Thaïlande : la grande hypocrisie occidentale
L'attentat meurtrier qui a eu lieu à Bangkok a choqué les esprits en Thaïlande et dans le reste du monde. Pourtant, compte tenu de la tension croissante dans un pays dirigé par une junte militaire despotique, il n'est pas surprenant que les oppressés recourent à la violence. Cette crise et sa gestion mettent en lumière les carences de la junte militaire qui s’est emparée du pouvoir en mai 2014, et qui s'impose tranquillement et durablement, au nez et à la barbe d'européens étrangement silencieux.
Les autorités thaïlandaises estiment que l'attentat de Bangkok du 17 août 2015 visait clairement les étrangers et voulaient porter atteinte au tourisme, l'un des rares secteurs en bonne santé d'une économie thaïlandaise en berne. Et pour cause, la gestion du pays est lamentable. Autoritarisme et manque de vision ont caractérisé le règne du général Prayut Chan-O-Cha, aux commandes depuis plus d'un an. Naguère un pays ouvert au reste du monde, symbole de réussite en Asie du Sud-Est, les carences de la junte militaire qui s’est emparée du pouvoir au printemps 2014 ont gravement entaché l’image de la Thaïlande. Les récentes arrestations de 14 manifestants étudiants, dernières d'une longue série de répression des protestations pacifiques, dont certaines s'étaient inspirées du salut de la résistance dans le blockbuster hollywoodien Hunger Games, en disent long sur la vraie nature du régime.
La surprise occidentale quant à l'occurrence d'attentats semble totalement déplacée dans un pays où la liberté d'expression n'est pas respectée, où toute divergence avec le pouvoir est légalement risquée, où les médias sont contrôlés et fermés s'ils ne marchent pas au pas. Pour couronner le tout, l'armée à fait entrer la loi martiale en vigueur, prétextant le faire pour le bien du pays. La prise en charge désastreuses du pire acte de terrorisme jamais commis à Bangkok et de ses suites par la junte démontre que les militaires au pouvoir ne sont pas une garantie de stabilité, loin s'en faut.
En plus des souffrances endurées par une population muselée et privée de perspectives démocratiques, la politique répressive du régime militaire est facteur d'instabilité. Les multiples pistes derrière l'attentat - celle des chemises rouges, d'abord privilégiée, puis largement écartée par la logique, celle des minorités musulmanes séparatistes du sud de la Thaïlande de l’ethnie Malais, l'attentats de représailles des chinois Ouigours, minorité turcophone et musulmane du Xinjiang, qui fuient les persécutions du pouvoir communiste, ou les autres pistes internationales - révèle la longue liste encore croissante d'ennemis de la junte militaire.
Dans ce contexte, et compte tenu de son attitude, de pareils attentats seront très certainement amenés à se reproduire. Depuis l’attentat, des responsables militaires et policiers ont multiplié les approximations, notamment la tentative de réappropriation politique qui consistait à accuser les Chemises Rouges - opposition qui soutient la famille Shinawatra, dont Thaksin et sa sœur cadette Yingluck ont été Premier ministre, avant de tous deux être renversés par un coup d’Etat. Ils sont écartés du pouvoir, mais ont régulièrement gagné toutes les élections depuis une décennie.
L’homme fort de la junte, le général Prayut Chan-O-Cha, s'est par ailleurs illustré par son mauvais goût dans ses commentaires sur l'enquête, en recommandant aux policiers de regarder la série policière américaine Blue Bloods : "Cela devrait leur donner des idées", a-t-il estimé. L'homme, sorte de Néron en carton pâte, se pique de poésie, d’humour - douteux - et aime pousser la chansonnette. Le pour le moins indélicat général semble enclin à prouver au monde qu'il n'est en rien à la hauteur de la situation.
De fait, la Thaïlande est en passe de traverser une période charnière : la population sait que le décès du roi Bhumibol Adulyadej, âgé de 87 ans, est imminent, et qu'elle apportera avec elle une nouvelle Constitution - la 20ème depuis 1932. Les tensions sont au plus haut et le récent coup d'état militaire présage le pire : une loi fondamentale moins démocratique, avec une plus grande place accordée de l’armée. Celle-ci joue déjà un rôle inquiétant dans l'illusion démocratique thaïlandaise : celui d'arbitre totalement partial, qui intervient régulièrement pour recadrer la société lorsque celle-ci s'écarte de ce qu'elle estime être le droit chemin. Les classes dirigeantes de Bangkok n’aiment pas qu’elle reste au pouvoir, mais s'en servent comme d'un moyen de court-circuiter le système démocratique. En réalité, les classes moyennes thaïlandaises ne sont pas des démocrates convaincus, bien au contraire. Pour elles, ce n’est pas le mandat populaire qui rend un gouvernement légitime, mais son assise sur un certain nombre de valeurs traditionnelles.
Et il est aisé de comprendre l'exaspération des Chemises Rouges. Tous les gouvernements à leur couleur qui ont été élus ont systématiquement été renversés par un coup d’Etat de l’armée. Il y a eu 12 coups d’état réussis depuis 1932 et le renversement de la monarchie absolue. Le dernier putsch de 2014, de l’avis de tous les experts, a été organisé afin que la transition royale se déroule sous l’égide de fervents partisans du palais. Et la nouvelle Constitution, publiée récemment par le régime militaire va dans ce sens : l’armée peut désormais reprendre légalement le pouvoir dans les cinq ans qui suivront son entrée en vigueur, peut-être à l’issue d’un référendum. Le silence de l'UE à cet égard est scandaleux. Une transition vers une autocratie est en train de doucement se faire, mais il semble que le pays n'attire malheureusement plus beaucoup l’attention en Europe.
Comme il l'a fait jusqu’à maintenant dans de nombreuses autres situations, l'occident se doit de condamner ce dérapage, et de soumettre la junte à des pressions politiques et diplomatiques - suspension des visites d'officielles et des accords bilatéraux. Des sanctions économiques plus directes ne sont pas non plus à exclure. On l'a vu avec l'exemple russe, des restrictions commerciales et des gels d'avoirs ont un réel impact sur un pays, et sont susceptibles de bloquer le passage en force d'une Constitution despotique, faire plier la junte militaire et la forcer à organiser de véritables élections démocratiques. Dans tous les cas, il est difficile de ne pas s'indigner du silence européen alors qu'il n'est pas trop tard. L'histoire se fera, avec ou sans l’UE.
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