Terrorisme : la toux embarrassée des experts

A entendre leurs analyses éculées sur les plateaux télé, mais à lire aussi leurs rapports biscornus, le phénomène de la radicalisation violente, euphémisme des chancelleries pour ne pas le nommer explicitement, le terroriste contemporain nous tombe du ciel. Il peut être ça ou autre chose, rejeton d’une famille aisée ou romantique esseulé issu d’une banlieue malfamée ; il peut s’auto radicaliser, une façon élégante traduisant une masturbation solitaire devant des images internet (les goûts et les couleurs ne se discutant pas), suivre avec assiduité les prêches d’un imam disjoncté, passer de l’ennui à ’insurrection ou du larcin au djihad. Il peut être un loup solitaire ou un jeune homme fasciné par la notion de clan, il peut être suicidaire ou informaticien, chômeur ou enfant de la balle qui prend son rôle au sérieux.
Ceux d’antan, sous entendu Bosnie, Tchétchénie, Afghanistan, sont enfin identifiés, mais, manque de pot, bien rangés. Ceux d’aujourd’hui, lire Syrie, Libye, Mali, Afghanistan (puisque le conflit perdure et perdurera), mais aussi des pays perdus (Asie centrale, Soudan, Somalie, etc.) hélas on ne les connaît pas tous. Feront-ils comme leurs ainés, chercher un boulot et oublier leur passé révolutionnaire, ou continueront-ils leur croisade chez eux ? Mystère et boulle de gomme.
Le fait que tout cela concerne quelques dizaines, voire centaines d’illuminés, cela ne semble pas perturber qui que ce soit. Bien entendu, ce qu’ils font dans des pays exotiques c’est leur affaire mais ce qu’ils risquent de faire chez nous est très, très préoccupant. D’ailleurs, avec un cynisme béat, nos experts pointent que, à part le fait que les pays où ils vont - et où, souvent, nos armées les ont précédé – vivent l’enfer, la dislocation, la terreur subjective des uns et des autres, ils sont surtout « des camps d’entraînement » de nos rejetons, et c’est ça qui compte. En passant, à entendre en sus notre ministre de l’intérieur, qui considère ces jeunes djihadistes en Syrie comme une menace pour notre sécurité et « voudrait les combattre de toutes ses forces », on perd le fil des choses. N’est-ce pas la France qui a déclaré le régime de Damas illégitime, ce n’est pas Paris qui « aide » l’insurrection, en lui envoyant des armes ?
Mais là, bien sûr, n’est pas le sujet. En tous les cas, ni en Iraq en déliquescence totale, ni en Afghanistan, désormais sous la tutelle des seigneurs de la guerre, ni en Libye, où la chute de Kadhafi a participé à l’éclatement de ce pays non pas en trois mais en trois cent trente trois entités et ouvert grande ouverte la route saharienne à tous les trafics et toutes les séditions, ni au Mali où on prend les mêmes et on recommence comme si rien n’était.
Le terroriste n’est pas le produit d’une génération spontanée. Il nait, vit et se développe au sein d’espaces éclatés, morcelés, tribalisés, où l’autorité centrale reste contestable et contestée, ou la société se referme sur l’extrêmement petit (en lui donnant cependant un statut universel), là où l’idéologie se limite et se rétrécît à l’extrême en quelques cris et slogans. C’est vrai en Grèce, en Suède ou en France, c’était vrai - et ça le redevient en Espagne -, tandis que c’est la réalité de tous les jours au Moyen et Proche Orient, en Afrique, dans le Caucase ou en Indonésie pour ne citer que quelques exemples.
Dans tous les pays précités, l’occident a importé le chaos. Et par conséquent il génère du terrorisme. Et tous les drones du monde ne vont pas changer la donne. Bien au contraire : pour chaque « bavure » pour chaque injustice perçue comme telle, pour chaque signe de faiblesse ou abus de pouvoir (eh oui, les choses sont complexes), à chaque directive recommandant le départ des citoyens occidentaux et chaque coup de force de leurs armées, celle du djihad se renforcera. Au grand plaisir du Pentagone et de Al Qaeda qui ne peuvent survivre qu’en présence d’un ennemi féroce.
PS
Avis aux experts ayant perdu les pédales : essayez donc la géo - identification. Vous aurez des surprises. Que ce soit le long d’une rue des cités banlieusardes ou autour d’un puits sahélien, le lieu est intimement lié à la formation du groupe. Malheureusement, le plus on morcelle le territoire, le plus on génère de l’inattendu…
Avis aussi aux spécialistes de la veille précoce : vos modélisations globalisantes ne sont plus au point. Désormais, à chaque village son terroriste, à chaque bled son commandant et à chaque cité son caïd. Comme disait Ilya Prigogine : la richesse du réel déborde chaque langage, chaque structure logique, chaque éclairage conceptuel…
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