Cette histoire aurait pu être un scoop... si j’avais été journaliste ! A travers un exemple local, j’illustre le fait que la subordination des universités aux intérêts privés peut, contrairement aux objectifs affichés de la loi Pécresse, contribuer à anéantir leur autonomie et étouffer la démocratie. Un industriel local favorable à un projet de construction d’autoroute, pourtant censé être gelé après le fameux Grenelle de l’environnement, menace de sanctionner financièrement une université ayant publié une étude montrant l’opposition d’une majorité des citoyens au projet si elle ne dénie pas publiquement ses propres résultats. L’industriel, présent au CA de l’université, se sert de sa dotation financière pour faire chanter la direction et les chercheurs.
Petit tour d’horizon local pour
planter le décor
Il était une fois un centre
universitaire d’un département rural de la France et qui aspirait à gagner son indépendance
en étant promue université à part entière. D’abord créée comme centre universitaire
rattaché à l’université de la grande métropole
régionale pour offrir aux étudiants locaux une formation supérieure de
proximité, elle sut au fil des ans se développer en offrant, outre les filières
habituelles, des formations professionnelles en collaboration avec les industries
locales, notamment dans les secteurs de la chimie et de la pharmacie.
Dans ce département, les baronets
locaux en s’évertuant à cultiver les réseaux d’influence et en courtisant tous
les secteurs socioéconomiques parviennent à se tailler une influence démesurée
au sein de leurs fiefs. De ce fait, les projets d’infrastructures publics lancés
par les élus (autoroutiers par exemple) sont souvent intimement liés au
développement exigés par ces industriels pour faire perdurer l’activité dans la
région. A l’occasion, ces baronets usent
de leurs connivences au sein du conseil d’administration du centre
universitaire local pour nommer des amis ou des parents à des postes d’emploi
public, comme par exemple ce responsable informatique aux qualifications
décriées... mais ce n’est pas le sujet.
Du côté du centre universitaire,
les formations, notamment par apprentissage, sont de plus en plus envisagées à
l’aune du développement économique local en coordination avec les industriels
et le patronat local, qui en échange participent financièrement au
fonctionnement de l’université. Dans certains cas, des abus ont déjà lieu. Au
lieu d’embaucher, certaines entreprises patronnent des formations leur
fournissant une main-d’œuvre étudiante peu chère et ponctuelle sous couvert d’apprentissage ou de stages sans que la plus-value pour l’étudiant soit évidente. Du vrai gagnant-gagnant :
l’entreprise y gagne, l’université y gagne... mais l’étudiant et l’enseignant-chercheur
pas vraiment ! Dans d’autres cas, les « généreux donateurs »
subordonnent l’embauche de chercheurs par le centre universitaire à leurs
besoins industriels, et tant pis si une fois le projet mené à son terme, le
centre universitaire doit se coltiner à vie un chercheur dont elle a peu ou
plus besoin pour ses autres activités, tout en laissant à l’Etat le soin de le
rémunérer pendant des décennies sur les fonds publics.
Le grand journal local, dont le
patron est politiquement influent dans la région, dépend bien entendu pour sa bonne
santé financière de ses bonnes relations avec les entreprises. Ce journal est
par ailleurs accusé de ne présenter que des articles favorables à un ambitieux
projet autoroutier patronné par diverses entreprises. On se demande bien
pourquoi !
Notons qu’élus, patrons
d’industries et de presse fréquentent les mêmes cercles, font parties, des mêmes
réseaux.
La loi Pécresse vécue localement
Maintenant, ayant atteint une
taille critique et étant de plus en plus autonome, ce centre universitaire
réclame son indépendance au ministère, qui tarde quelque peu à donner le feu
vert. Pour montrer sa bonne volonté, la direction fut pilote dans la mise en œuvre
des grandes réformes UMP sur l’enseignement supérieur et accueillit la loi Pécresse
très positivement, notamment en anticipant ses partenariats avec le privé de
manière très volontaire.
Parmi les enseignants-chercheurs,
certains grognent car leur mission est de plus en plus au service de l’industrie
et des services locaux. La recherche fondamentale ou élargie à des domaines
dépassant les frontières du département passe de plus en plus au second plan, les
filières non applicatives déclinent. Ce centre universitaire se dédie donc à
devenir, avec succès, une université de seconde catégorie à ambition surtout
locale axée sur la formation professionnelle. Les opposants à la loi Pécresse
sont plutôt mal vus par la direction et les élus... mais ce n’est pas le sujet
non plus ! Patientez encore un peu, j’y viens.
Le sondage qui bouscule ce bucolique
petit tableau de la France
profonde
Ça c’était pour dépeindre le
cadre. Pour gagner de l’argent dans ce monde de brutes, une filière a décidé
d’effectuer des sondages avant les élections municipales. Rien à voir avec la
mission de l’université me direz-vous, mais il faut bien se financer tout
en ouvrant des axes de recherche sur les sondages ! Ces sondages ont ensuite été
publiés et abondamment commentés dans la presse locale. Avant de se lancer dans
la campagne, il avait été décidé de tester le plateau, les ressources,
l’organisation, le matériel sur un sujet-test reposant sur un échantillon non
représentatif de 300 personnes. Ce sondage n’était en aucun cas destiné à être
commercialisé ni publié.
Le sujet-test concernait l’étude
des opinions des citoyens à propos du projet autoroutier liant la grande
métropole régionale à la sous-préfecture du département autour de laquelle une
grande entreprise, déjà très présente dans le département et élément non
négligeable, présente au conseil d’administration (CA) du centre universitaire,
avait décidé de se développer. De ce fait, elle soutenait vivement ce projet
autoroutier, qui de plus semblait faire l’unanimité parmi les décideurs locaux,
élus comme du secteur privé.
Mais catastrophe ! Lors d’une
discussion informelle entre un enseignant-chercheur de ce projet et un
journaliste du journal régional local, le journaliste se montra très intéressé
par les résultats de ce sondage et demanda l’autorisation de faire un article
dessus. Accordé, gratuitement de surcroît. Les résultats publiés montrent que
la population n’est pas très chaude pour ce projet. Hormis les gens se trouvant
en bout d’autoroute qui le plébiscite, ceux autours du tracé le rejettent pour
divers motifs (bruit, pollution, inutile...) et préfèrent de loin un
meilleur aménagement de la route nationale, moins coûteux, plus rapide et moins
destructeur de l’environnement.
Les édiles départementaux se
trouvent alors en porte-à-faux avec leur peuple. Rien de nouveau sous le soleil, me direz-vous, et effectivement
les élus s’en fichent royalement. Ce n’est pas un petit article d’un journaleux
inconnu publiant une enquête non représentative dans le grand journal local,
par ailleurs très pro-autoroute en général, qui changera quelque chose.
Les pressions des industriels
locaux sur les chercheurs et les journalistes
Les jours passent paisiblement
jusqu’à ce que l’université reçoive un courrier recommandé de la part de cette
grande entreprise, très intéressée elle par le projet autoroutier. Et, là,
sidération. Cet honnête industriel menace tout de go de revoir ses partenariats
dans l’apprentissage avec le centre universitaire, et même d’engager des
poursuites judiciaires, si l’universitaire ne se dédie pas publiquement dans la
presse des résultats de sa propre étude.
Impossible de les ignorer, vu que
sans leurs contributions, la filière souffrirait financièrement, que la
direction du centre pourrait sanctionner les fautifs et que de toute façon au
moment de la loi Pécresse les pourvoyeurs de fonds deviennent incontournables
pour exister.
Impossible d’accepter non plus. Car
outre que déontologiquement le chercheur indépendant ne peut accepter de se
voir dicter les résultats issus de ses recherches, céder serait une mise au pas
publique de l’université et une humiliation suprême pour ces chercheurs.
Pour l’instant les chercheurs ont
répondu, fort cordialement, en mettant en relief les points positifs des
résultats du sondage, à savoir que ceux en bout d‘autoroute sont très
favorables au projet. Mais attendons les nouveaux développements de l’affaire,
elle n’est pas finie. En même temps, la presse régionale a supprimé le premier
article de ses archives on-line et l’a remplacé par cette nouvelle
argumentation. J’en déduis que la rédaction du journal a dû elle aussi recevoir
un tel recommandé, à moins que tout ne se soit décidé entre amis autours d’un
cocktail au Country Club. Seul un site web d’opposants reprend les chiffres de
l’étude.
Aux chiottes le Grenelle
Notez qu’à ce niveau nous n’avons
pas encore parlé du Grenelle de l’environnement, vous savez ces discussions
hypermédiatisées, au cours desquelles, promis, juré, on gelait les
constructions d’autoroutes. Hormis, un dans l‘Est, un en Aquitaine et
celui-ci... ça fait déjà trois !
Non seulement caudillos locaux et
industriels s’en fichent comme de l’an quarante, mais n’hésitent pas à
pourchasser tous ceux qui osent les remettre en cause, surtout s’ils risquent
d’éveiller la populace. Ah la démocratie, ah les engagements, ah le
développement durable... il n’y a plus qu’à déféquer dessus et tirer la
chasse !
La loi Pécresse encourage le
développement des connivences coupables
Mais, plus grave, loi Pécresse ou
non, si les universités dépendent de trop des financements privés locaux, la
preuve en est que des acteurs privés peuvent user et abuser de leur pouvoir pour
orienter les travaux des universitaires vers des buts égoïstes, à l’encontre
des citoyens et de l’environnement, pour des missions n’ayant rien à voir avec celles
de l’université, a priori centrée autour de la recherche et de la formation
supérieure en toute objectivité.
Ils arrivent, en tenant par
« les bourses » élus, universitaires et médias, à complètement occulter
le débat démocratique en gommant toute référence pouvant éventuellement donner
lieu à un débat d’utilité publique, et circonstance aggravante, à propos d’un
thème que le Grenelle de l’environnement avait élevé au rang de cause nationale,
voir salvatrice pour l’humanité, se pavanant en exemple devant le monde entier.
Si les universités dépendent
encore plus des financements privés, leur objectivité en sera amoindrie, leur
mission détournée, et ce, au détriment des contribuables, des étudiants et de
la recherche. Ceci est particulièrement vrai pour les petites universités à la
faible marge de manœuvre et très, trop, intégrées dans le tissu économique
local avec en sus un CA de plus en plus miné par les élus et les entreprises.
Ces derniers ont largement démontré au travers de moult « affaires »
qu’ils étaient capables des pires connivences sur le dos des citoyens et du
pays.
Cet article qui fait référence à
une situation réelle (je reste floue volontairement afin de ne pas incriminer mes
sources) n’est pas un plaidoyer anti-loi Pécresse ou contre le développement de
partenariats public-privé. J’y dénonce les connivences et les jeux de pouvoir
locaux qui, s’ils ne sont pas très strictement encadrés, ne peuvent qu’être
dommageables à terme à l’ensemble de la société. L’indépendance des chercheurs,
le développement des projets de recherche, la formation des étudiants et même l’autonomie
des universités est mise à mal ; ironique quand on sait que la loi Pécresse est justement censée rendre
les universités plus autonomes ou, plutôt, plus manipulables de l’extérieur.