Télévision : une radiographie de notre Access Prime Time
On se souvient tous de l’aveu décomplexé et devenu rapidement culte de Patrick Le Lay en 2004, alors PDG de TF1, par lequel il n’hésita pas à déclarer, pour résumer l’activité économique de sa chaîne, que ce qu'il vendait à Coca Cola, c'était “du temps de cerveau humain disponible”. Si l’auteur reconnaitra par la suite qu’il aurait mieux fait de se taire, la perle dont il nous aura gratifié pour longtemps n’en demeure toujours pas moins d’actualité et s’il n’est probablement nul besoin d’études pour corroborer la véracité de cette déclaration, celles-ci semblent aller beaucoup plus loin quant à la démonstration de la nocivité générale de la télévision.
Regarder la télé nous exposerait ainsi à des :
- Altération significative de la santé (obésité, maladies cardio-vasculaires, diabète, manque de sommeil et de concentration, développement négatif de l’enfant, myopie, taux de mortalité global élevé…),
- Comportement social modifié et altération du langage,
- Exposition à des images violentes ou choquantes (un article de l’humanité-Dimanche en 2011 affirmait que celles-ci favorisaient la consommation de produits gras et sucrés affichés lors des publicités),
- Influence de l’idéologie dominante véhiculée par la télé sur le résultat du scrutin et sur la participation électorale,
- Moindres résultats scolaires pour les enfants,
- Addiction psychologique, avec en première ligne, les bébés, enfants(téléphagie), personnes âgées et garçons étudiants,
- Faible estime de soi face à la passivité d’un tel mode de vie, et tous les corollaires auxquels mènent couramment une telle dépendance : dépression, stress, mal-être, maladies,
- Diminution de l’intelligence.
Les 4 écrans
Les effets sont multiples et probablement qu’ils ne sont pas tous connus étant donné l’ajout des trois écrans supplémentaires que sont dorénavant les smartphones, tablettes et ordinateurs dans notre vie et de leurs interactions multiples, l’augmentation de la durée moyenne des temps d’écoute (3h40 en 2014 pour la télé, +17 min par rapport à 2004), la rapidité des évolutions technologiques et le peu de recul dont nous disposons sur l’impact à long terme de tous ces changements socio-culturels majeurs sur notre espèce et, pour ne pas dire -n’ayons pas peur des mots- sur l’état de notre démocratie et de notre planète...
La télévision représentant toujours la première « activité » des français avec ses 47 millions de téléspectateurs quotidien (2014), nous avons donc choisi dans cet article, à la faveur de la rentrée médiatique, de nous focaliser (de manière tout à fait personnelle) sur le contenu des émissions dites en « Access Prime Time », c’est à dire sur la « tranche » (non pas de jambon) mais « horaire » de 18-20h, qui prépare gentiment, avec force réclames, le consommateur à se détendre devant sa tant méritée fiction de 21h.
Pour rendre notre passage en revue possible, nous nous sommes concentrés sur les 30 chaînes de la TNT, ce qui en soi n’est déjà pas négligeable et sur l’horaire précis de 19-19h30, ainsi que de l’expérience que nous avons de l’écran plat (ou tube cathodique pour les plus anciens) à cette heure là.
Nous avons répertorié à peu près une dizaine de catégories, dont certaines relativement bien représentées.
L'actu
C’est le cas des émissions d’informations, assez nombreuses, qui se concurrencent d’ailleurs mutuellement, sur des thèmes assez souvent identiques, avec des lignes éditoriales selon nous beaucoup plus proches du parallélisme que de l’orthogonalité, et que leurs têtes de gondole que sont leurs animateurs vedettes system-friendly, véritables poids lourds du PAF au franc-parlé revendiqué ne parviendront pas à rendre aussi impertinentes qu’ils voudraient bien nous le faire croire... Aussi aura-t-on compris que cette diversité apparente tient en réalité plus de la façade que de la fondation, malgré les chroniqueurs récurrents experts en débats consensuels et en résolutions de quadratures de cercles politico-médiatiques*. Bien malin qui pourra ainsi répertorier d’éventuelles nuances entre des Cnews(Ferrari), des LCI(Pujadas) ou des BFM TV(Ruth Elkrieff) voire des France Info. Peut-être le décor ou la coupe de cheveux ?
C’est ainsi que l’on retrouve le bon sens de notre Yves Calvi national et son "C dans l’air"-like dénommé "Info Du Vrai", à essayer de relever le nouveau challenge Canal Plus, chaîne qui est passé en mode survie depuis l’arrivée de Bolloré, mais qui ne s’était de toute façon jamais réellement remise de la fin de leur émission phare Nulle Part Ailleurs dans les années 90. Cela commence à dater, certes, mais si le zapping(Vu) est parti sur France 2, les sénilisant guignols et miss météo eux, en dépit des aléas, sont finalement restés. Pas sûr que cela suffise néanmoins, avec 1,1 % de part de marché le 4 sept pour sa première, à relancer le fameux « Esprit Canal. »
Dessin : Steve Cutts : "la folie de l'Humanité est une inspiration infinie."
Infotainment & divertissement
D’autant plus que les jeunes se sont fait progressivement happer vers les nouveaux horizons de la TNT et les émissions d’« infotainment » qu’incarnent dorénavant Yann Barthes et son Quotidien sur TMC, qui n’hésite pas à mélanger allègrement informations, performances musicales, interviews de politiques décalés et sketches en tous genres, sur un ton assez moqueur, mais plutôt bienveillant, on est quand même sur le groupe TF1 et il y a des annonces de crossovers à vendre "on the way". Il faut croire qu’avec 6,5 % de part de marché ce cocktail fonctionne plutôt bien, faisant même mieux que le trublion Hanouna (TPMP) et son humour de cour d'école qui fait un score malgré tout honorable de 5,5 %. On ne compte pourtant plus les polémiques qui ont entaché l’émission depuis plusieurs mois avec pour effet des départs d’animateurs historiques et des sanctions du CSA à plusieurs reprises (homophobie, agressivité, humiliation, franchissement des lignes), organisme pourtant peu réputé pour sa sévérité et son temps de réaction.
Talk show
Anne-Elisabeth Lemoine, successeuse des diners mondains d’Anne Sophie Lapix sur France 5 continue elle avec ses 4,5 % du public à divertir la ménagère curieuse et servir la soupe aux célébrités diverses qui ont aujourd’hui c’est vrai bien du mal à trouver des talk show dignes de ce nom pour y faire leur promotion. C’est la crise du côté showbusiness.
La téléréalité, succès constant chez les jeunes
D’autant plus que les stars (très bien payées) de la télé-réalité ont aujourd’hui une petite tendance à prendre pas mal de place. On compte désormais 2 ou 3 émissions à cette heure dédiée à la télé-réalité, on ne présente plus Secret Story et son présentateur vedette Christophe qui se définit lui même humblement comme étant « Beau et Grand », les Anges musclés, imberbes et siliconés de la télé-réalité sur NRJ 12, censés guider la jeunesse et dans lequel je vous avoue ai personnellement beaucoup de mal à rentrer et ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé, puis « les Marseillais VS le reste du monde » de W9, dont j’ai eu la chance de pouvoir suivre leur saison entière en Amérique du sud -en raison de problèmes personnels je précise- et pour lesquels j’ai finis par développer une certaine empathie (syndrome de Stockholm ?). Je ne critiquerai donc pas les charismatiques Jessica ou Julien, devenus des véritables phénomènes de société avec leur millions de followers, ni tous les adulescents qui composent la série, basée sur des psychodrames récurrents entre cocufiants et cocufiés, dont on ne sait plus très bien lesquels sont suggérés ou organisés par la production tellement ils m’ont semblé parfois authentiques, et je ne rigole pas...
Les séries, valeurs sûres
Pour les quelques téléspectateurs qui n’auront pas cédé aux sirènes addictives des séries que TF1, 6ter, France O ou NT1 auront réussi à nous refourguer (Demain nous appartient (série inconnue mais pas très bien notée par Télérama), le H multiréchauffé de Djamel, Grey’s anatomy (série américaine à succès de Tf1), et Charmed, ancienne série qui tourne depuis au moins 15- 20 ans à vu d’œil sur le groupe M6 si je ne me trompe), il y aura bien un Pawn Star sur Cstar, dont l’homophonie subtile avec les étoiles de la pornographie n’aura probablement échappé à personne, pour s’amuser à évaluer le prix d’un caleçon porté par David Crocket en 1860 et voir les acheteurs professionnels entuber(baiser) à chaque fois des vendeurs naïfs devant le monde entier. Une belle morale capitaliste. J’ai suivi cette émission à mes heures perdues, et je me suis surpris à y trouver un léger intérêt. Cela a dû me durer trois jours.
Emissions intelligentes
Il y a bien arte ou France 4 qui avec des documentaires sur les Hippopotames de Zambie ou des dessins animés instructifs essaieront de nous divertir intelligemment, je pense au célèbre « il était une fois la vie » des années 80 qui apprend aux enfants la façon dont fonctionne le corps humain. Chapeau ! Cela existe encore…
Le Père Noël n'est pas une ordure
A moins que vous ne préfériez vous égarer du côté de « Tous pour un », ou l’émission du père Noël, qui consiste à offrir gratuitement la rénovation d’une maison à une famille en difficulté, grâce à l’entrain et au talent de Marc-Emmanuel. L’imposture symbolique de cette émission (même si basée sur des intentions charitables) n’aura peut-être pas échappé aux plus critiques d’entre vous.
Le foot, notre dernier repère
Que reste-t-il ? pas grand-chose, je passe sur une émission sur les vétérinaires, RMC (oui je suis paresseux), ou l’équipe 21 avec notre chouchoute Karine Galli et ses discussions infinies sur le transfert du PSG ou les déclarations assez profondes d’un joueur de football sur la trajectoire d’un ballon de foot et son placement subtil sur le terrain (et pourtant j’ai été longtemps fan de mon équipe avant qu’elle ne soit reléguée en ligue 2),
Karine Galli : "Dans les yeux"
La bouffe et les chansons, pour attendrir le consommateur
Il y aura les « Rois du gâteau sur M6 », qui depuis plusieurs années fait son miel des émissions gastronomiques, mais sans moi,
Et enfin, Nagui, l’indéboulonnable multifonctionnaire du service public, pas vraiment payé au lance-pierre et son éternel « N’oubliez pas les paroles ! », en tête des audiences TV (17,5%), espèce de karaoké des amateurs de chérie FM et de radio Nostalgie. Il faut croire que la chanson demeure une valeur sûre. Rien de mieux pour détendre toute la famille dans la joie et la bonne humeur, en attendant le prochain spot pour les nouveaux shampoings révolutionnaires aux vertus réparatrices d'huile de coco des Iles Vierges, répété bien entendu 75 fois, au cas oû on ne l'aurait pas cru la première fois...
Les fils de pub
Nous n’oublierons donc pas la publicité, qui représente en moyenne 9% du temps d’antenne (selon CSA), et dont l’obscénité, malgré sa routine et son institutionnalisation généralisée, pourra choquer encore les esprits non endormis.
Pour notre culture générale, nous nous sommes aventurés vers le texte de loi qui remonte aux années 90 et qui règlemente la publicité en France nous précisant étonnamment que :
- La publicité doit être conforme aux exigences de véracité, de décence et de respect de la dignité de la personne humaine.
- Elle ne peut porter atteinte au crédit de l'Etat.
- La publicité doit être exempte de toute discrimination en raison de la race, du sexe, de la nationalité, du handicap, de l'âge ou de l'orientation sexuelle, de toute scène de violence et de toute incitation à des comportements préjudiciables à la santé, à la sécurité des personnes et des biens ou à la protection de l'environnement.
- La publicité ne doit contenir aucun élement de nature à choquer les convictions religieuses, philosophiques ou politiques des téléspectateurs.
- La publicité doit être conçue dans le respect des intérêts des consommateurs. Toute publicité comportant, sous quelque forme que ce soit, des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur les consommateurs est interdite.
- La publicité ne doit pas porter un préjudice moral ou physique aux mineurs. A cette fin, elle ne doit pas :
1° Inciter directement les mineurs à l'achat d'un produit ou d'un service en exploitant leur inexpérience ou leur crédulité ;
2° Inciter directement les mineurs à persuader leurs parents ou des tiers d'acheter les produits ou les services concernés ;
3° Exploiter ou altérer la confiance particulière que les mineurs ont dans leurs parents, leurs enseignants ou d'autres personnes ;
4° Présenter sans motif des mineurs en situation dangereuse.
Pour ce dernier point, peut-être pense-t-on que, comme pour le nuage de Tchernobyl qui s'était arrêté à la frontière, la bêtise influente de nos messages publicitaires n'atteind pas non plus les enfants...
Chacun se fera en tout cas son propre commentaire sur le respect et l’interprétation très personnelle qui doit en être faite par les commerciaux, déontologues du CSA et des chaines de télévision, mais rien de tel pour finir que de répondre avec un peu d’humour par le célèbre sketch (en tous cas chez les jeunes) de Cyprien, youtubeur phare des années 2010 au dizaines de millions de vus sur la publicité :
*(pour une analyse sociologique de ce phénomène on se reportera par exemple au désormais classique essai "Sur la Télévision" de Bourdieu mais il y en actuellement beaucoup d'autres traitant du sujet du complexe politico-médiatique et beaucoup d'articles sur agoravox)
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