Sud Radio et l’intérêt limité de la libre parole
Depuis la rentrée, Sud Radio a lancé son opération « Ouvrez-là ! » avec l’espoir de faire remonter ses audiences. Ainsi, pour cette première partie de saison, Sud Radio a pu dévoiler et diffuser ses nouveaux programmes très axés autour de la libre parole donnée aux auditeurs. Avec des thèmes volontairement sujets à controverses (immigration, sécurité, allégeance aux armes, DSK et le lobby juif, islam…), une volonté de pourfendre le politiquement correct sur un angle provocateur, ainsi que l’arrivée de Robert Ménard, le buzz fût garanti.

Seulement voilà. Après plusieurs mois en ébullition, la courbe d’audience replonge dans ses travers. Selon les derniers chiffres révélés par RadioActu.com, l’audience de la station est en recul de 25% par rapport à la période septembre-octobre. Concrètement, ce triste score représente 0.6% de part d’audience et aux alentours de 320 000 auditeurs quotidiens.
Sud Radio avait pourtant, lors de sa rentrée 2011-2012 et après s’être fait accorder par le CSA le droit d’émettre à Paris, mis les petits plats dans les gros en ouvrant très largement l’antenne aux auditeurs. Un bon moyen de créer le buzz facilement et de remplir ses cases horaires à très bas coût. Eric Mazet, mis à pied par la station début septembre pour avoir « incité » les auditeurs à se lâcher sur les rapports entre l’affaire DSK et le lobby juif, l’a lui-même constaté dans un entretien accordé à RadioActu.
A propos de l’organisation de son émission Libre Parole, l’animateur concède : « Il y a un réel problème de moyens : tous les auditeurs que j’ai accueillis à l’antenne n’étaient pratiquement pas briefés. J’avais une standardiste qui me servait d’assistante une heure par jour, donc on n’avait pas le temps de préparer une émission. Un vrai talk-show de fin d’après-midi comme ça, sur un thème d’actualité chaud, ça se prépare. Normalement il y a toute une équipe : un chef d’édition, un rédacteur en chef, des journalistes qui travaillent dessus, des gens qui s’occupent de caler les auditeurs, de les briefer, de les conditionner. Moi je n’avais rien de tout ça. Je peux même vous dire que le jour de l’émission, j’avais un réalisateur qui était stagiaire, ou en tout cas qui commençait un CDD de quelques jours et qui n’avait jamais travaillé. » Et de souligner que Michel Cardoze, le co-animateur de l’émission, n’était même pas présent en plateau et qu’ils se voyaient par web cam…
Ce constat pourrait également s’appliquer à l’émission matinale de Robert Ménard, Ménard en liberté, où le journaliste est seul à l’antenne à faire réagir, durant 1h30, les auditeurs (qu’il faut même parfois démarcher si l’on en croit les dires de Jean Robin, ex-assistant de Ménard qui a quitté la station au bout de quatre jours). Ainsi, ce qui devait arriver arriva (et nul besoin de préciser que la station n’attendait que cela) et deux dérapages furent à déplorer : le premier, ouvertement raciste, d’un auditeur pensant que DSK aurait pu se payer autre chose qu’une « négresse », le second, moins virulent mais qui a fait beaucoup plus de bruit dans la mesure où la station en a profité pour en inciter de nouveaux.
Mais au-delà des dérapages potentiels se pose une vraie question : les avis des auditeurs sont-ils intéressants ?
Car la plupart du temps, c’est le vide intersidéral. Quand la ménagère de 40 ans ne se perd pas en clichés et en lieux communs tirés des émissions de Delarue, le Français moyen du bistrot prend le cas de son pote Dédé pour une règle immuable applicable à l’ensemble du pays.
Non pas que l’avis des journalistes soi-disant experts soit plus intéressants, mais il faudrait juste un minimum de modération et de recadrage pour que cela soit tolérable. Or comme le rappel Philippe Sage, Sud Radio est loin d’avoir les moyens suffisants pour gérer ce problème, à l’inverse de RMC ou encore de Radio Courtoisie (pour le bagage culturel des animateurs).
Dans un article sélectionné sur le site du Nouvel Obs, il poursuit son raisonnement : « Quant à la liberté d’expression qui est souvent invoquée, elle ne peut exister sans responsabilité, réflexion et culture (quelle qu’elle soit). On ne peut pas dire n’importe quoi, n’importe où, en s’abritant derrière la liberté d’expression. C’est une chose précieuse qu’il faut protéger. La liberté d’expression, ce n’est pas vomir, ce n’est pas haïr, ce n’est pas insulter. Ceux qui vous font croire le contraire sont les ennemis de la liberté d’expression. Je crois que nous venons de les trouver. Ils ne sont pas simplement auditeurs. Ce sont aussi ceux qui promeuvent leurs propos. »
Ainsi l’on peut assister à des heures de contenus vides de sens où l’on passe du coq à l’âne et où l’on ressort plus abruti à chaque intervention des appelants. Même lorsque des intellectuels ou spécialistes plutôt dissidents (Thierry Messan par exemple pour le 11 septembre) sont appelés à la rescousse, ils se retrouvent bien vite confrontés à des gens qui ne maîtrisent pas les questions posées et se contentent de déblatérer des lieux communs sans aucun argument solide. Quid des protagonistes et acteurs de la société civile (chefs d’entreprises, milieux associatifs, politiques, médicaux, libéraux, étudiants ou religieux) ? Évidemment, le citoyen lambda est beaucoup plus susceptible de déraper et est donc bien plus intéressant pour la station (et, de ce fait, totalement inintéressant pour l’auditeur).
Alain Soral en a d’ailleurs fait les frais ce mois-ci lorsque, interrogé par Ménard sur le sujet des violences faites aux femmes, il s’est retrouvé face à une auditrice lui parlant du cas de sa voisine ainsi que face à une responsable de Ni putes ni soumises lui expliquant que le principal problème en France était l’excision… Connu pour son langage cru, l’auteur de Comprendre l’Empire ne manquera pas de se plaindre de n’avoir eu affaire qu’à « deux idiotes » au cours de ce semblant de débat à sens unique.
Tout ceci explique sans doute la lourde chute d’audience de Sud Radio par rapport à son explosion éphémère de la rentrée. Les auditeurs, loin d’être dupes, se sont bien vite détournés de cette machine à buzz prétendant donner la parole au peuple. On a vu le résultat…
Christopher Lings ( Enquête & Débat )
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