Thomas Piketty et sa clé à molette qui fait des miracles...
Avec cet outil rudimentaire - le taux de rendement du patrimoine - qui, de fait, n'entretient aucun rapport déterminé avec le capital productif, Thomas Piketty imagine pouvoir contester les travaux de Karl Marx sur la baisse tendancielle du taux de profit (du capital producteur de plus-value). Autant se saisir d'une clé à molette pour jouer du violon...
Or, rien que dans son petit domaine, voyons ce que vaut cette fameuse clé à molette. On ne sait tout d'abord pas par quel bout la prendre puisqu'elle peut aussi bien servir à vous faire des frisettes qu'à éplucher les pommes de terre :
« Dans tous les cas, le taux de rendement du capital mesure ce que rapporte un capital [pour rappel : un élément de patrimoine, quel qu'il soit, pourvu qu'il puisse être vendu sur un marché] au cours d'une année, quelle que soit la forme juridique que prennent ces revenus (profits, loyers, dividendes, intérêts, royalties, plus-values, etc.). » (Idem, page 93.)
Outre que, grâce à la molette, elle s'adapte à tout, cette clé à une amplitude telle qu'elle peut attraper de plus gros morceaux qu'aucune autre. C'est ce qui fait son charme :
« Il s'agit donc d'une notion plus large que celle de "taux de profit" et beaucoup plus large que celle de "taux d'intérêt", même si elle les englobe toutes les deux. » (Idem, pages 93-94.)
Or, comme tous les bricoleurs du dimanche le savent, ce genre d'outil très adapté à tout ne l'est finalement à rien. Même un bricoleur aussi dilettante en économie théorique que Thomas Piketty en convient sans la moindre réticence :
« Évidemment, le taux de rendement peut varier énormément suivant les types d'investissements et de placements. Certaines entreprises peuvent générer des taux de rendement supérieurs à 10 % par an, voire bien davantage, alors que d'autres font des pertes (taux de rendement négatif). Le taux de rendement moyen des actions atteint 7 %-8 % sur longue période dans de nombreux pays. Les placements immobiliers et obligataires ne dépassent souvent pas les 3 %-4 %, et le taux d'intérêt réel sur la dette publique est parfois plus faible encore. » (Idem, page 94.)
Comme on le constate une nouvelle fois : heureusement, il y a la molette qui permet une adaptation à tout...
Et c'est alors qu'on nous apprend qu'elle est bloquée !
De la plume même du représentant en chef :
« La formule α = r x β ne nous informe pas sur ces subtilités. » (Idem, page 94.)
Bon, mais alors, qu'en faisons-nous de cette clé à molette de malheur ?
Pas de souci, répond Thomas Piketty avec un sang-froid qui fait peur. Certes, sa clarinette ne fournit pas le détail des notes :
« Mais elle nous indique comment ces trois notions [pour mémoire : α, r, β] sont reliées les unes aux autres, ce qui permet déjà de cadrer utilement les débats. » (Idem, page 94.)
Pas sûr.
Ce qui est sûr, c'est qu'elle ne servira à rien, ta clé à molette.
Ou alors pas à ce à quoi tu prétends la faire servir ici, mon bon Thomas.
Mais ne serait-ce pas que tu vises, une fois de plus, à regonfler le moral des boutiquiers conquérants ?...
C'est donc ce à quoi Thomas Piketty borne le rôle de la première loi fondamentale du capitalisme telle qu'elle sort de ses fourneaux α = r x β, qui, selon lui, "ne nous informe pas sur ces subtilités" que serait la diversité des taux de rendement à l'intérieur du monde capitaliste.
Ainsi ne nous informe-t-elle sur strictement rien, au sens où elle ne donne aucune forme à quoi que ce soit. Il conviendrait en effet de distinguer un moule, ce qui est fait pour donner forme, d'une cuvette, qui ne fait que réceptionner un liquide dont on se soucie fort peu de la forme qu'il va y recevoir... très momentanément, et sans conséquence durable pour lui.
Dans la cuvette α = r x β, qui n'est, pour Thomas Piketty, qu'une tautologie - ce qui, selon son langage, ne correspond qu'à une sorte de néant -, nous allons laisser couler des éléments qu'il sera allé pêcher ailleurs... nous ne savons pas encore où, et qui vont pouvoir y barboter en synergie parfaite... Ce ne sont en effet que des bouts de ficelle. Mais le fait est, qu'ils ne se contrarient guère les uns les autres :
« Par exemple, dans les pays riches des années 2010, on constate que les revenus du capital (profits, intérêts, dividendes, loyers, etc.) gravitent généralement autour de 30 % du revenu national. Avec un rapport patrimoine / revenu de l'ordre de 600 %, cela signifie que le taux de rendement moyen du capital est d'environ 5 %. » (Idem, page 94.)
Magistralement calculé !... Et alors ?... Qu'est-ce que cette belle première loi fondamentale du capitalisme made in Piketty nous révèle du capitalisme lui-même ?
Rien.
Mais, au fait, d'où viennent ces chiffres ? Ils émanent de « on constate »...
Il est bien gentil le "on" qui "constate"...
Mais ici, je constate qu'il nous donne ses raisons... En effet, il a lui-même constaté - on Piketty - que les revenus "gravitent"... selon la loi de la gravitation sans doute. S'agissant de notre cuvette, je pense même qu'on pourrait pousser jusqu'à dire qu'ils "barbotent", et, cette fois-ci, selon le principe d'Archimède.
Le résultat, c'est tout de même que nous ramassons du 5%... Même si cela barbote un tout petit peu : nous ne l'avons pas volé.
Ainsi, après ce très gros effort intellectuel, il me revient un souvenir lointain. À la terrasse d'un café de Romans (Drôme), je me trouvais dos à dos avec le député du coin, un Durand Georges que je ne connaissais, par ailleurs, ni d'Ève ni d'Adam. Qui, tout à trac, se met à interroger son compagnon de table : « Dis, t'aurais pas un truc à m'indiquer, avec un vrai taux d'intérêt ?... Il n'y a plus rien... Je ne trouve plus rien. Et c'est ce qu'on me demande. »
Ce Durand n'est malheureusement plus de ce monde. Mais nous pressentons que tous les Durand de France, de Navarre et d'ailleurs doivent être parmi les plus empressés à se procurer le livre de Thomas Piketty, et la cuvette (à vilain) qui va avec.
Michel J. Cuny
6 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON