Tirage au sort Ou L’utopie d’un gentilhomme ?
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A la fermeture brutale de la radiotélévision publique grecque il avait enfin décidé de comprendre ce qui réellement se passait dans ce monde sans penser pour autant que pour ce faire il allait devoir remonter jusqu’à l’antiquité. Ce ne fut pas l’Irak, ce ne fut pas la Lybie, ce ne fut pas même la Palestine qui le sortir de sa crasse torpeur, mais juste un écran noir. Sur l’écran noir de ses nuits blanches il y avait eu jusqu’alors un drôle de cinéma, qui, mieux vaut tard que jamais, il fini par identifier comme n’étant rien d’autre que la pire des propagandes (il n’était par rare qu’il se visionna en une nuit toute une saison de « A la Maison Blanche », oui, bon, certes, mais c’est tellement bien fait… Non ?). Plus tard il eu honte d’avoir été ce somnambule (à réveiller avec précaution sous peine de se faire copieusement insulter) et se promis de s’en souvenir quand l’envie lui prendrait de juger à brûle-pourpoint celui qu’il identifierait comme étant aveugle.
12 juin 2013 donc. Il pouvait s’offrir le luxe de mettre son travail de côté pendant trois ou quatre jours sans que personne ne lui en tienne rigueur – ce jeune homme faisait indéniablement parti des privilégiés - et un mois après il se retrouva dans la peau de Rosemary dans les dernières scènes du célèbre film de Roman Polanski.
Il partit donc tout schuss. Pas le choix. Pas même fait exprès. Pouvait plus faire autrement.
Vas-y mon gars :
3 janvier 1973, Pompidou, Kennedy, ordre exécutif n° 11110, Eustace Mullins, Cornelius Castoriadis, Naomi Klein, Manolis Glezos, Nikola Tesla, Goldman Sachs, Bilderberg, le Dîner du Siècle (une courte vie à éplucher plusieurs journaux par jour, Libé, le Monde- pas mal pour draguer du côté de la Bastille - et jamais il n’avait lu une ligne sur l’un de ces Dîners, à se demander si les chiens n’aboyaient qu’afin qu’il ne puisse pas entrer dans sa maison) l’Europe, 23 décembre 1913, Wilson, Jackson, ce très, très cher Henri Guillemin et un autre éclairage sur la révolution française, renaissance, moyen-âge, mais qu’est-ce donc ce que l’on appelle « la monnaie » ? (Tiens, il avait juste oublié de s’intéresser à ce truc après le quel il courait depuis ses 18 ans). Catastoïka, Debtocratie, Dédale, L’Argent Dette. Enfin, l’antiquité, Athènes, la démocratie, la vrai. Le tirage au sort. La vraie démocratie avec un gentilhomme. La vraie démocratie avec Etienne Chouard.
Un mois.
Cela se fit en un mois.
Du brutal.
Rosemary s’approche du berceau.
Les yeux dans le berceau.
On se calme.
Le tirage au sort. Il n’avait jamais entendu parler de cette forme particulièrement farfelu de démocratie. Il n’osait même croire que cette démocratie ait un jour existée. Il n’osait même croire que la démocratie, en fait, c’était cela.
Impossible !
N’importe quoi !
Puis il comprit (il venait de loin), puis il trouva cela limpide, évident. Et puis il se dit que ce n’était pas gagné, que c’était loin d’être gagné d’arriver à cette démocratie-là. D’arriver à la démocratie. Il en parla autour de lui ; au mieux cela faisait rire, au pire… Sous peine de se faire copieusement insulter… Sans compter, parfois, le visage las du gentilhomme qui après moult et moult batailles se demande bien, au vu de ses dernières vidéos, s’il connaitra la victoire de son vivant, voir si même un jour victoire il y aura.
L’amoureuse de notre jeune ami est juriste. Elle revient à Paris après un séjour en Suisse. Le soir même le jeune homme l’invite dans un restaurant japonais. Elle est heureuse, elle sourit, elle rit, elle a très bon appétit. Le jeune homme voudrait lui parler de sa dernière découverte, du tirage au sort, mais trouve que ce n’est pas une si bonne idée ; il ne voudrait pas la mettre en colère, il ne voudrait pas gâcher la soirée. Mais il ne peut s’en empecher. Il ne peut s’en empêcher, il est comme ça. Il lui en parle. Il lui en parle et il se tait. Il attend sa réaction. Il attend qu’elle lui dise qu’il est fou.
_ Ca existe déjà.
Quoi ? Qu’est ce qu’elle a dit ?
_ Ca existe en France, ça existe en Suisse, ça existe aux Etats-Unis, ça existe presque partout dans le monde le système du tirage au sort.
Est-elle folle ou se moque-t-elle de lui de façon particulièrement sadique ?
_ Je ne comprends pas.
Elle hésite entre un sushi au thon rouge et une gambas.
_ La justice. Les tribunaux. Dans une cour d’assises on tire au sort des jurés. On les tire au sort ; ils ne sont absolument pas spécialisés en droit, dans l’écrasante majorité des cas du moins. Ils sont le peuple. Certains sont mis de côtés car jugés inaptes, avocats et procureurs on le droit d’en récuser d’autres, mais quoi qu’il en soit, ces gens que le hasard à amené là, boulangers, infirmières, garagistes, après avoir entendu les professionnels du droit débattre, vont eux, et eux seuls, juger si tel homme va être exécuté, en prendre pour perpette, pour vingt ans, ou s’il va ressortir dans l’heure, libre, et s’en aller tremper un croissant dans un café crème en face du tribunal en compagnie de ses avocats. Tu vois, cela existe déjà. C’est la justice.
Le jeune homme reste silencieux. Il regarde celle qui maintenant porte calmement une gambas à ses lèvres écarlates. Il lui semble avoir été enfermé depuis trop longtemps dans une chambre à l’air vicié et que quelqu’un ait ouvert une fenêtre laissant entrer l’air parfumé d’un matin d’hiver. C’est frais. C’est froid un matin d’hivers. Ce n’est en rien confortable l’air d’un matin d’hiver. Mais c’est tellement revigorant l’air d’un matin d’hivers. Non ce n’est pas confortable. Mais tellement…Vivant.
Il regarde la jeune femme et après tout ces jours passé à désespérer dans une chambre à l’air vicié, il a quelques peines à retenir ses larmes.
C’est possible.
Merde !
C’est possible.
Trassibul
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