Téléréalité élective et « représentation », fiction collective, retour vers le passé, la France au pied de son mur
Les élections de cette année 2012 se déroulent dans un contexte historique bien particulier, étant entendu que « la crise » en recouvre plusieurs, qu’elle n’est pas seulement économique et sociale. En ce sens, le rôle du Politique (bien au-delà des préférences de chacun) est appelé au meilleur de lui-même. Pourtant, tout semble à contrario aller parfois dans une évolution inverse. Le peuple y prend aussi sa part de responsabilité.
Ainsi, les enjeux se réduisent souvent à des questions de personnes dans ce que cela peut avoir de plus stérile. Finalement, le débat de la présidentielle porta essentiellement sur l’appréciation relative à la personne d’un candidat ou d’un autre, l’aimait-on ou pas, un tel était-il à la hauteur du poste, ou pas. Bref, l’affectif et le subjectif priment désormais sur les convictions ou la réflexion. L’élaboration des "programmes" s’apparente de plus en plus à des recettes de cuisines conceptuelles réalisées en fonction de la demande des clients, les électeurs se voyant désignés comme tels et invités à noter le meilleur chef de salle, de spectacle. Le parallèle avec la Téléréalité frôle la légitimation tacite de tous. Le programme d'un candidat est survolé au même titre que le programme du jour à la télévision. L’un aura été « bon » durant tel débat pour avoir su répondre habilement à son interlocuteur, le contenu des interventions s’effaçant devant leur "effet" produit. On ne relève plus les idées. Qu'importe que cela soit vrai ou pas. La confrontation est évaluée au seul niveau des intervenants eux même. L'individualisme de la société s'incarne dans ses "représentants". Le petit écran reste à la hauteur de chacun.
Le premier à faire un bon mot au moment le plus opportun l’emportera. Que certaines phrases soient dûment et manifestement écrites par avance (« Moi Président » ou autres du camp adverse…), préalablement répétées hors plateau dans des jeux de rôle, on estimera la justesse des propos uniquement dans la forme, ou presque. Pour s’inscrire dans cette évolution perverse des débats des émissions ne rechignent plus à se formater elles mêmes dans cet état d’esprit. A l’image des boxeurs que l’on accompagne depuis la sortie des coulisses jusqu’au ring, ainsi en sera-t-il des invités politiques. De part et d’autre, chacun concourt à la qualité du spectacle. Le téléspectateur doit passer un bon moment, l’électeur aussi. Il sera « invité » lui-même, d’abord à porter son attention sur les comportements des uns et des autres, la tenue vestimentaire choisie, l’efficacité et l’art de rebondir, la capacité de « ne pas lâcher » et de rendre « coups pour coups ». Demain il y aura sondage. Le film doit être agréable à voir, intense en émotions diverses, riche en rebonds. Oui, de l’émotion d’abord. Les convictions ?
Aucun doute à avoir, les gants de boxe proposés jadis à Bernard Tapie et Jean Marie le Pen en ouverture d’un « duel » télévisé présenté par Paul Amar, tout cela est devenu acceptable, nécessaire, normal. En plein air ou sur des scènes gigantesques scénarisées comme des concerts, dans les passages en télé, seule la logique du « coup » médiatique prime. Il faut frapper, les consciences.
Cette attente et acceptation de voir ainsi des coups portés n’est pas sans une violence accrue dans les débats, violence qui se prolonge ensuite dans le Vivre Ensemble reliant les citoyens, ou ce qu’il en reste. Le rabaissement des enjeux et des comportements jusqu’au sommet de la hiérarchie représentative n’est pas sans induire ou refléter un affaissement général de la société. Alors que la réalité économique et sociale marque par des répercussions graves, qu’il s’agisse des conditions de vie des citoyens ou de la survie même d’une nation, l’heure est à la « théâtralisation » de la scène électorale, se réduisant plus que jamais auparavant à la scène, médiatique. Un projet réel pour le pays ? Non, un « programme » suffira, notion à resituer elle-même dans celle de « représentation ». La réalité n'étant pas scénarisée en cohérence avec le cadre général préfabriqué, elle sera souvent ignorée,
Il n’est pas exclu que la fréquentation et relation accrues entre le milieu politique et médiatique traduisent cette interpénétration d’un domaine sur l’autre. Le discours politique et le rendu en presse et télévision semblent parfois participer d’une même « ligne éditoriale » de gouvernance, des pensées comme des Institutions. Vraiment ?
Des millions de citoyens survivent au seuil de pauvreté ? Tâchons de trouver les bons éléments de langage pour s’adresser d’abord à tous ceux qui trouvent cela indigne et choquant. Pour ce qui est de la condition des oubliés de la société eux-mêmes, veillons à leur rappeler régulièrement combien le reste de la population se montre généreux à leur égard, en leur assurant cette survie, répugnante et humiliante. Tous ceux qui occupent encore de bonnes places (méritées ou volées à d’autres) constituent une majorité d’intérêt.
Pour réintroduire la cruelle réalité en plein déroulement du « récit » électoral et télévisuel, le pauvre reste donc le terrible grain de sable venant interrompre la marche de l’Histoire la plus avantageuse pour certains. Cette ingérence du « peuple réel » ne saurait être tolérée durablement. Ceux qui porteront prioritairement leur regard sur cette société là ne tarderont pas à se voir taxés de « populisme ». Dans cette logique d’ensemble inscrite dans un récit en lieu et place de la réalité, la réflexion ou analyse auront de plus en plus mauvaise presse. De même que l’on considère que les émissions de télévision, y compris politiques, doivent être scénarisées au mieux, de même, la presse écrite se doit d’avoir quelques accroches suffisamment « people » pour divertir de la dure réalité. L’heure est au divertissement. Les personnalités privilégiées dans les médias seront ainsi les « bons clients », autant dire, ceux qui assurent la part requise de spectacle. La vitrine politique ne représenterait donc qu’une facette bien relative au royaume du grand supermarché de tout, de tous, sauf certains.
Cette année électorale attendue comme fondamentale pour le pays marque ainsi par une grande inconsistance intellectuelle, jusque s’étonner que l’on sollicita encore la participation de 46 millions de concitoyens. Gardons que ces derniers seraient généralement conscients de la gravité de la situation, même s’ils cèdent volontiers à la tentation du spectacle. Faute de mieux ?
Bien entendu, il serait injuste de faire porter aux seuls politiques la responsabilité de cet affaissement général de la démocratie. Certes, la jouissance du pouvoir prévaut pour certains sur l’exercice et la crédibilité réels de l’action, sur les résultats, concrets. Rêvons un peu. En tout cas, la tâche d’un élu n’est pas des plus faciles. Tout peuple n'aurait-il donc que la classe dirigeante qu’il mérite ? En ce sens, la démocratie marquerait actuellement par une parfaite cohérence ? Cette tendance à se déresponsabiliser sur les élus interroge d’abord la population elle-même. On ne peut pas dire que le "parler vrai" fasse recette électorale. Le rêve est toujours élu par l'audimat. N'y insistons pas, trop. La psychanalyse serait-elle requise pour cerner la grande part de transfert dans le vote ?
Avec plus de 80 % de votants la responsabilité ne peut être que partagée dans la dégradation certaine du mode de représentation autant que dans la situation économique et sociale, morale. Tout peuple a aussi à se gouverner un peu lui-même. Accuser les élus de futilité en accordant le sérieux et la lucidité au peuple ? Non, la logique commerciale recouvrant désormais toute la société, y compris dans l’offre politique, toute la communauté nationale prend part à cette « spectacularisation » de la gouvernance.
Qui peut encore assurer que la répartition actuelle du champ politique entre « la Droite » et « la Gauche » soit fondée dans la configuration actuelle ? Chacun sait bien combien ces frontières partisanes sont devenues artificielles, voyant chaque parti contraint de fédérer en son sein les opinions les plus contradictoires. Le peuple fait semblant d’y croire. En cela aussi il est responsable. En vérité, la France actuelle ne parviendrait à se rassembler que dans des tendances à l’ouverture plus ou moins réduites ou partielles, sauf à oser reconnaître une dominante de la fermeture, au monde, à l’avenir, à l’Autre. A soi ?
Pour contourner la réalité, sa réalité, sans doute pour la dernière fois, notre pays vient donc de prolonger une fiction nationale consentie de part et d’autre, au travers de la Présidentielle et des Législatives. Il n’y aura pas eu d’état de grâce, en partie du fait de « la crise » permettant d’expliquer tout et n’importe quoi, mais aussi du fait de la dépression collective que traverse notre pays. Confusion dans les valeurs, confusion face au devenir, confusion sur les racines et l’identité, confusion face à l’Europe... Néanmoins, la France espère pouvoir vivre encore quelques temps dans son passé plus glorieux, et ignorer encore son passif d'endettement, moral aussi. Elle tenterait de se faire à une présidence « normale » afin de parvenir elle-même à se considérer plus humblement ? Le transfert encore, la France est vraiment tourmentée.
Comme le disait le Général de Gaulle, la France n’est vraiment elle-même que quand elle s’inscrit dans l’Histoire. Se replier dans une mythologie de soi même ne saurait ouvrir les portes de l’avenir. La France va devoir changer en profondeur avant que de pouvoir prétendre à nouveau changer un peu le monde, avec la puissance de sa parole. Encore faut-il que cette parole soit suffisamment claire et courageuse, à l’intérieur de ses frontières. La responsabilité des politiques sera ici déterminante. L'heure n'est vraiment plus à faire un rêve.
Oui, comme pour relativiser sa situation à ses propres yeux, la France aspire à un changement « normal », autant dire, réduit. Alors que son modèle vieillissant n’est plus que l’ombre de lui-même au prix de la souffrance de millions de concitoyens, la mutation en douceur escomptée, voire, la conservation, tout cela pourrait bientôt voler en éclat. Jusque plonger à terme le pays dans un climat de grande violence sociétale ?
Fuir la réalité au travers de « représentations » ou d’invocations quasi magiques, fuir dans le passé ou dans le rêve (même français), fuir le monde, se prêter à des rituels télévisuels en ultime échappatoire... ? Telle sera la principale défaite de 2012.
Puissions nous remporter la bataille plus essentielle, celle de la survie même de notre pays en tant que Nation, de premier plan.
Guillaume Boucard
1 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON