TITAN : récit d’une course contre-la-mort
Le dimanche 18 juin 2023, le mini submersible commercial Titan d'OceanGate Expeditions quitte la surface à 9 h (heure locale) avec cinq personnes à bord pour l'exploration du Titanic reposant par 3.821 mètres. L'expédition est prévue du 12 au 20 juin, et l'immersion dure habituellement une huitaine d'heures : 2 h 30 pour la descente, 2 heures fond et 2 h 30 pour la remontée. Une heure et quarante-cinq minutes plus tard la communication et le signal du transpondeur sont perdus entre le submersible et son navire support. Profondeur estimée, 3.300 mètres et présence d'un courant du Gulf-Stream. Les heures s'écoulent, les occupants seront à cours d'oxygène à partir de mercredi ou jeudi 11 heures ; autonomie prévue entre 70 et 96 heures.
Les personnes embarquées : Le patron d'OceanGate Expeditions, l'homme d’affaires britannique Hamish Harding, 58 ans, PDG d’Action Aviation à Dubaï, deux pakistano-britanniques, Shahzada Dawood, vice-président du conglomérat Engro et administrateur de l’Institut SETI, accompagné de son fils Suleman, et invité Paul-Henri Nargeolet, 77 ans, ancien Commandant du GPD-Manche, pilote de sous-marins au GISMER, responsable des sous-marins d’intervention profonde de l’Ifremer, et directeur du programme de recherche de la société RMS Titanic/Phoenix International propriétaire de l’épave qui repose dans les eaux internationales par 3.821 mètres à 650 km des côtes canadiennes.
Les engins submersibles regroupent les tourelles de plongée, les ROV télé-opérés et les submersibles qui ne peuvent opérer seuls en totale autonomie et qui nécessitent un navire d'assistance. Le Titan est présenté comme un « bijou » de technologie : matériaux composites (titane & fibre de carbone), grand hublot frontal, projecteurs extérieurs (40.000 lumens), caméra 4k, purge permettant un réglage très fin des ballasts, quatre propulseurs électriques, l'air déshumidifié débarrassé du CO2 est recyclé (avec ou sans ajout d'oxygène ?), et un réseau de jauges de contrainte surveille la coque en temps réel.
Le submersible est piloté via une manette Logitech sans fil et une tablette tactile. « Le sous-marin est très bien fait, car il est très simple. Il y a normalement beaucoup de commandes et de boutons mais sur celui-ci vous ne travaillez que sur un écran et un clavier, ça rend le tout très simple. (...) Vous n'êtes pas sur le siège passager à attendre que le temps passe et à regarder à l'extérieur, vous êtes vraiment un membre de l'équipe, et c'est génial » vante un des participants dans une vidéo publiée sur la chaîne YouTube d'OceanGate. La réalité semble différente, les passagers assis à même le sol regardent la scène extérieure éclairée par les projecteurs sur l'écran 4K.
La zone de recherches est étendue sur 24.000 km2 autour de l'épave située « à environ 1 450 km à l’est de Cape Cod, à une profondeur d’environ 4 000 m ». Un C-130 américain, un P8 canadien et plusieurs navires arrivent rapidement sur la zone. Si le Titan est proche des débris du Titanic, les différencier risquent d'être problématique. Mardi 20 juin, les hydrophones des bouées larguées par l'avion P8 captent « des bruits de coups dans ce secteur toutes les 30 minutes. Quatre heures plus tard, un sonar additionnel a été déployé et les cognements étaient encore entendus ». Gardons la tête froide, un homme ne frapperait-il pas des séries de coups identifiables ? Le signal SOS a été retenu afin de ne pas le confondre avec des parasites électromagnétiques, pour sa rapidité et la facilité à le mémoriser. « Save Our Saouls » est une invention de journaliste.
Des informations destinées à entretenir l'espoir sont distillées. Après 24 heures d'immersion, les ballasts du Titan ne sont-ils pas prévus pour se détacher permettant au submersible allégé de remonter à la surface ? Ouf ! mais repérer un flotteur de 6,70 m x 2,80 m x 2,50 m en flottabilité positive dont seule la partie supérieure émerge n'est pas évident. (poids total 10.432 kilos, charge utile 685 kg). Si une partie Vs de son volume est immergée, la poussée d'Archimède vaut fo.g.Vs ; cette force doit être égale et opposée au poids p.g.V de l'objet (l/fo = Vs/V). La masse moins le volume vaut 920 kg/m3, et celle de l'eau de mer 1025 (selon salinité et température). La fraction immergée est donc égale à 920 / 1025, soit 0,898 ou 89,8 %. L'équipement de survie du Titan comprenait-il : un réflecteur radar actif, une balise satellite auto-largable, un bruiteur, un flash stroboscopique, un phoscar, du colorant, un « pétard » de rappel afin de signaler sa présence aux secours ? La législation semble plus draconienne pour les petites unités de plaisance que pour les submersibles.
Une lutte contre la montre est engagée. La survie à bord doit devenir de plus en plus critique : température, condensation (vapeur d'eau expirée), hypoxie (chute du taux d'O2), hypercapnie (augmentation du taux du CO2), les filtres doivent arriver à saturation, WC chimique plein et pas question de sasser. Les organisateurs ont-ils prévu : couvertures, rations, bâtons lumineux, tubes colorimétriques, « chandelle » (bloc d'oxy), masques filtrants comme ceux placés dans les tourelles de plongée ? On n'en sait rien. Les journalistes, comme certains lecteurs, ont oublié que l'on ne peut juger au-dessus de soi. Les « informations » tournent en boucle. Aucun renseignement technique pertinent. Ceux qui savent, se taisent, et le seul qui aurait pu nous informer, le directeur OceanGate, était à bord.
David Pogue qui a embarqué à bord du Titan pour CBS (2022) : « les passagers étaient enfermés à l’intérieur de la capsule principale, verrouillée par des boulons et ne pouvaient en sortir seuls (pourquoi ne pas avoir monté des boulons explosifs). Lors du sixième jour d’expédition, le sous-marin d’OceanGate a perdu le contact avec le bateau chargé de les guider. Comme il est impossible de se repérer sous l’eau, une équipe à bord d’un bateau en pleine mer a pu envoyer des SMS au navire submersible, afin de faciliter le guidage. Les passagers se trouvaient alors à 3 742 m de profondeur. (...) L’équipe s’est ainsi retrouvée perdue pendant 2 heures et demie, et les « touristes » à bord n’ont jamais pu voir l’épave du Titanic à l’occasion de cette expédition.
Mike Reiss, producteur de la série Les Simpsons, qui a déjà accompli deux voyages à bord d'un submersible d'OceanGate et un troisième à bord de Titan : « On perd presque toujours la communication et on se retrouve à la merci des éléments et ce genre de truc. (...) Il faut signer une décharge avant de monter et la mort est mentionnée à trois reprises en page une. Ce ne sont pas des vacances en autocar, ça peut mal tourner ». Un document averti : « Le Titan est un « navire submersible expérimental qui n’a été ni approuvé ni certifié par aucun organisme de régulation et pourrait entraîner des blessures physiques, des traumatismes émotionnels ou la mort ». « Nous sommes conscients des risques que nous prenons. Ce n'est pas une surprise », Alan Estrada qui a participé l'excursion au mois de juillet 2022.
Plusieurs scenarii sont envisagés : panne électrique localisée, communication - orientation - régénération de l'air - motorisation - éclairage - panne électrique totale - voie d'eau - choc avec un obstacle - submersible retenu par un câble ou sous un « plafond » - incendie - fumées toxiques - drossage contre un obstacle, coup de folie d'un participant, voie d'eau, rencontre avec un cachalot, risques géologiques. J'allais oublier le kraken et l'influence du triangle des Bermudes ;-))
Si le submersible est échoué à grande profondeur, aucun État ne dispose d'un submersible de sauvetage opérationnel pouvant aller au-delà de 800 mètres. Le sauvetage sous-marin le plus profond jamais réussi fut celui du Pisces III. Le 29 août 1973, le mini submersible poseur de câble transatlantique sombre au large des côtes irlandaises par 480 m avec deux hommes à bord. Le 1er septembre, le Pisces II et le CURV III (Controlled Unmanned Recovery Vehicul) réussissent à fixer une ligne au Pisces III et à le hisser en surface. Après 76 heures passées dans leur boîte à sardines, les deux opérateurs pouvaient respirer à l'air libre. Le CURV fut développé au début des années 1960 pour récupérer les munitions d'essai perdues en mer. Le 7 avril 1966, il avait permis la récupération d'une bombe H perdue le 17 janvier à 8 km au large de la côte espagnole de Palomares par 750 m de fond.
L’ancien directeur des opérations marines d'OceanGate Expeditions, David Lochridge, dit avoir été licencié en janvier 2018 pour avoir « soulevé des problèmes de sécurité importants concernant la conception expérimentale et non testée du Titan ». Le hublot sensé résister à la pression de 400 bars a été conçu pour 130 bars (1300 m) ! Plus d'une trentaine de scientifiques avaient signé une lettre adressée à Stockton Rush dans laquelle ils faisaient part de : « leur inquiétude unanime face à ce qu'il nomme "l'approche expérimentale d'OceanGate ». Réponse de Stockton Rush : « mettre une entité extérieure au courant de chaque innovation, avant qu'elle ne soit testée, est un obstacle à l'innovation ».
Stockton Rush semble avoir pris des risques en connaissance de cause : « Vous savez, j’ai enfreint certaines règles pour réaliser ce projet. Je pense que je les ai transgressées en m’appuyant sur la logique et une bonne ingénierie. Il y a une règle qui interdit d’utiliser la fibre de carbone et le titane. Et bien je l’ai fait » (CBS 2022). « Bien qu'il y ait évidemment un risque, c'est bien plus sûr que de voler en hélicoptère ou même de la plongée sous-marine. Il n'y a jamais eu de blessure en 35 ans dans un sous-marin non militaire » (échange d'e-mails entre Jay Bloom et Stockton Rush). Rappelons que le submersible opérait dans les eaux internationales, là où aucune certification n'est nécessaire. Faut-il interdire l'accés à l'épave ?
L'Atalante, le navire de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) équipé du robot sous-marin Victor 6000, vitrine technologie française, arrive sur zone le jeudi 22. Trop tard ! on apprend en milieu d'après-midi que des débris auraient été découverts par le robot Odysseus de Pelagic Research Service à 500 mètres de la proue (l'avant) du Titanic. Une conférence des Garde-côtes est annoncée pour 21 heures (heure de Paris). A l'heure dite, l'Amiral confirme qu'il s'agit bien de débris appartenant au Titan ! Le Wall Street Journal révèle qu’un système de détection acoustique secret a enregistré un signal de quelques hertz correspondant à l'implosion du submersible Titan à l'heure de sa disparition ! L'USNavy a demandé que le système d'écoute ne soit pas nommé pour des raisons de sécurité nationale (certaines côtes et détroits sont surveillés par des réseaux d'hydrophones, ancien SOSUB). La mission de cartographie et recherche de nouveaux débris est reconduite à Pelagic Researc Services.
La cellule du Titan ressemble à une gélule, un cylindre de 127 mm d'épaisseur fermé à chaque extrémité par une calotte hémisphérique, l'une disposant d'un hublot en acrylique. Généralement, le hublot est conique afin que la pression le plaque fortement contre son cadre. La résistance de tout matériau a des limites, la pression comprime la coque et une température basse la rétracte. Chaque plongée a pu contribuer à l'affaiblissement des fibres de carbone. Le constructeur a-t-il préféré une fibre qui résiste le mieux à la traction ou celle offrant une meilleure résilience (module de young) ? Le réseau de jauges de contrainte a-t-il fonctionné, Stockton Rush aurait-il ignoré l'alerte ? Si le matériau composite utilisé est plus léger, plus résistant et plus rigide que l'acier, il est électro-conducteur, d’où un risque de corrosion aux points de jonction avec l'acier ou aluminium. Titan était-il protégé par un nombre suffisant d'électrodes ? Le submersible totalisait cinquante plongées.
Selon le vice-amiral Jean-Louis Vichot, ancien commandant de sous-marins nucléaires, les corps ont été : « littéralement pulvérisés par la force de la mer. (...) Il n’y a aucune chance de retrouver quoi que ce soit, peut-être même pas une trace d’ADN. (...) Tout a été dispersé et ça a disparu ». L'implosion a pour effet d'entrainer la réduction rapide du volume occupé (le contraire de l'explosion). L'étude portant sur l'accident du San Juan (S-M Argentin) a établi que le pic d'implosion a été quasi instantané, 40 millisecondes. L'équipage n'a pas le temps de réaliser, sauf signes annonciateurs. L'eau s'engouffre à plusieurs centaines de mètres par seconde et l'onde de choc se propage à la célérité du son dans le matériau considéré.
Le théorème de Torricelli énonce que le carré de la vitesse d'écoulement d'un fluide est proportionnel à la hauteur du fluide situé au-dessus de l'ouverture V^2 = 2g.h. A 3.300 mètres la vitesse du fluide est d'environ 250 mètres/seconde, impossible d'étaler même avec de puissantes pompes ! C'est un tsunamie dans un espace fermé. Lors d'une déchirure de coque, l'eau s'engouffre avec force (travail accompli par la différence de pression). La formule 2.08 x A x √ H donne le débit. (Aire et Hauteur d'eau en centimètres). Une voie d'eau de 2 cm2 située à cinq mètres sous la ligne de flottaison, c'est 93 litres par minute qui envahissent la cale.
« Comme pour l’exploration spatiale, la meilleure façon de préserver l’héritage de ces cinq explorateurs est de mener une enquête, de découvrir ce qui n’a pas fonctionné, d’en tirer les leçons et d’aller de l’avant » Guillermo Söhnlein, cofondateur d'OceanGate Expeditions qui a quitté l’entreprise en 2013. « Paul-Henri n’a jamais exprimé de réserves concernant la sécurité. Je pense qu’il était attiré par les aspects technologiques et l’innovation. Il me disait qu’OceanGate effectuait plusieurs vérifications avant chaque expédition. Et qu’il se sentait à l’aise avec cette façon de fonctionner. Mais il savait aussi qu’il y avait un risque, comme sur n’importe quel sous-marin » Jessica Sanders société RMS. Une remarque, une correction, une précision ?
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