L’Agence France Presse a publié le 1° février une dépêche qui, hélas, semble être passée inaperçue. Et pourtant celle-ci ne manquait pas d’intérêt. A travers l’excellente santé financière affichée par les gros bonnets du commerce, elle posait à nouveau, en filigrane, la question de l’éventuelle robotisation de l’individu que l’on recherche à isoler dans la plupart de ses actes quotidiens, dans le seul but – toujours le même malgré la soi-disant crise – de gros profits financiers.
Elle mettait ainsi en exergue l’action de l’une des importantes composantes de cette mutation en devenir, à savoir les grandes enseignes commerciales. Après avoir assassiné le « petit commerce », celles-ci, toujours aussi voraces, se sont lancées, avec la complicité des pouvoirs publics, à l’assaut du centre des villes afin d’y installer leur système de consommation automatique, souvent inutile ou superflue, dans une atmosphère de désert social, et à travers un monopole insupportable.
« Après une année 2008 record en terme d’ouvertures de nouveaux magasins au nombre de 625 … » indiquait l’AFP, « … près de 738 projets de centres commerciaux et galeries marchandes de plus de 5.000 m2 devraient ouvrir en 2009, soit sur quelques 8,5 millions de m2 » ajoutait-elle citant une source recueillie auprès de Procos, la Fédération pour l’urbanisme et le développement du commerce spécialisé. Suivait un commentaire de Pascal Madry directeur des études de la dite Fédération, dans lequel il est constaté « …que depuis 1996 et la loi Raffarin, une augmentation linéaire de projets d’ouvertures de surfaces commerciales et qu’il y en a toujours plus chaque année".
La loi Raffarin, mise en place pour protéger le petit commerce et dynamiser le centre-ville, préconisait que pour tout établissement de plus de 300 m2, une autorisation d’implantation devait être demandée aux commissions départementales d’équipement commercial (CDEC) et à la Commission nationale (CNEC).
« Mais au fil des ans, écrivait encore l’AFP, les autorisations étaient accordées de plus en plus facilement, et l’an dernier, plus de 80% des projets déposés aux CDEC ont obtenu un blanc-seing, selon les fédérations de commerçants. »
"Si on met en rapport la courbe des m2 créés chaque année et la courbe de la consommation des Français, on constate qu’on crée plus de m2 que nécessaire", aurait ajouté M. Madry, précisant que "l’essentiel des nouveaux commerces appartiennent aux enseignes de la grande distribution".
La situation pourrait s’aggraver car le gouvernement, poussé par la Commission européenne, vient partiellement de réformer la loi Raffarin, permettant désormais aux surfaces de moins de 1.000 m2 d’ouvrir sans autorisation. Une aubaine pour les grandes enseignes qui multiplient les nouveaux concepts de magasins de « proximité » de cette taille.
Et l’AFP de dévoiler que « …Système U a d’ores et déjà annoncé son intention de créer cette année trois fois plus de surfaces commerciales qu’en 2008. Pour sa part, le groupement de commerçants Les Mousquetaires (Intermarché, Bricomarché, Netto, Vêti) entend ouvrir 150.000 m2 supplémentaires de magasins en 2009, soit deux fois plus que l’année précédente. Enfin Leclerc table sur plus de 200 nouvelles parfumeries, Brico-Jardi, Manèges à Bijoux et autres Leclerc Express. »
"L’objectif était de faire entrer de nouveaux discounters, notamment étrangers, mais les grandes surfaces en ont profité pour multiplier leurs magasins. On ne peut pas à la fois dépenser autant d’argent pour ouvrir de nouveaux magasins et dire qu’on ne peut pas baisser les prix", aurait souligné sur le sujet Jean-Paul Charié, président de la Commission d’examen des pratiques commerciales. Selon ce dernier « … l’Autorité de la concurrence pourrait contribuer à assainir la situation. Comme le souhaitent les associations de consommateurs, elle peut ordonner à une enseigne de céder des magasins en cas de position dominante dans une zone de chalandise et a un droit de regard sur les opérations de rachat de magasins au niveau local.
L’information se termine sur « …l’accélération des ouvertures des magasins de hard-discount en 2008, avec 6,6% de m2 de plus en 2008 par rapport à 2007, selon une autre étude réalisée par l’hebdomadaire spécialisé LSA. »
A bien lire ces lignes, il apparaît donc que dans les mois prochains et malgré le marasme immobilier annoncé à grands cris, plus de mille hectares du sol français seront accaparés par ces enseignes, énormes verrues qui, après avoir défiguré les périphéries des villes, s’apprêtent à empoisonner leur cœur.
Mille hectares réservés à des vautours de haut vol, nichés dans « la consommation à grand débit et… forcée », alors que bon nombre d’immeubles abritant hôpitaux, palais de justice et …casernes, sont appelés à disparaître illico presto, des terres de l’hexagone. Mille hectares d’investissements qui laissent entrevoir que les euros abondent dans les caisses de quelques-uns des champions du Cac 40 qui ont affiché la bagatelle de 8 milliards 500 millions d’euros de bénéfices pour 2008. Mille hectares pour des usines à vendre tout et n’importe quoi, depuis la pince à linge jusqu’à l’automobile ou des vacances aux Seychelles, à des consommateurs, véritables automates pris au piège du surendettement, sous le prétexte du confort. Des hectares supplémentaires qui finiront d’étouffer l’épicier, le boucher, boulanger ou le cordonnier du coin qui aime tant discuter avec ses clients, tout en accordant quelquefois du crédit aux plus assidus d’entre eux. Qui finiront par chasser des rues et des quartiers dans les grandes villes ou villages, les chants, sourires et jovialité des marchés hebdomadaires en plein air. Des hectares supplémentaires qui permettront de peser un peu plus sur le chantage exercé par la grande distribution sur les petites entreprises et agriculteurs du pays, devenus au fil des ans ses esclaves.
Voilà longtemps que les banques, leurs succursales et les Super ou Hyper marchés étaient, avec la publicité télévisuelle, les agents destructeurs de la civilisation de la convivialité, d’un art de vivre à l’échelle humaine. Promoteurs de la surconsommation, ils ne cessaient d’offrir, à très court terme, le bonheur au chaland. Lui promettre en quelque sorte d’être sur le champ propriétaire de biens que ses ascendants avaient mis une vie à acquérir. Sans jamais, bien sûr, lui dévoiler le revers de la médaille, à savoir l’endettement.
Or depuis peu et à travers toutes les manifestations qui se succèdent en France, comme ailleurs, il apparaît que ce même chaland, quelquefois inconsciemment, se met à rejeter ce système de vie. Sera-t-il entendu ? Pas si sûr, hélas.