Tirer à bout portant à Gaza, était-ce justifié ?
Le quotidien israélien Haaretz a commandé une étude à l’organisation humanitaire MEZAN, basée à Gaza. Il en ressort que sur les 1.400 victimes de l’opération Plomb durci pendant l’hiver dernier,1.085 Palestiniens ont été tués par des frappes aériennes, et 93 ont été abattus à bout portant par des soldats israéliens. Amira Hass ne cesse de dénoncer les exactions commises par Israël à l’encontre des Palestiniens. Dans un article publié par Haaretz le 1er juin, Amira Hass accuse une nouvelle fois l’armée israélienne d’actes de barbarie.
Les forces de défense israéliennes ont-elles examiné soigneusement toutes les circonstances des tirs à bout portant, et trouvé qu’ils étaient justifiés ? Est-ce que tous les soldats, qui sont parfois les seuls témoins de ces meurtres, partagent les positions de l’Armée ?
Raya Abu Hajaj, 65 ans, et sa fille Majeda, 35 ans, étaient parmi ceux qui s’enfuyaient de la zone agricole Juhor Ad-Dik, à quatre ou cinq kilomètres au sud du point de passage Karni. À six heures 30 du matin, le 4 janvier, le premier dimanche de l’attaque terrestre, l’un des nombreux obus qui tombaient sur la zone a démoli un mur de la maison des Abu Hajaj ; une jeune fille a reçu un éclat dans la main. Selon Salah Abu Hajaj, le fils de Raya, les soldats israéliens ont interrompu les émissions de la radio locale pour donner l’ordre aux résidents de quitter leurs maisons avec des drapeaux blancs. La famille Abu Hajaj et leurs voisins, les Safadi - 29 personnes au total - ont décidé de fuir vers Gaza City.
Les adultes marchaient devant le groupe en portant des enfants dans leurs bras ; Majeda et Ahmed Safadi agitaient des drapeaux blancs. Ils marchaient vers l’ouest en direction de la route de Salah Ad-Din. Parvenus près d’une maison en construction pour la famille Dughmush, à 300 mètres environ de la maison Safadi home, ils ont vu un groupe de chars à l’arrêt. Les deux familles ont continué à marcher. Un char qui se trouvait dans un champ a commencé à se déplacer vers l’ouest, parallèlement à leur route.
Tout à coup le char en mouvement a ouvert le feu - vraisemblablement à la mitrailleuse - en provoquant une grande panique dans le groupe. Les gens ont commencé à courir en sens inverse, vers l’est. Salah a vu un soldat sortir de la tourelle à mi-corps. Le char était à moins de 100 mètres. Salah a entendu les tirs et il a vu tomber sa mère et sa sœur. Les corps ont été enlevés deux semaines plus tard.
Un supérieur était-il au courant ?
Haaretz a posé au porte-parole des forces armées israéliennes, le 19 mai, les questions suivantes : « La décision de tirer depuis un char sur une file de personnes qui marchaient en agitant des drapeaux blancs a-t-elle été prise par un soldat individuellement, ou conformément à des ordres venant d’en haut ? Dans ce cas, était-ce l’ordre d’un officier se trouvant dans le char ou ailleurs ? Avait-on des renseignements sur la présence d’un combattant armé pouvant se cacher parmi ces civils, ce qui aurait justifié la décision de tirer sur des civils, en accord avec le règlement des forces armées israéliennes ? Ces personnes constituaient-elles une menace pour la vie des soldats dans les chars, et comment se fait-il que les chars postés à l’ouest de la route, près de la maison Dughmush, n’aient pas tiré ? Les noms de Raya et Majeda Abu Hajaj apparaissent-ils sur la liste des personnes tuées par les forces armées israéliennes ? »
Le 21 mai, le porte-parole des forces armées israéliennes a répondu : « Nous avons vérifié l’information donnée par votre journaliste sur une période de plusieurs jours pendant laquelle des unités des forces armées israéliennes étaient en opération dans la zone. Il en ressort que l’Armée n’a pas connaissance de l’incident. Nous serions heureux de recevoir de votre part d’autres informations qui pourraient nous être utiles. Il faut noter que pendant l’opération Plomb durci, le Hamas a exploité cyniquement la population civile et l’a utilisée comme bouclier humain. »
Le 5 janvier, entre quatre et cinq heures du soir, des soldats faisant apparemment partie du groupe d’infanterie Golani ont fait irruption dans la maison de Samir Rashid, dans la banlieue de Izbet Abed Rabbo, à l’est de Jabalya. Ils ont démoli le mur ouest de la maison et sont entrés dans la cage d’escalier. La maison était située en face d’une mosquée où trois membres des brigades du Hamas Iz al-Din al-Qassam s’étaient retranchés. L’Armée a bombardé cette maison le 5 et le 6 janvier. Selon plusieurs interviews de Haaretz à ce moment-là, des soldats israéliens ont forcé des civils palestiniens à marcher devant eux pour fouiller des maisons.
Les soldats sont montés au second étage de la maison de Rashid, où toute la famille s’était réfugiée, en lançant des grenades offensives. Samir et Munir Rashid ont ouvert la porte aux soldats, en mettant immédiatement leurs mains sur la tête. Les soldats ont demandé à Munir de leur apporter la clé de la porte d’entrée métallique de la maison, et ils ont pris Samir avec eux pour fouiller les appartements à l’étage supérieur. Quelques minutes plus tard, quand Munir est revenu avec la clé, il a vu des soldats qui emmenaient son frère sur un brancard.
Samir ne portait qu’un pantalon. Du sang coulait de sa poitrine nue. Son corps est resté jusqu’au 14 janvier devant l’immeuble. Les traces de sang observées par la suite pourraient permettre de conclure que Samir Rashid a été tué sous le porche sud-est de l’immeuble. Mais deux semaines plus tard, après la fin de l’attaque, il n’y avait aucune trace de balles sur le mur du porche.
« Ils ont riposté aux terroristes »
Haaretz a posé la question au bureau du porte-parole des forces armées israéliennes : « Samir Rashid travaillait pour l’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency). Selon sa famille, l’agence et les journalistes ont déjà demandé à l’Armée pourquoi Samir Rashid a été tué. Selon sa famille, l’Armée a répondu qu’il tentait de s’enfuir. Est-il possible de conclure qu’il a été tué à bout portant ? L’Armée a-t-elle examiné les circonstances de la mort de Samir Rashid ? »
Le porte-parole a répondu : « L’enquête a montré que des soldats israéliens ont essuyé des coups de feu pendant leur mission, dans la zone dont vous parlez, et qu’ils ont riposté aux terroristes. Pendant un échange de coups de feu dans une zone de combat, un homme a été blessé. Prétendre qu’il a été tué à bout portant est dénué de tout fondement. »
On ne connaît pas la date à laquelle Jamila Da’ur, 61 ans, et son fils Mohammed, 32 ans, ont été tués. Leurs corps ont été trouvés le 18 janvier à l’entrée de leur maison, dans la banlieue d’Atatra. Quelqu’un avait posé une couverture sur le corps de la femme, apparemment quelques jours après sa mort, car il n’y avait pas de traces de sang sur la couverture. Mohammed avait entre les mains la chemise qu’il était en train de mettre.
Dans la nuit du 3 janvier, un samedi, alors que les explosions des obus se multipliaient, la famille Da’aur cherchait à quitter la maison. Mais il était dangereux de s’enfuir ; les obus tombaient tout autour, une roquette avait blessé l’un d’eux, et ils recevaient du verre brisé sur leurs têtes. La famille Da’aur n’a parcouru qu’une centaine de mètres et passé la nuit chez des voisins, terrorisée et privée de sommeil.
Le lendemain, Jamila et Mohammed se sont arrangés pour retourner à leur maison, apparemment pour rassembler quelques documents et quelques biens de valeur. L’après-midi, l’Armée a lancé des obus au phosphore sur la zone, tuant cinq membres de la famille Abu Halima. Les dernières communications téléphoniques avec les Da’aurs ont eu lieu dimanche soir. Deux matelas dans un couloir et un cendrier plein de mégots ont été découverts le lendemain des combats, ce qui a fait conclure à la famille que les deux étaient encore vivants ce dimanche matin. Un téléphone mobile et des cartes d’identité qu’ils avaient sur eux avaient disparu.
Haaretz a demandé au bureau du porte-parole des forces armées israéliennes : « Les deux personnes ont-elles été tuées parce qu’elles étaient dans une zone que les résidents avaient reçu l’ordre d’évacuer ? Ont-elles été tuées parce qu’elles étaient soupçonnées d’être armées, ou parce que des personnes armées étaient à proximité ? »
Le bureau du porte-parole a répondu : « Nous avons étudié la question, et nous n’en savons rien. Il semble que les conclusions auxquelles votre journaliste est parvenu sont basées sur des présomptions et de vagues informations. Le porte-parole de l’Armée dénie le fait que des soldats israéliens aient tiré intentionnellement, sans raison, sur des Palestiniens n’ayant pas pris part au combat. Les soldats israéliens et leurs officiers sont entraînés et agissent conformément aux lois internationales. Ils font un grand effort pour réduire les dommages causés à la population civile, en dépit de l’utilisation monstrueuse des civils par le Hamas. »
Amira Hass
Traduction LF
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