Système - Opinion publique - Grandes causes
« L'opinion publique est la clé. Avec l'opinion publique, rien ne peut faillir. Sans elle, rien ne peut réussir. Celui qui manipule les opinions est plus important que celui qui applique les lois. »
Abraham Lincoln (1809-1865), 16e président américain
Le système d’exploitation et de contrainte, capitaliste depuis trois siècles, instrumentalise l’opinion publique pour arriver à ses fins. En effet, la domination du petit nombre sur le grand nombre a besoin d’un « pseudo » consentement de la part de la masse.
Pour l’obtenir, le système met en lumière et promeut des causes « humanitaires » qui, tellement « évidentes », charitables et flatteuses pour la dignité humaine, deviennent rapidement des dogmes, des vérités imposées (révélées) qu’il est interdit de mettre en doute ou de contester sous peine de sanctions (mise au ban, exclusion, excommunication). Il s’agit le plus souvent de « sauver » tout ou partie de l’Humanité.
L’adhésion et la participation à ces « croisades » ne peut se négocier. Au mieux, il est possible d’en discuter les modalités, d’envisager quelque orientation mineure… Le système utilise de multiples agents (personnel politique, medias, intellectuels, économistes, juristes, experts,…) pour tenter de justifier sa démarche et d’imposer ses vues.
Au-delà du discours officiel humaniste policé, le but ultime de ces « croisades » est une exploitation et une domination accrues des masses : le profit à tout prix. L’exemple de « sauver le Tiers-Monde de la misère » nous servira de guide pour montrer qu’il s’agit surtout de « sauver » le système.
Sauver le Tiers-Monde de la misère
Dès 1943, les grandes entreprises américaines redoutent une perte drastique de débouchés à la fin de la deuxième guerre mondiale car, inévitablement, l’Europe reconstruira son industrie[1]. Ainsi, l’ouverture des marchés des pays issus de la dislocation des empires coloniaux anglais et français pourrait constituer une alternative.
« Les États-Unis ont alors l’idée de devenir les nouveaux colonisateurs, en se substituant aux empires coloniaux anglais et aux français, mais sans dire le mot ‘colonisation’ qui commence à avoir mauvaise presse ; c’est alors qu’ils vont inventer le mot ‘développement’, en tant qu’alternative au mot ‘colonisation’[2] ».
Ainsi, les États-Unis vont-ils se présenter comme les leaders d’une croisade pour le développement censée éradiquer la misère et apporter le bonheur dans les ex-colonies renommées « pays sous-développés » à cette occasion. Dans le cadre de la guerre froide, les États-Unis se positionnent en tant que bons samaritains du « Monde libre » en opposition aux communistes susceptibles d’amener l’oppression bureaucratique du « rideau de fer ».
En janvier 1949, lors de son discours sur « l’état de l’Union », Harry Truman[3] définit les bases d’une idéologie nouvelle censée permettre aux États-Unis, puissance mondiale émergente, d’asseoir son impérialisme[4].
Par le développement
Truman « promet » aux pays sous-développés un rattrapage[5] rapide du niveau de développement des États-Unis, s’ils se conforment aux prescriptions des experts occidentaux. En d’autres termes, s’ils se soumettent à l’impérialisme américain, ils bénéficieront d’une sorte de fordisme[6] caractérisé par la consommation et la production de masse. Le développement devient dès lors un dogme qui ne pourra être mis en cause sous peine d’excommunication. Qui oserait s’opposer à un processus visant le bonheur de milliards d’êtres misérables, malades, incultes, presque primitifs ?
Il se produit alors une mobilisation sans précédent de ressources financières, matérielles et humaines pour mettre en œuvre le processus de développement qui consiste :
- à produire de la croissance par le biais de l’industrialisation par substitution des importations,
- à urbaniser les populations,
- à « moderniser » les structures sociales en détruisant la société traditionnelle,
- à construire un État-nation…
Officiellement il s’agit d’occidentaliser le Tiers-Monde. En réalité, pour les pays sous-développés, cette croisade avait pour but d’instaurer un nouvel ordre mondial dominé par les Etats-Unis, reléguant les anciennes puissances coloniales au rôle de supplétifs.
Le mirage du développement
À intervalles réguliers, les agents du système ont mis en lumière des exemples de miracles économiques comme celui de la Côte d’Ivoire de Félix Houphouët-Boigny. Lesdits miracles se sont le plus souvent déroulés à crédit. Ils se sont alimentés de prêts accordés généreusement par les pays du Nord et, principalement, par les banques privées internationales qui recyclaient les pétrodollars issus du choc pétrolier de 1973.
L’euphorie développementaliste a permis d’étendre le marché des firmes multinationales du Nord, d’endetter le Tiers-Monde et d’y façonner les structures sociétales et politiques pour les rendre compatibles avec le capitalisme.
Lorsque le système a jugé qu’il pouvait passer à l’étape suivante, il a sonné la fin de la récréation. En 1979, Paul Volcker[7], alors Président de la FED, décide d’augmenter les taux d’intérêt. Cette mesure renchérissait la charge des dettes nouvelles et d’une large part des dettes anciennes contractées à taux variable. Dès lors, il était évident que cette hausse déclencherait une crise de la dette pour le Tiers-Monde.
La crise éclatera en 1982, au Mexique, et se propagera ensuite à l’ensemble des pays du Sud.
Après la crise, la mise sous tutelle
La crise de la dette a permis de mettre le Tiers-Monde sous la tutelle des États-Unis et des institutions internationales aux ordres (FMI, Banque mondiale…). Le discours du « sauvetage » a évolué. La crise a été attribuée à la responsabilité des Etats « aidés » corrompus, n’ayant pas appliqué les bons conseils prodigués par les agents du système en développant un État rhizome … En conséquence, il était urgent de faire une plus grande place au marché, de libéraliser, de privatiser, de réduire le train de vie de l’État, de lutter contre l’inflation et, plus généralement, d’appliquer les préceptes du néolibéralisme[8] à l’image des pays du Nord avec Margaret Thatcher et Ronald Reagan.
La croisade du développement ayant échoué dans sa lutte contre la misère au Sud mais réussi dans la mise sous tutelle du Tiers-Monde par la dette, il était urgent de mettre en lumière une nouvelle cause universelle susceptible de mobiliser les masses pour engager un nouveau façonnage des structures sociétales en vue d’une exploitation et d’une domination toujours accrue. C’est ainsi que le système passa du sauvetage du Tiers-Monde à celui de la planète toute entière.
Le temps des croisades n’est pas révolu
Le système d’exploitation et de contrainte joue avec l’opinion publique pour obtenir le consentement du grand nombre. Appuyées par ses agents instrumentalisés, le système lance des croisades à consonance humanitaire qui mobilisent et fanatisent l’immense majorité des naïfs. L’exemple du développement du Tiers-Monde illustre parfaitement cette démarche qui vise avant tout une exploitation toujours plus intense de la population. Dans un prochain article, nous traiterons de la croisade pour sauver la planète du réchauffement climatique dont Margaret Thatcher est notamment à l’origine. Il conviendra, par la suite de s’interroger sur la nouvelle croisade pour l’accueil sans conditions des migrants-réfugiés qu’il faut sauver des multiples dangers qu’ils courent dans leurs pays d’origine.
[1] Voir : Susan George et Fabrizio Sabelli, Crédits sans frontières. La religion séculière de la Banque mondiale, La Découverte, Paris, 1994.
[2] Voir : Françoise Dufour, De l’idéologie coloniale à celle du développement, Paris, l’Harmattan,2010. Citation : Thierry Sallantin, « De la colonisation au ‘développement’ : un seul et même projet », http://partage-le.com/2018/05/9289/ , consulté le 26/06/2019.
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Harry_S._Truman#Prise_de_fonctions_et_fin_de_la_guerre Il convient de rappeler qu’Harry Truman a pris la décision d’utiliser la bombe atomique sur deux villes du Japon en 1945.
[4] Gilbert Rist, Le Développement, histoire d'une croyance occidentale, Presses de Sciences Po, Paris, novembre 2001
[5] Walt Whitman Rostow illustre parfaitement la thèse du rattrapage dans son ouvrage : Les étapes de la croissance économique, Editions du Seuil, Paris, 1962.
[8] Il s’agit des dix commandements du Consensus de Washington : https://fr.wikipedia.org/wiki/Consensus_de_Washington
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