Tant va la cruche à l’eau
... qu'à la fin, elle se vide !
Cette pensée profonde m'est venue à la lecture de l'article de M. Baumard dans Le Monde du 27/05/2014... (L'espoir d'une hausse du niveau en Primaire s'éloigne.)
Figurez-vous que le Ministère de l'Éducation Nationale vient de se rendre compte grâce à la DEPP (direction de l'évaluation, de la perspective et de la performance) que les élèves de CE2 de 2013 soumis aux mêmes exercices de français et de mathématiques que leurs aînés de 1999 font s'évanouir tous les espoirs d'une hausse du niveau !
Avant d'aborder le vif du sujet, je me permets quelques petites réserves d'usage. C'est la même DEPP qui a cru détecter une nette progression de ces mêmes élèves à leur entrée au CP, deux ans plus tôt, en 1997 et 2011...
J'ai eu au CP des élèves nés en 1991 et d'autres nés en 2005. En 2010, je fréquentais les forums et blogs d'enseignants de primaire depuis trois ou quatre ans. Et en 1996, je lisais les Programmes de l'école maternelle et voyais les cahiers d'exercices prévus pour les enfants de GS.
Pourtant, je n'ai absolument pas la même appréciation que la DEPP sur le niveau de ce qui était demandé en 1996 et en 2010 aux enfants qui allaient entrer au CP l'année d'après, bien loin de là !
Excusez-moi, mais je ne peux pas croire que le niveau soit monté entre ces deux dates.
Lorsqu'on se trouve face à des élèves qui entrent au CP en sachant réciter comme des perroquets l'alphabet ou la suite des nombres jusqu'à 30 et entourer le titre, le nom de l'auteur, de l'illustrateur et de l'éditeur sur la reproduction d'une première de couverture mais qui ne savent pas, comme leurs aînés de 1997, écrire en cursive, coller et découper proprement, dessiner une scène de la vie quotidienne et encore moins participer à la recherche d'une relation de cause à effet entre l'ajout ou le retrait d'une unité à un nombre et l'ordre des nombres sur la file numérique, on ne peut pas croire à cette hausse du niveau.
Et quand on a vécu les évaluations départementales GS (Un exemple ici), faites pour servir les théories à la mode, on comprend très bien comment cette hausse du niveau a pu être constatée entre l'époque où les petits enfants de cinq ans essuyaient les plâtres de la mise en pratique de ces théories et celle où des maîtres et maîtresses experts dans l'art de faire compléter des files numériques et entourer des noms de l'auteur les avaient longuement préparés à pavlover en chœur !
Tout cela pour dire que je ne garantis absolument pas que les épreuves que la DEPP a fait passer aux élèves de 1999 et de 2013 soient réellement significatives pour révéler ce que le citoyen de base entend par Niveau Scolaire de l'élève de 9 ans...
Mais, faute de données plus précises, faisons comme si...
Premier point positif :
Les enfants nés en 2005 obtiennent les mêmes scores que ceux nés en 1991 en compréhension des consignes et des textes faciles ou en reconnaissance de mots.
Ouf ! Ils savent lire ! C'est déjà ça... Voyons la suite de l'article...
En revanche, ils sont moins à l'aise avec un texte court contenant de l'implicite, connaissent moins de vocabulaire, maîtrisent moins bien l'orthographe.
Ah, ça se gâte... Ça vous étonne, vous ? Pas moi.
Les élèves de 1999, entrés à l'école en 1993 ou 1994 avaient dans les pattes trois ou quatre années de maternelle et trois années d'élémentaire, soit six à sept années de 36 semaines de 26 heures de classe.
Ceux de 2013, entrés à l'école maternelle en 2008 pour la plupart des cas (la scolarisation à deux ans ayant été retoquée par le ministre des couches et des siestes et son prédécesseur, celui de l'interdiction de la méthode globale) sont allés à l'école 432 heures de moins que leurs aînés...
Où apprend-on à comprendre l'implicite, Mesdames et Messieurs ? Qui apprend les mots recherchés aux petits enfants ? Combien de répétitions faut-il pour fixer l'orthographe d'un mot ?
L'école n'est pas une épreuve de course de vitesse. C'est un marathon dont les résultats se font sentir dans la durée. Moins d'heures de classe, c'est moins de temps pour comprendre, pour mémoriser, pour s'entraîner, pour réussir. Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre cela, quand même !
Eh bien voilà, ton article est fini, Catherine. Tout vient des 24 heures de classe, deux fois plus vite qu'à La Redoute ! Range ton clavier et va jouer aux billes...
Eh bien non, parce qu'il y a mieux... Et pire.
En mathématiques, leur niveau n'a progressé qu'en technique de la soustraction.
Aaaah ! Ça, c'est positif ! Mais d'où cela peut-il bien venir ? Les enfants de la crise peut-être, habitués par leurs parents à manquer, à perdre du pouvoir d'achat, à vivre la régression sociale... Soustraire, les pauvres, ça les connaît ! Meuuuuuuuuh non !
Ça vient d'un truc bizarre qui s'intitule Programmes de l'école primaire.
En théorie, parce que cela met toujours un peu de temps à s'installer, les maîtres des élèves de 1999 suivaient ceux de 1995. Dans ceux-ci, on lit qu'au CP et au CE1 (Cycle des Apprentissages Fondamentaux), on se contentera d'aborder la technique opératoire de la soustraction dont l'étude ne commencera qu'au CE2. Dans les faits, les manuels scolaires proposaient, au mieux, en fin d'année de CE1, une vague initiation à la technique de la soustraction sans retenue, et encore...
Le maîtres de la fournée née en 2005 ont théoriquement appliqué les programmes 2008 (même si, dans beaucoup de circonscriptions, les hiérarchies ont continué à conseiller de suivre ceux de 2002). Or, dans ceux-ci, la soustraction était à nouveau enseignée depuis le CP et sa technique posée enseignée au CE1 (seulement à partir de 2008).
Rien d'étonnant donc que les enfants de 1999 aient été moins performants que ceux de 2013. À moins qu'on en soit encore à croire que l'École n'enseigne rien et qu'elle n'a pour rôle que d'accueillir les enfants qui découvriront seuls des contenus qu'elle n'a pas à leur présenter...
D'ailleurs, en parlant de contenus et de présentation, du côté de la DEPP, ça se gâte méchamment, selon Mme Baumard. Je serais eux, je ne serais pas fière ! Parce qu'après un point stable...
Il est globalement stable en calcul et en mesure.
[logique : pas de différence notable entre les deux (ou trois) programmes...]
Donc, après ce point stable, leurs bébés, leurs fétiches, leurs créatures... montrent des signes évidents de faiblesse ! La honte, je vous dis... J'ai presque envie de l'écrire tout petit pour ne pas enfoncer dans leur cœur déjà saignant un poignard à la lame trop large ! Le coup de l'implicite et du vocabulaire a dû déjà être difficile à digérer pour des gens persuadés de "porter toute leur attention à la maîtrise de la langue française" (J. Lang, quatrième de couverture des Programmes de l'école élémentaire, 2002).
Rendez-vous compte plutôt :
En revanche, les figures géométriques, la résolution de problèmes, la gestion des données d'un tableau, le rangement des nombres sont nettement moins bien maîtrisés aujourd'hui qu'en 1999.
LEUR résolution de problèmes, celle qu'ils promeuvent depuis 2002, celle qui fait l'objet de tant d'animations pédagogiques, celle dont l'étude selon les préceptes constructivistes devait rendre tous nos élèves scientifiques, se battant pour entrer à Centrale, à Polytechnique, aux Mines... Eh ben dis donc...
Et LEUR gestion de données aussi ? Ah là là !
Et pourtant, ils en ont fait suer des élèves de maternelle avec leurs tableaux à double entrée, leurs arbres de tris, leur métacognition et tout et tout et tout !
Ainsi que LEUR rangement des nombres ? La clé de voûte de leur enseignement des mathématiques à l'école maternelle ! Six à sept ans de file numérique pour en arriver là ! Oh la honte... Pfffff !
"Je me marre", aurait dit l'ami Coluche... Allez, je n'en dis pas plus... Frapper un homme à terre, c'est laid, m'a-t-on appris quand j'étais petite. Je ferme la porte et me sauve sur la pointe des pieds... À vous, Mme Baumard.
Ces tests révèlent globalement une situation plus inquiétante en mathématiques qu'en maîtrise de la langue. Il y a quatorze ans, 40 % des élèves résolvaient correctement la série de problèmes proposés. Aujourd'hui, ils ne sont plus que 32 %. La directrice de la DEPP, Catherine Moisan, qui est aussi agrégée de mathématiques, estime que les copies des élèves pointent des lacunes en « conscience des nombres ». Aujourd'hui, seuls 65 % des enfants de CE2 savent comparer 200 + 70 + 5 et 200 + 40 + 5. « Il faut se demander si les enseignants ont assez d'outils à leur disposition », lançait Mme Moisan en présentant ces résultats.
Bon, vous avez vu, ce n'est pas moi qui piétine l'homme tombé à terre ! C'est Mme Moisan ! De la DEPP !
Chiche que je demande à mes CP et à mes CE1 de recopier sur leur ardoise le plus "grand" des deux nombres proposés aux élèves testés ? Je suis sûre du résultat. Même mes petits canards boiteux sauront faire. Et ils sauront expliquer leur choix.
Je me demande même si mon Mathieu-le-Matheux et mon Justinien-l'intello, tous deux élèves de GS, n'auront pas une petite idée...
Donc, je rassure immédiatement Mme Moisan : les outils existent.
Et d'ailleurs, ce n'est pas un problème de quantité ! Les catalogues de matériel scolaire en regorgent ! Arrêtez, ça déborde, comme disent les recycleurs de déchets ménagers...
C'est un problème de qualité...
Tant qu'on utilisera des outils qui laissent la charrue seule dans le champ en la sommant d'avancer sans avoir recours à ces pauvres bœufs qui sont trop désuets pour les enfants du XXIe siècle, tant qu'on enseignera trop tôt et mal des "savoirs de bas niveau" basés sur la récitation par cœur de notions absolument pas digérées en espérant que les enfants les abandonneront d'eux-mêmes lorsqu'ils auront compris pourquoi et comment ils ont été construits, tant qu'on fera des impasses larges comme des autoroutes sur des notions indispensables à la compréhension fine du système global, il ne faut pas espérer que les résultats remontent.
Vous avez raison, mesdames et messieurs les conseilleurs du ministère. Dans ces cas-là, il vaut mieux retarder à la fin du CE2 le premier palier de votre socle sans statue et considérer que ce qui se nommait depuis 1989 le Cycle des Approfondissements doit être débaptisé...
Vous leur avez piqué leurs heures de classe. Vous les avez considérés comme des ânes incapables de comprendre ce que leurs parents comprenaient à leur âge. Vous avez remplacé les savoirs lentement digérés par du par cœur parcellaire (les unités les plus courantes du système métrique, c'est bien vous, non ?). Vous avez persuadé leurs maîtres que participer à un concours de bouteilles plastique découpées en rondelles allait les aider à entrer dans les apprentissages bien plus sûrement qu'en conduisant avec eux un apprentissage progressif de ce qu'on vous a appris à vous, quand vous étiez petits...
Il est évident que dans ces cas-là, il vaut mieux parler de Cycle de Consolidation pour ne plus avoir besoin de se voiler la face lorsqu'on se rend compte que le niveau baisse... C'est la faute aux nouveaux publics, hein ? Ah, je te jure, le mal qu'ils nous font, ces nouveaux publics, comme dirait la dame qui se rengorgeait sur les plateaux télé, dimanche 25 mai au soir...
Finalement, je ne sais pas si vous avez honte de n'avoir pas réussi à entraîner les petits enfants nés en 2005 dans le sillage de leurs aînés de 1991 (et pourtant, 1999, ce n'était déjà plus la gloire depuis des années...), mais à moi, vous me faites honte ! Allez hop ! Je craque... À vous, Marilyne !
« TRAVAILLER DE FAÇON PLUS SCIENTIFIQUE LA COMPRÉHENSION »
Question d'autant plus cruciale que la très grande majorité des maîtres du primaire sont de formation littéraire. Pour Rémi Brissiaud, chercheur à Paris-VIII sur l'enseignement des maths, la mode de la récitation de la frise numérique en maternelle (1, 2, 3, 4…) brouille les cartes et laisse croire à tort qu'un enfant qui compte bien a conscience de ce qu'est un nombre. Pour Jean-Paul Fischer, professeur en psychologie du développement à l'université de Lorraine, s'ajoute le problème du temps consacré à la discipline qu'il estime « trop faible ». En CP et CE1, les élèves font 5 heures hebdomadaires de mathématiques contre 10 heures de langage…
En français, les évaluations de CP avaient montré que ces enfants étaient entrés en primaire avec un bon niveau en décodage (B + A = BA). Malheureusement, cela n'a rien changé sur leur compréhension de textes difficiles. Cette déficience est un vrai problème sur lequel 20 % des jeunes Français butent dans toutes les évaluations nationales ou internationales.
La tentation de revenir à une maternelle plus ludique serait une erreur, d'après les travaux de Maryse Bianco, maître de conférences à l'université de Grenoble. Pour elle, mieux on décode, plus on lit et plus on lit, mieux on lit… Un avis partagé par Michel Fayol. Depuis son laboratoire de psychologie sociale et cognitive de l'université de Clermont-Ferrand, ce spécialiste des apprentissages insiste aussi sur le fait que « les progrès de ces dernières années en décodage sont essentiels car c'est un passage obligé pour entrer en lecture ; mais l'enquête sur les CE2 nous montre que pour faire de bons lecteurs, il va falloir travailler de façon plus scientifique sur la compréhension des textes et le vocabulaire ».
« PARADOXE »
Les enseignants ont en effet été largement sensibilisés à l'importance de l'étape du décodage depuis les années 2000 et les travaux du médecin grenoblois Michel Zorman. Beaucoup d'outils ont été conçus pour aider les professeurs des écoles dans cette tâche. En revanche, « si tout le monde sait qu'il faut travailler la compréhension des textes très tôt avec les jeunes enfants et les aider à élargir leur vocabulaire, les outils manquent cruellement pour la classe, regrette Michel Fayol. C'est un paradoxe car nous sommes en pointe en recherche scientifique sur la compréhension. Maryse Bianco et son équipe ont mis au jour le type d'activités le plus efficace en la matière. Il reste à créer des outils utilisables par les maîtres », rappelle le chercheur.
Si les résultats du ministère sont une nouvelle claque pour l'école, ils ont le mérite de montrer un chemin, en mettant le projecteur sur l'urgente nécessité de transformer les résultats scientifiques en outils pour les enseignants. L'avancée sur le décodage, la stagnation sur la compréhension, voire la baisse du niveau en mathématiques ne peuvent être lus autrement. Une voie se dessine donc pour sortir des débats stériles qui, en opposant les méthodes, ont fait oublier qu'il y a des consensus scientifiques.
Reste à savoir qui sera le ministre de la diffusion des résultats scientifiques auprès des enseignants. Une réponse rapide serait bienvenue dans une école en souffrance où le maître et l'élève paient au prix fort le temps perdu.
Bon. Très bien. C'est leur avis et j'en partage au moins la conclusion. Il faut changer parce que ça ne marche pas. Pour le reste, je vous envoie aux autres articles de mon blog.
Hardi, petits ! Des nouveaux programmes ! Se basant sur les consensus scientifiques. On est d'accord.
La polémique sur les méthodes, il y en a assez. Entièrement d'accord ! Les bloqués de tout poil et de toute religion pédagogique nous fatiguent et ne font pas avancer le schmilblick. Ils nous ont tous fait suffisamment de mal !
J'appartiens à une association, le GRIP, qui est prête à participer à leur rédaction, sans polémique pour le plaisir de la polémique, sans passéisme ni ringardise.
Mes élèves participent à une expérimentation autorisée par le Ministère de l'Éducation Nationale (Projet SLECC). Ils ne présentent pas les défauts reprochés aux élèves évalués en 2013.
Je collecte actuellement les bilans de la trentaine de collègues de Grande Section ayant accepté de participer cette année à la nouvelle expérimentation, axée sur le Cycle des Apprentissages Fondamentaux, et ceux-ci sont tous élogieux.
Notre expérience peut donc servir la cause des élèves...
Alors, je me permets de plagier Mme Baumard et de conclure (presque) comme elle :
Quel sera le Ministre de la diffusion à grande échelle des résultats que nous obtenons ?
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