Le discrédit dont souffrent les médias les conduit à s’autopromouvoir en permanence plus ou moins adroitement. « Les Matins de France Culture » ont offert, vendredi 22 avril 2011, un numéro singulier de cette autocélébration dont les journalistes croient qu’elle peut les aider à recouvrer la considération et l’autorité perdues.
« On reproche parfois aux médias, annonçait l’animateur Marc Voinchet, de ne traiter l’actualité internationale qu’à base de dépêches AFP, nous allons vous donner à entendre ce matin les dessous d’un métier essentiel de la radio : le reporter. » Il avait réuni à ses côtés trois reporters dont l’un, Omar Ouahmane, membre de la rédaction de France Culture, venait de « couvrir », selon la si malheureuse expression consacrée, plusieurs événements entre janvier et avril 2011.
Or, non seulement on a eu droit aux mêmes croyances édifiantes que diffuse mécaniquement depuis des lustres la mythologie journalistique, mais les reporters eux-mêmes à leur insu ont montré qu’elles n’étaient que des leurres.
Deux croyances édifiantes
1- La fiabilité présumée de l’information donnée par un reporter sur le terrain
La première croyance est la fiabilité présumée de l’information donnée par un reporter sur le terrain. Nul ne conteste, certes, que se rendre sur les lieux d’un événement pour en rendre compte permet de réunir un pluralisme de sources.
Mais l’erreur est de faire croire que puisqu’un reporter est sur le terrain, on est assuré qu’il a pu mener librement son enquête. De toute façon, si exhaustive qu’elle soit, toute enquête ne livre qu’ « une représentation plus ou moins fidèle de la réalité » : on ne rapporte, dit Paul Watzlawick, qu’ « une carte du terrain », mais jamais « le terrain » lui-même.
Malgré cela, on a entendu l’animateur entonner l’antienne bien connue du « journaliste, historien du présent » : « Est-ce que, à chaque fois, a-t-il feint de demander au reporter Omar Ouahmane, on se dit qu’on participe à quelque chose qui fait vaciller tout de même le cours de l’Histoire et qui va changer les pages de nos livres d’Histoire ou est-ce que le feu de l’action ne vous fait pas réfléchir du tout à tout cela ? » Et le reporter, bien sûr, de renchérir de tout coeur : « C’est un mélange de tout ça…(…), s’est-il écrié en flattant par dessus le marché sa hérarchie. On est pris dans le feu de l’action, avec en même temps le sentiment de participer à l’écriture de cette Histoire (… ). J’ai la chance de travailler dans une rédaction très réactive, Jean-Marc Four et Marc Crépin à qui je propose de partir et qui me disent « Fonce, c’est là-bas que ça se passe ! » » Est-ce vraiment ainsi que se prend la décision d’envoyer si loin un reporter qui coûte si cher ?
2- La fiabilité présumée de l’information donnée par un reporter qui expose sa vie
La seconde croyance est la fiabilité présumée de l’information donnée par un reporter qui met sa vie en danger sur le terrain.
Chaque fois que des journalistes sont tués, comme les deux derniers qui viennent de l’être le 20 avril en Libye, l’occasion est saisie pour rappeler que cette mise en danger de leur vie par les journalistes est en corrélation sinon en relation directe avec la fiabilité de l’information qu’ils transmettent. Expose-t-on sa vie, en effet, pour rapporter des erreurs ou des balivernes ? Les seuls témoins dignes de foi ne sont-ils pas ceux qui acceptent de se faire tuer pour les vérités qu’ils défendent ?
Malheureusement, il n’en est rien. On peut se tromper de bonne foi et exposer sa vie inconsidérément. De toute façon, le respect que méritent ceux qui se mettent ainsi en danger, ne peut rejaillir sur leurs collègues qui, eux, font leur métier fort heureusement en toute quiétude et sécurité dans des bureaux devant les écrans d’ordinateurs et dans des studios de radio ou de télévision.
Deux leurres
Or, dans le même temps, par leur témoignage, les reporters ont apporté la preuve à leur insu que ces deux croyances n’étaient que des leurres.
1- Le reporter globe-trotter touche-à-tout et… à rien ?
Quelle fiabilité accorder, en effet, à l’information d’un reporter qui s’est certes rendu sur le terrain, mais a accumulé en quatre mois des reportages sur des sujets très différents ?
S’adressant à Omar Ouahmane, l’animateur Marc Voinchet, récapitule ainsi son emploi du temps : « Il faut dire que vous avez fait un parcours assez étonnant, observe-t-il, admiratif. Le 12 janvier 2011 à Haïti pour fêter, si j’ose dire, célébrer « le un an après », le 18 janvier en Tunisie, le 5 février au Caire, le 14 février au Caire à nouveau. Puis vous partez le 11 mars au Japon pour ce qui n’est d’abord qu’un tsunami entre guillemets. Puis vous revenez le 3 avril à Abidjan avec chaque fois des longues périodes, avec très peu de transit entre chacun de ces pays. Ça veut dire que vous avez dû faire à peu près dix fois la distance de la terre à la lune avec un magnétophone sur l’épaule. »
Quel journaliste peut se prévaloir d’une connaissance égale des problèmes rencontrés par des pays aussi divers que Haïti, la Tunisie, l’Égypte, le Japon et la Côte d’Ivoire ? Cet encyclopédisme est-il crédible ?
2- Mettre sa vie en danger pour une information mineure, partielle et partiale ?
Quelle fiabilité accorder également à l’information d’un reporter qui met même sa vie en danger ?
Omar Ouahmane a fait entendre un « document » inédit qu’il n’aurait pas voulu diffuser sur le moment, tant il lui rappelle « un épisode extrêmement douloureux ». Il raconte ainsi son arrivée mouvementée à Abidjan avec d’autres journalistes, pris sous le feu d’une mitraille soudaine. « Les frontières terrestres et maritimes étaient fermées, explique-t-il. Je pars de Paris. Je rejoins Ouagadougou, le Burkina-Fasso, assez vite le nord de la Côte d’Ivoire, j’arrive, je glisse sur Yamoussoukro puis Abidjan, la veille de l’assaut sur cette capitale économique avec les forces de Ouattara. Et on est pris dans cette fusillade.(On entend crépiter des tirs.)
Donc là, explique-t-il, c’est la première rafale. On se dit : mais qu’est-ce qui se passe ? Autour de nous, il y a des véhicules qui sont criblés de balles avec des cadavres qui jonchent le trottoir. On est dans le nord d’Abidjan (On entend à nouveau des tirs , des cris) Et là il y a le chauffeur qui conduit la voiture dans laquelle je me trouve avec Grégory Philips. C’est un monsieur qui s’appelle Mustapha qui est venu nous déposer à Abidjan pour revenir chez lui à Yamoussoukro. Il restera avec nous dix jours. Il est pris de tremblements. Son pied droit qui est censé accélérer, n’arrive pas à accélérer. Il a failli caler. Finalement il accélère et on arrive sains et saufs dans le centre d’Abidjan. »
- Quel est l’intérêt de cette information mineure et partielle qui apprend que, dans la Côte d’Ivoire en guerre civile, on pouvait être surpris par des tirs ? Est-ce si surprenant ? On songe à Fabrice del Dongo dans « La Chartreuse de Parme » de Stendhal, perdu sur le champ de bataille de Waterloo dont il ne comprend rien, faute d’une vision d’ensemble (2).
- La stimulation exclusive du réflexe de voyeurisme par ce genre de reportage paralyse même toute réflexion.
- On en oublie que le reporter, Omar Ouahmane, paraît avoir gagné Abidjan dans le sillage de l’armée d’un des deux camps en présence, celui du président élu, M. Ouattara, et que donc son information est forcément partiale.
- Tout compte fait, est-il raisonnable d’exposer sa vie pour diffuser une information aussi mineure, partielle et partiale, stimulant un voyeurisme inhibant la réflexion. Le reporter se met en scène au détriment de son sujet. « Le médium (devient alors) le message » : or ce quiproquo est un leurre dont il faut se garder.
C’est curieux comme les journalistes restent attachés à une mythologie qui n’impressionne aujourd’hui que les naïfs et qui a pourtant contribué à leur discrédit. Non, un reporter sur le terrain ne livre pas forcément une information fiable : elle peut n’être que mineure, partielle et partiale. Non, exposer sa vie inconsidérément pour un tel résultat ne rend pas le reporter plus crédible pour autant : le médium ne doit pas être le message. N’importe, les journalistes sont sourds à ces objections : ils n’entendent assigner à leur profession qu’une mission prophétique : ils se veulent les déchiffreurs du monde. Ainsi, pour commencer son journal de 8 heures, la présentatrice Julie Gacon a-t-elle entonné sans rire un hymne grandiose, plume au clair comme un sabre : « Puisque, s’est-elle écriée, les Matins sont consacrés ce vendredi au reportage, aux reporters qui couvrent l'Histoire en marche, Albert Londres disait, vous le savez, que le rôle des journalistes est de « porter le couteau dans la plaie »... C'était dans son livre « Terre d'Ebène »... » Que peut bien signifier « couvrir l’Histoire en marche » de la part d’un journaliste ? Cette insensibilité au ridicule de la posture est affligeante. La relation d’information est - hélas ! - soumise à des contraintes autrement plus prosaïques où le prophétisme quel qu’il soit n’est jamais qu’une variante du leurre de l’argument d’autorité dont il faut se méfier comme de la peste. Paul Villach
(1) On retrouvera sous ce lien une critique du dessin ridicule choisi en illustration et qui a été le logo du CLÉMI (Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information) : on imagine avec pareil dessin quel drôle d'enseignement dispense cet organe chargé dans l’Éducation nationale d’éduquer les élèves aux médias.
(2) Stendhal, « La Chartreuse de Parme », ch. III, 1839.
« (Fabrice) entendit un cri sec auprès de lui : c’étaient deux hussards qui tombaient atteints par des boulets ; et, lorsqu’il les regarda, ils étaient déjà à vingt pas de l’escorte. Ce qui lui sembla horrible, ce fut un cheval tout sanglant qui se débattait sur la terre labourée, en engageant ses pieds dans ses propres entrailles ; il voulait suivre les autres : le sang coulait dans la boue.
« Ah ! m’y voilà donc enfin au feu ! se dit-il. J’ai vu le feu ! se répétait-il avec satisfaction. Me voici un vrai militaire. » A ce moment, l’escorte allait ventre à terre, et notre héros comprit que c’étaient des boulets qui faisaient voler la terre de toutes parts. Il avait beau regarder du côté d’où venaient les boulets, il voyait lafumée blanche de la batterie à une distance énorme, et, au milieu du ronflement égal et continu produit par les coups de canon, il lui semblait entendre des décharges beaucoup plus voisines ; il n’y comprenait rien du tout. »
(3) Extraits des « Matins de France Culture », vendredi 22 avril 2011 « Reporters radio de retour de terrain »
« Marc Voinchet, l’animateur .- On reproche parfois aux médias de ne traiter l’actualité internationale qu’à base de dépêches AFP, nous allons vous donner à entendre ce matin les dessous d’un métier essentiel de la radio : le reporter.
Nous profitons du retour de deux d’entre eux ce matin : Omar Ouahmane et Raphaël Krafft. Le premier rentre d’un péril de trois mois : en Haïti le 12 janvier, à Tunis le 18, au Caire le 5 février, au Japon le 11 mars et enfin en Côte d’Ivoire le 3 avril.
Raphaël Krafft était en Libye récemment, il a également parcouru le Proche-Orient à bicyclette d’où il a ramené de nombreux témoignages.
Drôle de métier mais aussi métier risqué ne l’oublions pas. Il y a deux jours encore deux photographes de guerre, le britannique Tim Hetherington et l'Américain Chris Hondros ont été tués mercredi en Libye. Et nous sommes toujours sans nouvelles de Khaled Sid Mohand, producteur de documentaires à France Culture et collaborateur occasionnel au Monde.
Avec Soazig Dollet, responsable du bureau Maghreb et Moyen-Orient de Reporters Sans Frontières, nous ferons le bilan de la liberté de la presse dans le monde en ces temps troubles (…) »
« Marc Voinchet (à Omar Ouahmane) – (…) Il faut dire que vous avez fait un parcours assez étonnant. Le 12 janvier 2011 à Haïtti pour fêter, si j’ose dire, célébrer « le un an après », le 18 janvier en Tunisie, le 5 février au Caire, le 14 février au Caire à nouveau. Puis vous partez le 11 mars au Japon pour ce qui n’est d’abord qu’un tsunami entre guillemets. Puis vous revenez le 3 avril à Abidjan avec chaque fois des longues périodes, avec très peu de transit entre chacun de ces pays. Ça veut dire que vous avez dû faire à peu près dix fois la distance de la terre à la lune avec un magnétophone sur l’épaule. Est-ce que à chaque fois on se dit qu’on participe à quelque chose qui fait vaciller tout de même le cours de l’Histoire et qui va changer les pages de nos livres d’Histoire ou est-ce que le feu de l’action ne vous fait pas réfléchir du tout à tout cela ?
Omar Ouahmane.- C’est un mélange de tout ça…(…) On est pris dans le feu de l’action, avec en même temps le sentiment de participer à l’écriture de cette Histoire (… ) J’ai la chance de travailler dans une rédaction très réactive, Jean-Marc Four et Marc Crépin à qui je propose de partir et qui me disent « Fonce, c’est là-bas que ça se passe ! »
« Marc Voinchet .- (…) Omar Ouahmane, vous avez cherché dans vos archives tout récemment à Abidjan. Nous allons diffuser un son que vous n’avez pas voulu diffuser au moment où vous y étiez. C’était le 3 avril dernier. Pour quelle raison ?
Omar Ouahmane .- Pour la simple raison que c’est un son qui est pétrifiant. On va entendre. C’est notre arrivée sur Abidjan. Les frontières terrestres et maritimes étaient fermées. Je pars de Paris. Je rejoins Ouagadougou, le Burkina-Fasso, assez vite le nord de la Côte d’Ivoire, j’arrive, je glisse sur Yamoussoukro puis Abdijan, la veille de l’assaut sur cette capitale économique avec les forces de Ouattara. Et on est pris dans cette fusillade.
Marc Voinchet .- On vous dit : vous pouvez y aller, c’est sécurisé ! En fait, ça ne l’est pas. Vous êtes quatre journalistes, un de TF1, un de France Télévision, deux de Radio France, vous et Grégory Philips. Vous vous aventurez et tout d’un coup :
Enregistrement de bruits de tirs, de rafales de mitraillette
O. O ._ Donc là c’est la première rafale. On se dit : mais qu’est-ce qui se passe ? Autour de nous, il y a des véhicules qui sont criblés de balles avec des cadavres qui jonchent le trottoir. On est dans le nord d’Abidjan (enregistrement des tirs , des cris) Et là il y a le chauffeur qui conduit la voiture dans laquelle je me trouve avec Grégory Philips. C’est un monsieur qui s’appelle Mustapha qui est venu nous déposer à Abidjan pour revenir chez lui à Yamoussoukro. Il restera avec nous dix jours. Il est pris de tremblements. Son pied droit qui est censé accélérer, n’arrive pas à accélérer. Il a failli caler. Finalement il accélère et on arrive sains et saufs dans le centre d’Abidjan.
Marc Voinchet .- Et vous vous dites : nous n’avons pas eu la balle perdue cette fois.
O. O. .- Oui, j’avais une valise satellite qui m’a servi pour diffuser…
M. V. .- Et qui vous a servi plus de bouclier que de…
O. O. .- Elle était sur la plage arrière.
M. V. .- Pourquoi vous ne vouliez pas diffuser ce son au moment où c’est arrivé ?
O . O. .- J’ai ressorti ce son pour cette émission de ce matin. Et je ne voulais pas revenir. C’était vraiment un épisode extrêmement douloureux…
M. V. .- Parce que ça n’est pas toujours comme ça non plus !
O. O. .- Parce qu’on ne s’y attendait vraiment pas, qu’à ce moment-là, j’ai Grégory Philips sur ma droite qui se penche également. On est donc blotti derrière. On se dit : il faut que ça passe. Évidemment ces quelques secondes sont interminables. Et voilà c’était un épisode que je voulais oublier. Je n’en ai pas parlé assez vite avec ma hiérarchie. On a discuté. Est-ce que c’était le bon choix que d’aller comme ça dans ce convoi à Abidjan, seul ? Est-ce qu’on n’aurait pas dû rester avec la colonne, qui est la colonne qui a capturer Laurent Gbagbo le 11 avril dernier ? Donc on a fait des choix. C’est vraiment ça le métier de reporter, c’est faire des choix. Et là, il se trouve que c’est passé, c’était vraiment limite. »
« Puisque les Matins sont consacrés ce vendredi au reportage, aux reporters qui couvrent l'Histoire en marche, Albert Londres disait, vous le savez, que le rôle des journalistes est de « porter le couteau dans la plaie »... C'était dans son livre Terre d'Ebène...
Il y a encore dix jours en Côte d'Ivoire, juste après l'arrestation de Laurent Gbagbo, plusieurs commentateurs pensaient l'épisode sanglant fini, terminé, et qu'une fois Alassane Ouattara sur le siège présidentiel , la vie reprendrait son cours.
Or, la bataille d'Abidjan a toujours lieu : dans l'ouest, dans le quartier de Yopougon les miliciens pro-Gbagbo refusent de déposer les armes. Le reportage de l'envoyé spécial de Radio France, Hervé Toutain. (…) »
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La livraison du jour nous apporte le leurre et l’argent du leurre. Popaul ce que vous relatez s’appelle un « making off », il n’y a que vous pour confondre le film avec le making-off.
« Le reporter se met en scène au détriment de son sujet. »
Si
vous écoutiez assez fréquemment France Culture vous sauriez que cette émission particuliè¨re (puisque les personnes interrogées étaient
ces reporters) est bien une des très rares occasions lors desquelles
Omar Ouahmane se sera « mis en scène ».
On attendra que, depuis
votre chaise longue, vous nous donniez des informations fiables,
complètes et impartiales sur ce qui se passe dans le monde...
Je viens de perdre dix minutes de mon temps lire ce torchon réactionnaire rédigé avec les pieds. « Villach People » est de mauvaise foi et il s’avère incapable d’écrire correctement.