Suez-GDF : un parfum de scandale autour d’1,25 milliard d’euros
Victime d’un litige privé avec une filiale d’Albert Frère, Jean-Marie Kuhn, un entrepreneur français, mène une enquête minutieuse qui lui fait lever un lièvre politico-financier hors du commun. « D’ordinaire, en matière de corruption, « ils » sont plus malins », commente un expert... LA SUITE D’UN ARTICLE PUBLIE SUR AGORAVOX
mystères
français...
Le
21 janvier dernier, RELATIO révélait quelques informations (non
démenties depuis) qui ont jeté troubles et embarras dans quelques milieux
financiers, judiciaires et politiques. Au moins 1,25 milliard d’euro d’argent
public français aurait servi à enrichir le milliardaire belge Albert Frère !
Comment ?
Les fils n’étaient pas tous démêlés... Pourquoi ? Seule une enquête
officielle pourrait le dire...
Mais les
questions posées méritaient des réponses qui ne sont pas venues, en dépit des
démarches effectuées au plus haut niveau de l’ÉÉtat par le plaignant... qui a vu sa
plainte rejetée à la vitesse grand V d’une façon pour le moins troublante.
Ne
voulant pas tomber dans les pièges de la médiatisation, refusant d’être
instrumentalisé politiquement, d’abord soucieux de régler ses propres affaires,
l’entrepreneur français à l’origine de ces découvertes (bien malgré lui)
voulait conserver l’anonymat et tenter « d’épargner à
Mais,
« trop c’est trop » : il a parlé, à visage découvert. Sous l’œil
d’une caméra. En présence de témoins. En exclusivité pour RELATIO. Et il a
ouvert ses volumineux dossiers. « D’ordinaire, en matière de
corruption, ils sont plus habiles », commente un expert qui a étudié à
fond ce dossier...
L’homme
n’a rien ni d’un « faiseur » ni d’un provocateur ni d’un
contestataire ni d’un anarchiste. Il gère ses affaires avec le souci
d’être en accord avec son éthique de vie et se lance volontiers dans des
aventures entreprenariales conformes à ses idéaux. Il aime la vie simple. Et il
se veut un citoyen conscient de ses devoirs et soucieux de servir au mieux les
intérêts de son pays.
C’est
sans doute d’ailleurs parce qu’il n’est pas de la race des « cannibales »
(de plus en plus nombreux en cette ère de l’hypercapitalisme financier)
qu’il s’est fait escroquer dans une tractation commerciale où le
« meilleur » est celui qui sait le mieux jouer... avec les règles du
jeu.
Quand la
franchise, l’honnêteté, la bonne foi deviennent des handicaps, salut les
dégâts ! La morale et les appels à la moralisation sont plus des
thèmes de prédication politique que des principes d’action...
Mais
lui, Jean-Marie Kuhn, 52 ans, c’est au nom de la morale et pour réparer
le préjudice dont il a été victime qu’il a mis en place une veille des
affaires d’Albert Frère et qu’il a été conduit à jouer (si l’on peut
dire) aux détectives...
Plongée
dans un décor d’affaires « en or », avec des personnages
« renommés », des jeux subtils du « je te tiens, tu me tiens par
la barbichette », des intrigues, des dessous de tables. Avec aussi des
enseignes célèbres : Groupe Albert Frère, Quick, Eiffage, Suez, Gaz de
France, Caisse des dépôts et consignations... Avec encore quelques-uns de
ces apparentements terribles entre « affaires » et
« politique » qui contribuent plus que tout peut-être à
décrédibiliser nos démocraties européennes.
Cela
vaudra peut-être un jour un livre : un thriller politico-financier... dont la
fin n’est pas encore écrite !
Quand la
police des capitaux et la « justice financière » seront aussi bien
équipées que la « police scientifique » et sauront rendre visibles ce
que cachent les sociétés écrans, les filiales bidons, les secrets bancaires,
les paradis fiscaux, les manipulations informatiques, de nouvelles séries des
Experts vont faire grimper l’audimat...
En
attendant, voici une ITW de ce héros bien malgré lui d’un épisode étonnant et
détonnant : « L’énigme belge de la fusion Suez-GDF ». Avec
une bonne dose de mystères français.
« À
Bercy, on m’a suggéré de porter plainte : cette affaire est extrêmement
grave »
RELATIO : Vous êtes qui exactement, Jean-Marie
Kuhn ?
Jean-Marie KUHN : Je suis dans les affaires. Immobilières et autres. En
cela, je suis un entrepreneur qui participe à la vie économique et
sociale du pays et je tente de concilier mes intérêts personnels, mes idées,
mes aspirations et ce que je crois être l’intérêt commun. En
l’occurrence, et sachez que cela me coûte de le dire, je suis une victime de
pratiques que je trouve scandaleuses.
-Votre dossier impressionne, par son volume et par ce qu’il
contient.
À l’origine, tout part d’un litige
privé...
-Oui. À l’origine de l’affaire, il y a la signature
d’une convention entre la société GIB et moi-même. GIB est une société belge,
qui appartient aujourd’hui, principalement au groupe Albert Frère. Et cette
société a signé une convention au terme de laquelle, elle devait
réparer un préjudice me concernant. Cette convention a été signée en l’an 2000
et n’a jamais été honorée. Selon mes avocats, cette convention, en fait,
n’avait été signée que pour obtenir le retrait de ma plainte au pénal en
Belgique.
-Votre litige se montait à combien ?
- À 22,5 millions d’euros. Un manque
à gagner à la suite de malversations dans une affaire de reprise de sociétés.
C’est parce qu’ils ont reconnu ce manque à gagner que les dirigeants de GIB ont
voulu eux-mêmes réparer ces « dégâts » par cette convention.
Personnellement, j’ai fait confiance. Pourquoi aurais-je dû me méfier ?
J’avais affaire à des gens crédibles...
-Pourquoi n’avez-vous pas réglé ces
litiges devant les chambres de commerce par les circuits normaux ?
-Cette convention n’ayant pas été
mise en œuvre, je me suis d’abord rapproché d’un actionnaire de référence, à
savoir BNP Paribas qui, en 2002, l’a étudiée et a procédé aux investigations
qui s’imposaient. Et là, coup de tonnerre, BNP a pris deux décisions
spectaculaires. La première, celle de ne pas donner suite à ma demande et la
deuxième, celle de sortir de GIB. Ce qui fut fait sans tarder et la
participation a été cédée au groupe Albert Frère qui était déjà largement
présent dans le capital de GIB au moment des faits, et représenté au Conseil
d’administration par Gérald Frère, fils d’Albert Frère. En se désolidarisant
ainsi des comportements du groupe Albert Frère, les juristes de BNP
PARIBAS m’ont écrit « comprendre que
-Vous avez donc saisi
-La démarche auprès de BNP Paribas n’ayant abouti qu’à me
conforter dans le bien-fondé de ma demande, se posait alors le problème de
faire exécuter ladite convention par voie judiciaire. Je voulais saisir
-Quelles affaires ? Et comment avez-vous eu les
informations dont vous faites état ?
-Quelles affaires ? Celle notamment qui fait la une des
médias économiques aujourd’hui, je veux parler de SUEZ et GDF... Comment en
suis-je arrivé là ? En essayant de comprendre pourquoi mon litige avec
Albert Frère, important pour moi, mais relativement léger pour le groupe belge,
restait ainsi sans solution, en l’air. Aux États-Unis, j’aurais fait appel à un
cabinet d’avocats qui emploient des détectives. En France, si vous voulez
comprendre ce qu’il vous arrive, il faut parfois jouer soi-même les détectives,
pratiquer ces investigations forcément longues et difficiles, tenter de
décrypter des choses qui vous dépassent. J’ai passé deux ans, 2003 et
2004, à tenter de comprendre. À démêler des fils. À trouver des pièces
d’un puzzle à reconstituer... Ce n’est pas faute d’avoir multiplié les
interventions, mais on m’a toujours promis des choses qui ne sont jamais
venues. Et dans ce qu’il faut bien appeler mon « enquête », je me suis
intéressé de plus en plus près aux activités d’Albert Frère en France. Des
activités qui se sont étonnement étoffées et multipliées, puisqu’il est
devenu présent dans des affaires telles que Eiffage, Suez, GDF, Quick, etc. Tout
naturellement, je me suis dit : « mais lorsque l’on ne tient pas
parole dans un dossier, pour un montant aussi faible pour Albert Frère, comment
veut-on ou peut-on se comporter convenablement dans des affaires nettement plus
importantes, avec des sommes en jeu autrement plus impressionnantes ? »
Je me suis dit aussi : « pourquoi moi, aurais-je été la seule
victime d’Albert Frère ? » Logique, non ?
-Et ce que vous dites avoir découvert dépasse l’entendement.
-Que l’État, par le biais de
-Vous êtes arrivé à cette somme comment ?
-Le groupe Albert Frère et
-C’est le genre d’opérations courantes, non ?
-
-Pourquoi un tel « cadeau », à votre avis ?
-À part pour enrichir Albert Frère aux frais du
contribuable, je ne vois aucune autre raison... Mais il ne s’agit-là que d’une
opération parmi d’autres... Je crois que nous vivons une époque difficile, et ce
qui se passe au niveau du pouvoir d’achat, du chômage, des inégalités, de la
faiblesse de la croissance et la dureté de la vie, font qu’aujourd’hui, plus que
jamais, de telles pratiques ne devraient plus avoir cours. Mais le plus
troublant est à venir...
-C’est-à-dire ?
-Parlons de Quick, cette chaîne de restauration rapide
qu’Albert Frère a cédée en novembre 2006, à
-Et qu’a rapporté Quick à Albert Frère ?
-Une trésorerie importante et un Taux de rendement interne
de 237 %, dissimulé sous une présentation plus acceptable en l’affichant à 60 %
en taux annuel composé...
-Je ne comprends pas tout dans ces
« dissimulation », mais visiblement, ce peut être juteux, la
restauration rapide...
-Effectivement, encore des cadeaux. Et j’imagine mal
-C’est là que vous glissez sur un autre terrain
dangereux, celui des affaires et de la politique...
-Ce n’est pas moi qui glisse sur ce terrain-là... Moi j’en
reste aux faits, aux constats et aux « coïncidences » et je ne crois
pas au hasard. L’année
-Toutes ces mécaniques comptables se résument mal en un
entretien. Nous publierons un dossier en annexe par souci d’information en
laissant bien sûr le soin aux experts de juger de la justesse de vos additions,
multiplications et pourcentages... Ce qui me semble important, c’est le pourquoi
de cette attention portée à Albert Frère, de ces « cadeaux ». Si je
vous suis, je suis amené à penser que l’État a apporté tout cet argent afin
qu’Albert Frère se renforce dans Suez et devienne incontournable...
-Les faits parlent d’eux-mêmes...
-
-. Bien
entendu, je me suis rapproché de Bercy. Du temps de Thierry Breton et de
Christine Lagarde. Thierry Breton était ministre lorsque ces opérations ont été
conclues et Christine Lagarde est la ministre de la concrétisation de la fusion
GDF-Suez pour laquelle les décrets nécessaires viennent d’être publiés en
décembre 2007.
-Vous oubliez un autre ministre des Finances qui peut être
au moins indirectement concerné : Nicolas Sarkozy qui, alors qu’il était
ministre de l’Économie et des Finances en
-Vous avez raison. Cette décision a été le point de départ
du processus de fusion Suez-GDF. On peut remarquer aussi sans en tirer aucune
conclusion que Nicolas Sarkozy était présent à toutes les étapes
cruciales du processus : ouverture du capital de GDF lorsqu’il était aux
Finances en 2004, vote de la fusion en 2006 lorsqu’il était président de l’UMP,
et arbitrage en faveur d’Albert Frère en 2007 en tant que chef de l’État...
-L’avez-vous informé, contacté, questionné, consulté
directement ?
-J’ai informé M. Nicolas Sarkozy de mes constats et de
mes interrogations légitimes à de multiples reprises. Lorsqu’il était
candidat à
-Comment l’avez-vous informé depuis qu’il est à
l’Élysée ?
-Par l’ensemble de ses conseillers, dont les plus proches et
les plus influents : Guaino, Guéant, Martinon, Mignon... À part des
entretiens téléphoniques où l’on me promettait une audience jamais venue, la
seule réponse écrite date du 19 juillet 2007.
-J’ai vu que vous aviez alerté l’Élysée d’une façon ou d’une
autre 109 fois, vous êtes un obsessionnel des mails, des dossiers, des coups de
fil à répétition... ?
-Non, si j’ai des obsessions, ce ne
sont pas celles-là. Je me serais bien passé de tout ça. Mais vous avez raison
de le souligner, 109 interventions ont été faites pour alerter l’Élysée. Comme
réponses écrites, j’ai une réponse plus surprenante que d’autres. Celle
d’Emmanuelle Mignon, directrice du cabinet de Nicolas Sarkozy, qui m’a opposé
une fin de non-recevoir extrêmement sèche, dans un mail, qu’elle m’a adressé le
19 juillet 2007, alors que deux jours avant il « était question que j’aie une
audience « dans les délais les plus brefs ».
-Oui, mais qu’est-ce qu’elle avait d’étonnant cette réponse,
cette fin de non-recevoir ? Ce n’est pas de la compétence du président de
-Non, ce
n’est pas de sa compétence, mais le rôle de l’État n’est pas non plus
d’enrichir un milliardaire avec des fonds publics... Au moins, sa réponse
constitue-t-elle une preuve que l’Élysée n’ignore rien, absolument rien des
faits que j’énonce...
-Considérez-vous que le président a été directement et
incontestablement informé ? L’absence de réponse à vos requêtes et
messages n’est pas forcément la preuve d’une loi non écrite du silence. Les
entourages sont d’abord des filtres...
- On peut tout de même penser et même espérer que la
directrice de cabinet engage le président... Cependant, conscient des filtres,
j’ai porté le dossier à la connaissance de Me Thierry Herzog, l’avocat
personnel de Nicolas Sarkozy, et également de Me Arnaud Claude associé au
cabinet d’avocats « Nicolas Sarkozy - Arnaud Claude ». Alors que je
les ai informés à quatre mois d’intervalle, ils m’ont fait la même réponse
écrite « n’ont pas vocation à... ». Pourtant ces deux cabinets sont
spécialisés dans les affaires financières. Thierry Herzog est l’avocat de
Nicolas Sarkozy notamment dans l’affaire Clearstream, affaire financière
emblématique s’il en est, et le cabinet de Nicolas Sarkozy traite aussi
d’affaires financières...
- Et l’Hôtel Matignon, dans ces affaires ?
-Deux périodes à Matignon : celle de Dominique de Villepin qui a saisi la Chancellerie. Nous en avons parlé.
- Et celle de François Fillon...
-Je l’ai informé personnellement par courrier UPS le 18 mai 2007. Il a chargé un conseiller de ce dossier. Le 4 juin 2007 était une journée à marquer d’une pierre blanche.
-Pourquoi ?
- Trois appels de Matignon : le premier à 9 h 31 pour me proposer une audience de 30 mn pour le 6 juin à 18 heures, un second appel à 10 h 44 pour proposer d’avancer le rendez-vous à 17 heures afin de disposer de 90 mn, et un troisième et dernier appel à 12 h 32 pour annuler le rendez-vous aux motifs que ce créneau serait occupé par le Premier ministre, et préciser qu’une nouvelle date serait fixée au lendemain des élections législatives.
- Qui est ce conseiller ? Quelles sont ses fonctions ?
-Antoine Gosset-Grainville, directeur - adjoint du cabinet de François Fillon. Il vient, du privé et était avocat - associé et chef du bureau de Bruxelles du cabinet d’avocats Gide. Il se trouve que Gide, qui a été mon conseil au début du litige avec le groupe Albert Frère, est devenu depuis le conseil habituel d’Albert Frère, ce qui n’a pas du tout empêché Christine Lagarde d’en faire le conseil de l’Etat pour la fusion...
-Après cette annulation de l’audience, avez-vous baissé les bras ?
-Evidemment non. J’ai fait délivrer une sommation interpellative par exploit d’huissier à Antoine Gosset-Grainville le 29 juin 2007 et, depuis cette date, j’ai adressé neuf courriels à François Fillon, treize à Sylvie Fourmont qui est chef de son secrétariat particulier, onze à Antoine Gosset-Grainville, et trois aux conseillers suivants : Maryvonne Caillibotte, Franck Robine et Myriam Levy...
- Avec quelles réponses à la clé ?
- Trois entretiens téléphoniques avec Sylvie Fourmont qui me promet une réponse ou une audience à bref délai, depuis... juillet 2007 !
- L’article 40 du Code de procédure pénale stipule qu’une personne détentrice de l’autorité publique doit porter immédiatement à la connaissance du procureur des faits délictuels et lui fournisse tous les éléments en sa possession. Il semble qu’il s’agisse de faits suffisamment troublants. Quelqu’un a-t-il saisi la justice ou vous a incité à le faire ?
- Oui, M. Dominique de Villepin, alors qu’il était Premier ministre, a saisi la Chancellerie dès le 19 avril 2007. M. Alain Juppé par son chef de cabinet, m’a conseillé de porter ce dossier à la justice. La Chancellerie m’a promis une réponse rapide. Mais le changement de gouvernement a interrompu la célérité et peut-être la sérénité, car mon dossier a été perdu, après un nouvel envoi et de multiples interventions j’ai enfin obtenu une réponse le 23 juillet 2007, sachant que les réponses téléphoniques ne cachaient ni la gravité des faits ni l’embarras à me répondre par écrit.
- Que dit cette réponse ?
- Elle considère qu’il s’agit d’une affaire privée et occulte totalement la partie publique pour laquelle Matignon l’avait pourtant saisie.
- Et Bercy ?
- Thierry Breton n’avait jamais daigné me répondre et, là encore, on me faisait des promesses d’audience quotidiennes jamais tenues... Mais il a pris soin de se dédouaner en déclarant le 6 octobre 2007, alors qu’il était auditionné au Sénat dans le cadre de l’affaire EADS, avoir appris la cession de Quick par la presse et non par la CDC... Christine Lagarde, elle, a désigné l’un de ses conseillers qui a travaillé pendant quatre mois sur le dossier. Mme Lagarde m’a appelé personnellement le 17 septembre 2007.
- Résultat ?
- En date du 5 décembre 2007, lors d’une réunion au ministère des Finances, il m’a été fortement conseillé de déposer une plainte, en me précisant que le haut niveau des personnalités impliquées ne devait pas me décourager mais, bien au contraire, était une circonstance particulièrement aggravante.
- Vous me dites là que c’est le ministère qui vous a conseillé de porter plainte ! Comment expliquez-vous que le ministère des Finances n’ait pas déposé plainte lui-même ?
- Je l’ignore, mais on peut penser qu’il n’a pas été autorisé à le faire... Hiérarchie oblige... Etrange, en effet.
- Je ne connais pas bien le fonctionnement interne du ministère des Finances, mais permettez-moi d’être surpris... Cela mérite des explications un peu plus détaillées, même si, je le comprendrais, vous ne voulez pas mettre en cause des gens qui en l’occurrence semblent avoir très bien fait leur travail.
- Mme Lagarde a délégué un conseiller nommé Philippe Logak, avec qui j’ai travaillé pendant quatre mois. Nous avons échangé quantité d’informations, sous formes de mails, de dossiers et d’échanges téléphoniques. Durant ces quatre mois, M. Logak m’a tenu au courant des différentes étapes. Ainsi, une enquête approfondie a été confiée à la direction juridique. Cette enquête a duré six semaines et, au vu de ses conclusions, la direction financière a été saisie par Mme Lagarde. Aux termes de ces deux rapports et de ses investigations, M. Logak s’est assuré, par un appel téléphonique du 14 novembre 2007 au soir, que je ne porterai pas plainte et que je n’exigerai pas du Minefi qu’il porte lui-même plainte. J’ai rassuré M. Logak sur ces points et il me disait en référer à Mme Lagarde et revenir vers moi sous quinzaine, le temps de trouver la solution amiable à mon problème.
- Évidemment, vous avez acquiescé, puisque votre but n’est pas de jouer les Zorro, mais d’obtenir finalement votre dû.
- Bien sûr. Et, effectivement, le 26 novembre, M. Logak m’a appelé pour me dire avec enthousiasme que Mme Lagarde avait désigné Mme Nicole Planchon pour m’arranger au mieux dans cette affaire. Et M. Logak m’a présenté Mme Planchon comme une personne particulièrement importante à deux titres :
1) dans la hiérarchie du Minefi, elle est directrice du
droit privé à la direction des affaires juridiques, ce qui est un poste
extrêmement important ;
2) elle est aussi magistrate de formation et saisit donc,
mieux que quiconque, ce qui se passe dans ce dossier
Un rendez-vous a été fixé au 5 décembre 2007, à 10 heures, au Minefi. Mme Planchon, à ma grande surprise, n’avait qu’une connaissance sommaire du dossier. Je lui ai fourni quelques explications et, après une demi-heure d’entretien, elle m’a dit, en substance : « M. Kuhn, ce dossier est tellement grave, ce n’est pas parce que des personnes haut placées sont impliquées d’une manière directe ou indirecte, qu’il s’agit à mes yeux d’une circonstance atténuante. Bien au contraire, c’est une circonstance aggravante. Je vous incite vivement à déposer une plainte, sans tarder ».
- C’est à la suite de cet entretien que vous avez déposé une plainte « contre X, contre le groupe Albert Frère et autres », avec une déclinaison collatérale, qui inévitablement rejaillit sur l’inertie de certains hommes politiques.
- J’étais abasourdi par cet entretien et j’en ai immédiatement informé M. Logak qui paraissait sincèrement surpris. Je lui ai également fait part de mon étonnement que Mme Planchon n’était pas en possession de l’intégralité de mon épais dossier, mais seulement de quelques éléments qui tenaient dans une petite chemise. Rien ne correspondait avec ce que m’avait dit M. Logak. Il m’avait assuré, le 26 novembre, que le dossier était déjà entre les mains de Mme Planchon et que le complément qui se trouvait encore dans son bureau lui parviendrait dans la journée. M. Logak a conclu notre entretien téléphonique en me disant qu’il ne comprenait pas, que tout était pourtant clair avec Mme Lagarde, qu’il était désolé et qu’il reviendrait vers moi. Nous avons ensuite eu plusieurs échanges qui montraient son embarras devant ce changement de ligne et il a fini par m’avouer que la position de Mme Planchon était devenue celle, officielle, du ministère des Finances. Fort de ces informations, j’ai donc déposé une plainte le 24 décembre 2007, en période de vacances judiciaires. J’avais, auparavant, pris soin de porter le projet de plainte à la connaissance de l’Elysée, de la Chancellerie, de Matignon et bien entendu de Bercy. C’est cette plainte qui a été classée sans suite le 11 janvier 2008 au motif d’être « insuffisamment caractérisée ».
- Un classement TGV. Avez-vous été entendu par la justice ?
- Non. L’un de mes conseils, Me Catherine Braun, avocat à la Cour, m’a fait part du classement le 11 janvier 2008. Ce classement - effectué en quatre jours, la rentrée judiciaire ayant eu lieu le 7 janvier ! -, ouvre la voie à de nouvelles actions judiciaires notamment au dépôt de plaintes avec constitution de partie civile en France et/ou en Belgique.
- Et maintenant ?
- Le 29 janvier 2008, j’ai écrit une dernière fois au président, sans réponse à ce jour. Et j’ai demandé audience à Christine Lagarde, car il est important pour mes avocats d’avoir communication du rapport d’enquête de la direction juridique et de la direction financière du Minefi. Une réponse m’avait été promise sous deux-trois jours. A chacun de mes appels, on me dit que la demande est sur son bureau, qu’elle ne l’a pas encore signée, etc. C’est la politique de l’autruche. Aussi réfléchissons-nous aux actions à entreprendre, car il est bien évident qu’un certain nombre de magistrats ont vu ce dossier aussi bien au Minefi qu’à la Chancellerie et la gravité des faits ne leur a pas échappé. J’ai même consulté un professeur spécialiste en droit pénal des affaires, professeur émérite s’il en est, qui a eu cette remarque lapidaire, après avoir longuement étudié le dossier, en me disant : « d’ordinaire, en matière de corruption, "ils" sont plus malins ». Et, là, voyez-vous M. Riot, j’étais surpris car, comme me disait un ami député, nous pensions que depuis longtemps la France était débarrassée du problème de la corruption.
- « Corruption ? Le mot est fort. « Pacte de Corruption » ? C’est encore plus fort. Et vous mettez sinon Sarkozy du moins l’Elysée en cause. Une accusation grave... Vous savez, qu’en parlant devant nos caméras et nos micros, devant nous, vous prenez le risque d’être poursuivi devant les tribunaux pour diffamation, atteinte à la dignité du président de la République et quelques autres « fariboles », comme dirait la ministre de l’Economie...
- Je n’accuse personne. Et je ne jette aucune suspicion sur quiconque. M. Sarkozy a raison lorsqu’il dit qu’il faut savoir défendre ses idées et garder un certain sens de l’éthique et de la morale. Au nom de ce sens de l’éthique et de la morale, je prends ce risque. J’attache beaucoup d’importance à la présomption d’innocence, donc loin de moi, toute idée d’accuser quelqu’un ou de suspecter quelqu’un. « Pacte de corruption » ? C’est le nom qui convient, selon moi. La justice en délibérera s’il le faut. Je n’accuse M. Sarkozy de rien. Aujourd’hui, je veux simplement dire que M. Nicolas Sarkozy a été informé par une multitude d’interventions, c’est-à-dire des envois par porteur, des mails, une sommation interpellative, adressée à Matignon et une autre adressée à un directeur de cabinet.
- Certains esprits pourraient même voir dans les silences de l’Elysée et de nombreuses personnalités non une protection du président mais une occasion de le déstabiliser un peu plus à un moment difficile pour lui à plus d’un titre...
-Que chacun voit ce qu’il veut y voir. Là n’est pas mon problème. Je réagis tel un homme floué. J’ai tout fait pour avertir les autorités concernées sans jamais privilégier une exploitation politicienne, car la France vaut mieux que cela. J’ai aussi fait montre d’une patience qui d’ailleurs nuit considérablement à ma vie professionnelle et personnelle. Je ne suis pas un Don Quichotte. Et je vous le redis je suis victime et non procureur.
- Vous allez continuer à alerter les politiques. Est-ce que vous avez saisi aussi les députés, qui font partie de l’amical de la lutte anti-corruption par exemple, « Transparency international » ou d’autres..
-Je considère l’information largement suffisante : 2 sommations interpellatives, 424 courriels, 31 courriers, soit un total de 457 interventions, qui ont donné lieu à 16 réponses écrites et à un classement sans suite. Je ne parle pas de la multitude d’entretiens téléphoniques qui ont donné lieu, pour certains, à des confidences édifiantes... On peut quand même dire que ce dossier, qui est maintenant un dossier complet et étoffé, se heurte à une inertie politique qui pose vraiment un problème et bien des questions. J’ai réellement travaillé d’une manière très dense et les faits ont été avérés, recoupés, vérifiés... Et comme je ne voulais pas que ce dossier pollue les échéances électorales, j’ai accepté, à la demande de certains élus UMP, de laisser passer la présidentielle puis les législatives. J’ai renoncé à faire valoir et prévaloir mes intérêts privés au bénéfice de l’intérêt supérieur de la nation. Et, au fur et à mesure que les mois ont passé, le dossier s’est étoffé, s’est aggravé et un certain nombre de complicités passives, pour ne pas dire plus, se sont révélées au grand jour. Aujourd’hui, on me suggère « attendez les "municipales" ». Et après quoi d’autre ? Non... Je suis devenu impatient, chacun peut le comprendre.
- Qu’est-ce qui vous tient le plus à cœur en ce moment : c’est de récupérer l’argent que vous avez perdu ou que justice soit faite sur un plan général ?
- Quand vous êtes un petit entrepreneur et qu’il vous manque une telle somme pendant autant de temps, naturellement vous souhaitez qu’un jour réparation soit faite. Vous ne pouvez imaginer à quel point j’ai été freiné dans mes projets et les dommages collatéraux sont nombreux, importants et indélébiles. Je veux donc récupérer mon dû et mon honneur et je remuerai ciel et terre pour y arriver. Ma détermination est totale et comparable à celle de M. Sarkozy dans l’affaire Clearstream, qui ne lui a pourtant pas coûté d’argent et qui ne l’a pas empêché de devenir président. Je n’ai ni haine ni amertume contre quiconque. Deux personnes ont le pouvoir de faire réparer immédiatement mon préjudice : Albert Frère, en tant que patron de son groupe, et le président de la République qui peut et doit intervenir auprès d’Albert Frère pour que celui qui est devenu incontournable grâce aux fonds publics ne traîne pas plus longtemps de telles casseroles liées à un capitalisme immoral que notre président, M. Nicolas Sarkozy, dit vouloir assainir. »
(ITW recueillie par Daniel Riot et Sandrine Kauffer et texte des réponses relu par l’interviewé et l’un de ses conseils)
L’AFFAIRE SUR RELATIO
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