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Accueil du site > Tribune Libre > Tintin et le secret de l’origine du monde

Tintin et le secret de l’origine du monde

 

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Dans le secret de la Licorne, Tintin découvre qu’il ne suffisait que de descendre dans la cave du jardin de Moulinsart, appartenant à un antiquaire, pour mettre à jour un fabuleux secret. Le plan du trésor se cachait dans un mat de la maquette d’une vieille frégate. Cette licorne, sur laquelle naviguait l’ancêtre du capitaine Haddock, va livrer ses secrets. 

Aujourd’hui, la licorne se nomme « l’origine du monde ». Vous savez, le sulfureux tableau de Gustave Courbet. Et bien, voilà qu’un type sortant magasin d’un autre antiquaire nous offre un nouveau regard sur l’œuvre, en brandissant un tableau iconoclaste. Ce portrait s'ajusterait au tableau de Courbet, comme un bout de puzzle.

On en revient pas : Ce nu avait une tête !

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la couverture de « Match »

Au dix neuvième siècle, la seule possibilité d’entrevoir des corps nus, voire livrés à la débauche, se faisait par le travers de l’art pompier. Seules, ces œuvres d’inspiration mythologique permettaient ces représentations inédites. Le prétexte des reconstitutions historiques de l’antiquité, esthétisantes et pompiers, permettaient à travers l’art de se rincer l’œil, en toute hypocrisie, sous le vernis artistique.

Au delà des années, qui en ont vu d’autres, cette peinture n’a rien perdu de sa force et de sa modernité.

Traditionnellement, on associe son exécution à la commande d’un riche amateur Turc : Khalil BEY amateur d’art, de chevaux et de femmes… Khalil-Bey souhaite acquérir Venus et psyché, tableau aujourd'hui disparu. Mais Courbet vient de le vendre. Il propose de réaliser pour lui "la suite", Le sommeil.....

L'origine du monde est-elle une commande ou un cadeau concédé pour faire passer le prix élevé : 20 000 francs ! Pour l'historienne Michèle Haddad, Khalil-Bey serait rentré à Paris en 1866 pour soigner sa syphilis. Il aurait alors pu commander une Icône de la source de ses plaisirs et de sa souffrance, comme un ex-voto, dans laquelle il glorifie la puissance qui éloigne et rapproche de la mort.

Il dissimulera le tableau dans sa salle de bains derrière un rideau vert, couleur de l'islam.

Le tableau, vendu, passera ensuite entre plusieurs propriétaires, avant qu’un collectionneur Hongrois, François de Hatvany, le récupère. En 1944, le château est pillé et Hatvany fuit en France. En 1948, il récupère une partie de ses tableaux dont L'origine du monde qui entre en France caché dans une valise diplomatique.

En 1955, Jacques Lacan et sa femme Sylvia achètent L'origine du monde à Paris. Le tableau est caché derrière un panneau, orné d’un tableau spécialement commandé par les Lacan à André Masson. Masson reprend les courbes du nu de Courbet et compose un paysage érotique qu'il appelle Terre érotique.

Cette fois, l’ensemble est dissimulé derrière un petit rideau de couleur rouge.

Reste que cette acquisition est restée secrète, et que Lacan ne le montre qu’à quelques élus qui se taisent..

La plupart des spécialistes pensent le tableau disparu.

Soudain, en 1967, il réapparaît dans un livre du docteur Zwang : Le sexe de la femme. Photographie unique d'un photographe anonyme qui ne cessa ensuite d'être dupliquée avec des informations contradictoires sur sa localisation entre Budapest et Paris.

En 1982, lors d'un entretien télévisé, le trou de la vierge où Philippe Sollers est interrogé par Jacques Henric, André Cuny révèle avoir vu le tableau chez Lacan.

A la mort de Jacques Lacan, le ministère de l'Économie et des Finances accepta que les droits de succession de la famille fussent réglés par donation de l'œuvre au musée d’Orsay en 1995.

L’œuvre continue sa carrière, à ravir les visiteurs du musée d’Orsay,. Différents artistes et cinéastes s’emparent du thème. En 2000, l'écrivain Serge Rezvani édite L'Origine du monde chez Actes Sud, un roman de fiction autour du célèbre tableau. Le héros du roman décide de le dérober pour le continuer et lui rendre son passé d'œuvre secrète et cachée du public.

On n’en finirait pas de montrer l’influence de cette œuvre, concurrençant presque celle de la Joconde, jouant sur d’autres champs que celui d’un mystérieux sourire, et n’arrêtant pas finalement de jouer à cache-cache ! Les artistes et les poètes sont parfois un peu comme des policiers, des gens au flair étonnant, qui débusquent des crimes, même si ceux ci sont d’une autre espèces, que ceux condamnés par la loi. Leurs méthodes ne s’appuient pas sur la logique, mais sur l’intuition. Que pouvait émaner cette toile étrange, anachronique, qui fit noircir tant de papier et ouvrir autant d’hypothèses ? Qu’est ce qui poussa Lacan, ce grand analyste des causes et des artifices, ce décodeur de sens, à le cacher dans un placard, comme l’aurait fait Barbe Bleu ?

Ce tableau au départ, n’avait pas de nom, il lui fut donné que plus tard. Voilà une des première failles, qui aurait du retenir l’attention autour du mystère de la création de cette œuvre. Car sans occulter les mérites et les avantages de celle-ci, ce nom de baptême confine au génie. Il se serait appelé « Giron de femme » que notre œil ne l’aurait pas saisi de la même façon, et aurait peut-être bien cherché les membres manquants. Ce nom « d’origine du monde », nous ramène au contraire au centre du tableau, donnant au sexe une finalité cosmique.

Ce n’est pas en tout cas la cosmologie qui attira ce collectionneur Turc, au goût bien orienté. Il avait acheté précédemment “le Bain Turc” d’INGRES, cette peinture en cercle, qui fait penser un peu à un trou de serrure, dans lequel l’œil d’un voyeur se perdrait, à regarder des femmes nues et lascives.

« Dans l'inconscient selon Lacan, justement, la lettre ne se perd jamais, le refoulement garde tout ! »

 Ainsi, Lacan s’est intéressé à une nouvelle d’Edgar Poe : La lettre volée. Résumons rapidement l’intrigue : Une lettre compromettante a été volé à une personnalité importante de l’état par un maître chanteur. Les services de police faisant perquisition ne parviennent pas à récupérer la lettre. C’est finalement Dupin, un enquêteur doublé d’un poète (un voyant) qui y parvient : C’est en étant bien en vue, au milieu de la table, que la lettre était finalement le mieux caché, et imperméable à la froide logique.

Traduction : Les mensonges les plus énormes sont ceux qui nous crèvent les yeux….. Et c’est peut être en déshabillant une femme, qu’on lui cache peut-être le plus facilement les yeux.

Et voilà donc cette nouvelle stupéfiante. Ce tableau ne serait qu’une découpe, le fragment d’une peinture plus grande. Ce nu aurait un visage !

Un certain « John » aurait acquis un portrait de femme, chez un antiquaire. Portrait de femme dans une attitude assez étonnante, puisqu’à la renverse. Ainsi apprend-on dans un article signé d'Anne Cécile Beaudouin dans le 3325 numéro de Paris Match, que l'on a retrouvé le visage de L'Origine du monde. La couverture du magazine ayant fait sa une sur l’événement semble en tout cas bien convaincante, dans sa reconstitution de l’ensemble. C’est le visage de Joanna Hiffernan, qui s’ajoute parfaitement, comme une pièce de puzzle manquante, dans la perspective allongée du cadre.

Quelle hypothèse construire ?

Il est connu que Gustave Courbert avait eu une aventure avec cette femme, et qu’elle lui servit d’ailleurs de modèle pour un autre nu, intitulé « La femme au perroquet » ! Nu beaucoup plus chaste, en tout cas, que ce tableau quasi pornographique, qui se révèle impossible à exposer !. Il dépasse de très loin les canons de la tolérance érotique de l’époque, et Courbet, qui est un provocateur hors pair, sait bien qu’il ne peut se permettre non plus de le vendre. Cette femme était l’amante d’un autre peintre célèbre, Whistler, et l’amitié entre les deux hommes s’arrêta brutalement après que Joanna eut servi de modèle à Courbet. Quand l’amateur Turc s’intéresse au tableau, est-ce Courbet qui propose au riche amateur cette amputation, ou vient-elle du Turc ?

Une hypothèse s'impose : En deux temps, trois mouvements de rasoir, l’opération de charcutage est faite, et Courbet résout le dilemme : Ne pas trahir Wisthler, Joanna, ni sa propre réputation, tout en réalisant une bonne opération financière. La tête d’un coté, le corps de l’autre, et les billets de banque dans la poche. Ce découpage, respecte les frontières d’une certaine bienséance non écrite, et c’est elle qui a fait nécessité de l’acte. C’est en tout cas, la certitude de l’expert Jean-Jacques Fernier, expert de Courbet, qui nous convint assez facilement de l’opération, lui apportant tout un crédit scientifique : La toile, la trame, les coloris, la distance des poils de pinceaux identiques aux 2 tableaux, après que l’œuvre découverte eut passé deux années en analyses variées. Fernier est loin d'être un hurluberlu, mais au contraire un spécialiste éminent, et cette découverte mérite autre chose qu’un haussement d’épaule.

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la femme au perroquet, peinture de Courbet

Car bien sûr, la réaction du musée d’Orsay ne s’est pas fait attendre. Elle a jugé l’hypothèse du découpage fantaisiste :"Une certitude est confirmée par tous les témoignages du XIXe siècle : le tableau visible chez le diplomate Khalil Bey, son premier propriétaire et probable commanditaire, était bien une femme nue, sans pieds et sans tête"

Reste que le modèle n’était pas une femme-tronc, une victime de Jack l’éventreur !

. A l’ironie des uns, on serait tenté de répondre par l’humour, tant cette explication d’Orsay ne nous apprend rien, et ne vaut que ce qu’elle vaut. Dans le genre : « Ne montrez pas surtout ce que l’on ne veut pas voir ! »

Car il est vrai que le crime ne profite pas à Orsay ! Si cette hypothèse se confirme, la peinture change en effet totalement de sens, et l’on peut se demander si elle mérite toujours ce nom d’ « origine du monde ». Cet acte n’aurait été déterminé que par les lois de la bienséance et du marché, pas par des considérations cosmiques. Et ce nom génial « d’origine du monde » fait figure de cache sexe à l’affaire , tout en surlignant celui de la femme !

Et sans aucun doute tous les protagonistes dans cette affaire avaient toutes les raison de se taire, comme autant d’agents d’un secret impossible à révéler.

Il est vrai que le résultat nous a bluffé pendant un siècle et demi, tant ce cadrage particulier était inédit. Et la chair de la toile, si vibrante, avec ce nom accolé nous faisait voir des étoiles. Courbet était un génie ! Cela va s’en dire, et regarder un petit bout d’une de ses toiles, même par le petit trou de la serrure, est une des consolations de l’existence.

Reste qu’il est assez ironique de penser qu’on aurait pris le découpage d’un maniaque,( je veux parler du premier acheteur Turc), pour un peinture révolutionnaire, cassant tous les canons du cadrage et du sujet.

Mais on peut se demander en voyant l’ensemble des deux pièces reconstituées si le message de la toile ressucité dans sa presque intégralité n'était pas davantage révolutionnaire : Car, non, Courbet ne s'était pas privé de peindre la grâce du visage épanoui de son amante. Il avait réalisé là un acte de modernité inédite, en peignant sur les traits de Joanna cette expression alanguie et heureuse, suggérant cette chose ineffable qu’on ne voulait voir à l’époque : Le plaisir sensuel de la femme. Et bien peu de peintres et d'hommes tenaient à l'époque à se lancer dans cette aventure : Une boite de Pandore qu’il convenait de garder fermer. Les représentations des corps étaient chastes, et atteindront un summum avec l’art des préraphaélites anglais, se plaisant dans le diaphane et l'éther.

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Johanna, vue par Wistler

Et Gustave Courbet, dans tout ça, me direz vous ? N’a-t-il pas trahi une nouvelle fois la cause virile, en s’attaquant pendant la commune à la colonne Vendôme, ce signifiant phallique selon Lacan : « Le signifiant phallique est une chose qui parle d'elle-même, et cette parole garantit le contrat originel » .

 Avec quelques autres révolutionnaires, Il est dit que Courbet fit tomber à terre ce symbole d'un régime oni, le brisant en mille morceaux. C’en était trop de provocation ! Malgré ses dénégations, le peintre fut condamné en raison de sa fortune à en payer la reconstruction à l’état. Histoire hallucinante qui l’obligea à l’exil, et dans laquelle il perdit sa santé, au point de mourir prématurément.

Hergé nous avait prévenu ! Pas besoin de courir au bout du monde pour découvrir le secret de la licorne.

Celui de l’origine du monde nous crevait les yeux comme cette lettre volée du conte d’Edgar Poe, qui traînait sur la table, offerte aux regards, pour mieux nous endormir.

Car bien sûr toute femme a une tête ! Et celle-ci à un sourire ineffable, qui nous en dit plus que celui de la Joconde, qui tenait à garder ses secrets


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7 réactions à cet article    


  • ARMINIUS ARMINIUS 13 février 2013 09:49

    En retrouvant sa tête l’origine du monde perd son mystère. On se doutait bien que la position supposait l’apaisement après la tempête, mais cette vue de dessous expose des orifices qui n’ont rien d’esthétique : n’importe quel artiste évite cette perspective en contre plongée...
     bien sûr il ne s’agit pas d’une œuvre académique de commande mais d’une œuvre réaliste, donc qui dissipe le rêve pour ne montrer que la réalité crue...c’est la volonté de l’artiste, respectons là... même si nous aurions souhaité que le mystère reste...


    • velosolex velosolex 13 février 2013 21:43

      Arminuis

      Avouons que toute la peinture de Courbet est assez pleine de mystères,
      Pour nous faire perdre la tête, et tomber sur le cul.


    • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 13 février 2013 20:03

      L’origine du monde est un con dont on vient de retrouver la tete ......
      Le Vélosolex ira t’il assez vite pour semer les brèles du dieu monothéiste à ses trousses ?


      • velosolex velosolex 13 février 2013 21:40

        Aita

        Même s’il est moins beau que celui de Joanna
        Et même surtout à cause de ça !

        Je montre mon cul aux barbus

        Sauf votre respect


      • gilbert18 gilbert18 13 février 2013 21:42

        Ce collage montre deux erreurs que Courbet n’aurait pas pu commettre. A/ une torsion du corps invraisemblable. B/ une erreur d’échelle et de perspective tout aussi invraisemblable.
        Ajoutons une coloration de la peau qui ne coïncide pas et (sous réserve d’y voir de plus près) une différence de facture entre les deux morceaux (?).
        Vous avez dit sceptique ?


        • velosolex velosolex 13 février 2013 21:51

          Toute nouvelle information est bienvenue
          Sous la couche du vernie, le corps bouge encore
          Tant mieux pour l’art !
          Joanna a perdu la tête plus d’une fois : Dans les bras de Whistler , dans ceux de Courbet.

          Ceci dit, l’expert n’est pas le premier gougnafier venu, et l’attitude d’Orsay n’est pas vraiment surprenante. On sait que quantité de faux se trouve dans les musées du monde entier, avec parfois l’approbation tacite des conservateurs, qui veulent éviter un scandale, après avoir payé un tableau fort cher.
          Les expertises des textures et des peintures semblent tout de même embarrassantes.
          Quand on portrait, on peut très bien imaginer que Courbay l’a remanié, du moins dans les couleurs, après le découpage.
          En tout cas, il est étonnant, c’est vrai de ne pas pu avoir imaginer que cette histoire de femme tronquée avait une autre explication que celle d’un cadrage d’intention.


        • l'Ane Artiste l’Ane Artiste 15 mars 2013 22:41

          salut Vélosolex,
          je viens de lire, avec le plus grand intérêt, ton article qui résume plutôt bien l’histoire de ce tableau, même s’il comporte quelques imprécisions. Aussi je recommande vivement la lecture des livres de Bernard Teyssèdre et Thierry Savatier qui apporterons de précieuses informations sur la genèse de cette toile. Ceci dit, tu ouvres une piste intéressante avec la nouvelle de Poe mais le problème c’est que tu te trompes quand tu dis que les artistes et les poètes sont un peu comme des policiers et Dupin n’est pas un enquêteur doublé d’un poète mais serait un poète passionné d’enquête. Dans la lettre volée il raisonne plutôt comme le voleur et c’est pour ça qu’il la trouve ! Dans cette histoire du visage de l’origine, Jean-Jacques Fernier procède comme le policier, il s’attache au corps de la victime, c’est à dire en l’occurrence au Modèle mais ne s’intéresse pas au Mobile et tout la question est là : pourquoi Courbet a peint un tel sujet.
          J’ai écrit un article qui traite de cette question, il devrait bientôt être diffusé sur ce site.

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