas — à l’occasion de tel ou tel comportement perturbateur. La preuve en est que la sanction la plus courante — les cris et/ou coups de gueule de l’enseignant adressés à un ou plusieurs élèves — n’a jamais été autorisée par un quelconque règlement alors que, surtout dans les écoles, la plupart des adultes s’en servent ad libitum, y compris en maternelle, afin d’impressionner les marmailles et les rendre dociles... en les terrorisant.
Il faut y insister, de la violence de ce système éducatif, nul ne peut se prétendre totalement innocent. Pour autant, la généralisation de cette « maléducation » — qui habitue l’enfant à la violence des rapports humains et l’incite ensuite à adopter le rapport de force comme moyen privilégié d’obtenir satisfaction — ne nous dispense pas de chercher des responsables parmi ceux qui sont au pouvoir ou ont du pouvoir et pourraient changer le cours des choses. Que font les politiciens, les gouvernants, les dirigeants des institutions concernées ?
Que ne voient-ils qu’un mode d’éducation démocratique est seul digne d’une société qui se prétend démocratique ? En faisant le choix d’instaurer un rapport de force adultes-élèves les premiers ne peuvent que s’épuiser et y perdre leur voix alors que les seconds, qui disposent d’une énergie inépuisable, se trouvent incités par cette logique même, à s’enhardir au moindre signe de faiblesse et à tenter de prendre le dessus. Quand la « règle du jeu » des rapports humains c’est la domination ou la toute-puissance des uns sur les autres, comment s’étonner que la violence se propage ensuite dans la rue, comme dans la vie quotidienne, tant professionnelle que familiale ?
Oh bien sûr, l’institution éducative n’est pas seule en cause, mais elle est seule défaillante car elle seule a officiellement mission d’éduquer. La violence intra-familiale peut bien être imputée aussi à l’éducation prodiguée par les familles, mais ces dernières ne sauraient en être tenue comptables comme se doit de l’être l’institution qui envoie au front des enseignants peu ou pas formés sous le rapport du cadre éducatif dont ils n’ont, pour la plupart, qu’une vague idée. Le pire advient toutefois à la pause méridienne, lorsque les hussards de la République abandonnent le terrain aux employés municipaux. C’est alors quasiment la loi de la jungle qui prévaut entre les marmailles tant ces adultes mal formés et mal encadrés peinent à garantir la sécurité et, après s’être égosillés en vain, se résignent à regarder ailleurs pendant que les élèves s’agressent mutuellement.
Il me semble qu’il est urgent de déclarer la paix au sein des établissements scolaires. Nous ne pouvons raisonnablement attendre que d’édifiantes évocations de Gandhi changent les adultes au point qu’ils deviennent des modèles de non-violence pour leurs élèves et nous ne pouvons pas non plus espérer éduquer les élèves à la maîtrise de soi, à l’empathie ou je-ne-sais-quoi dans un cadre éducatif basé sur le rapport de force avec, par voie de conséquence, zéro empathie et zéro maîtrise de soi de la part d’enseignants épuisés et au bord de la crise de nerf. Nous avons besoin de mesures efficaces pour instaurer au plus vite un authentique vivre ensemble en paix au sein des établissements car, décidément, nous ne pouvons pas continuer sur cette mauvaise pente. Le fait est qu’en dépit d’améliorations significatives obtenues ces dernières années pour la profession d’enseignant, il n’y aura bientôt plus assez de personnel tant les exécrables conditions de travail — induites par l’intensité croissante et, surtout, le caractère quasi-incessant du stress qu’amène l’effort pour canaliser la conduite des élèves — poussent à renoncer à ce beau métier. Les enseignants craignent à tout instant de se voir contestés dans leur autorité et il n’est pas rare qu’ils se trouvent mis en échec par des jeunes qui ont depuis longtemps pris le pouvoir sur leurs parents. Il est temps d’apprendre la démocratie au sein des établissements, non pas dans l’abstrait, mais dans l’acte — qui est de loin le meilleur modèle. Il est temps d’apprendre à construire des accords qui, parce qu’ils deviendront une loi consentie et reconnue par tous, feront que chacun se tiendra volontiers à sa place sans que violence lui soit faite. A défaut, la montée de la violence ne pourra être endiguée et nous débordera.
Si vous pensez qu’il y a là du bon sens, alors dites-le, saisissez-vous de l’idée et exigez l’instauration d’un fonctionnement authentiquement démocratique au sein des écoles. Les parents et leurs enfants pourraient être les premiers intéressés, mais ils ne seront pas les seuls à y gagner car la paix née du consensus est bénéfique à tous.
Elle ne nécessite que des règles claires et détaillées avec des sanctions correspondantes qui, parce qu’elles auront été discutées et convenues par tous, à l’avance, permettront à l’enseignant de réguler la conduite de l’élève au moindre écart sans lui faire violence, puisqu’il s’agira de quelque chose à quoi il aura déjà pleinement consenti. Le respect de la personne de l’élève tient simplement à cela : a) le fait qu’il puisse librement débattre des règles et sanctions à adopter, b) le fait qu’il ait accepté de faire sienne la décision collective, qu’elle ait été unanime ou issue d’un vote majoritaire et c) le fait de voir ou de savoir que la règle est appliquée à tous sans exception. C’est le cœur de métier de la démocratie. Nous le connaissons tous très bien car nul n’est censé l’ignorer. Il n’y a donc qu’à retrousser les manches et se mettre au travail. Nous n’aurons une authentique démocratie qu’à la condition d’avoir une éducation démocratique ! Nous n’avons pas d’autre issue au problème de la violence que de tenter d’aller au bout de cette irréfragable logique de paix issue de l’accord préalable.
[1] Je profite de l’ambigüité pour indiquer que l’image ci-dessus est tirée du site du Mouvement de la Paix.
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