Tourisme et environnement à Hammamet ou le pot de fer contre le pot de terre
La marée touristique qu’a vécue la ville de Hammamet a été tellement brutale et généralisée que le Hammamet paradisiaque que connurent André Gide, Bernanos, Paul Klee et bien d’autres, s’est comme par enchantement évaporé.
En effet, en l’espace d’à peu près deux décennies, le déploiement intensif d’activités balnéaires et touristiques a totalement métamorphosé Hammamet qui s’est vue basculée de la petite ville pittoresque dont les principales activités étaient l’agriculture et la pêche à la zone industrielle touristique.
Hammamet comptait en 1970, 18 unités hôtelières. Elle en compte aujourd’hui 120 en exploitation pour une capacité de 42000 lits. A l’exception de quelques hôtels situés en deuxième zone, toutes les autres implantations s’alignent le long du littoral formant un cordon urbain d’unités hôtelières situées en front de mer. Très vite, et de proche en proche, cette marée de constructions a fini par transformer la quasi-totalité du littoral en une énorme dalle de béton. Seules quelques parcelles de terre ont pu échapper à ce phénomène d’urbanisation touristique et constituent les rares fenêtres vertes ouvrant encore sur le golfe d’Hammamet. Quant aux plages publiques, elles rétrécissent comme une peau de chagrin. Et pour cause, les concessions d’occupation du domaine public maritime sont généreusement délivrées par l’administration aux promoteurs touristiques, et si nous n’y prenons garde, il ne restera pratiquement plus un pouce de rivage à Hammamet qui ne soit loti, bétonné ou doté d’équipements divers. Au milieu des années 90, et tirant les enseignements de l’expérience des pays du nord de la méditerranée, les autorités tunisiennes ont opté pour une nouvelle politique d’aménagement touristique : celle des stations touristiques intégrées. Ce modèle d’aménagement, beaucoup moins consommateur d’environnement que le modèle linéaire, permet grâce à une forte densité d’occupation du sol de concentrer, dans un même espace, plusieurs types d’établissements touristiques ayant des fonctions diverses : hébergement, animation, plaisance, commerce…etc… Ainsi en est-il de la station touristique intégrée Yasmine Hammamet où, sur un terrain marécageux de 280 ha, ont été construit 41 unités hôtelières ayant une capacité de 24000 lits, des centres d’animations, une médina, des villas résidentielles, une marina et des équipements divers (espaces de jeux, commerces…).
Deux défauts majeurs
Malheureusement, nous sommes forcés de constater que malgré ces innovations apportées à notre politique d’aménagement touristique, celle-ci est restée en deçà de ce qu’auraient dû être ses objectifs. Elle souffre en effet d’au moins deux défauts majeurs : Le premier réside dans l’insuffisance de la prise en compte des problèmes environnementaux qui a conduit à une consommation rapide des espaces littoraux et à une dégradation des écosystèmes naturels : érosion des plages, destruction des dunes bordières, pollution marine, urbanisation littorale, privatisation du front de mer et limitation des accès publics aux plages… Le deuxième défaut majeur est la dichotomie ou dualité entre la planification touristique et la planification urbaine. Je m’explique : le plan d’aménagement touristique (PAT) de Hammamet, élaboré en 1975, s’est contenté d’organiser l’espace littoral sans prendre en considération les impacts, voire même se soucier des conséquences qui surviendraient sur la ville et ses arrières. Le plan d’aménagement urbain (PAU) de la ville de Hammamet, quant à lui, a été élaboré dans le service régional du Ministère de l’équipement en 1977. Il ne pouvait en aucun cas, par l’entremise d’un seul architecte, prétendre dominer et maîtriser les phénomènes d’urbanisme d’une ville en pleine métamorphose. C’est pour cela que ce plan posa plus de problèmes qu’il n’a voulu en résoudre. Il est en cours d’actualisation depuis 1984. En fait, ces plans d’aménagement ont existé mais se sont mutuellement ignorés. Le divorce était total. La partie touristique de Hammamet connût un rythme d’expansion impressionnant, et le secteur touristique mobilisa des ressources financières sans commune mesure avec les moyens de la municipalité qui s’est trouvée désarmée face au boom urbain engendré par le tourisme. Le résultat est qu’une urbanisation incontrôlée parce que incontrôlable s’est développée : la population de Hammamet est passée de 18000 habitants en 1973 à 65000 habitants au dernier recensement de 2004 ; plusieurs quartiers spontanés surgirent du néant tels que Erriadh (Nebka), Oued Enhal, Ennadhour, Kharrouba… Autant de stigmates d’une politique d’aménagement qui a largement favorisé le tourisme au détriment de la ville.
Animation et eau fraîche
Déjà en 1991, dans une tribune sur un quotidien de la place, nous avions tiré la sonnette d’alarme en écrivant ceci : « D’ailleurs ne voit-on pas le même phénomène recommencer ? Depuis l’entrée en service de la station touristique de Hammamet-Sud, l’on voit l’arrière zone du GP1 qui commence à bouger. Savons-nous au moins aujourd’hui dans quel sens va se développer ce mouvement ? Où logeront les quelques 24000 employés qui travailleront dans et autour de la station ainsi que leurs familles ? Ceux-là même que ce projet grandiose de 1000 milliards de millimes ne manquera pas d’attirer des quatre coins de la république. Hammamet est-elle préparée avec son infrastructure présente, son marché de poche, ses routes étroites et mal dessinées, son dispensaire et son petit lycée, à supporter l’émergence d’une nouvelle ville dont le plan d’aménagement ne prévoit qu’un mobilier urbain uniquement lié au tourisme (pas d’écoles, pas d’hôpitaux, pas de mosquées, pas de marchés…). Les milliers de personnes qui vont y habiter seront-ils réduits à vivre d’animation et d’eau fraîche ? Le risque est de voir émerger d’autres « Nebkas » où pour tout urbanisme, il n’y aura plus qu’à procéder à nouveau par touche de réhabilitation, et on y dépensera encore plus d’argent que si on avait pris dès le départ les mesures nécessaires pour loger et subvenir aux besoins des populations affluant vers Hammamet-Sud ». En fait, n’en déplaise à certains aménageurs, la solution à ces problèmes réside dans la révision de la programmation touristique. Celle-ci doit être intégrée dans la planification du territoire en général. Il faut réintégrer le PAT dans le PAU afin d’assurer une meilleure harmonie et un meilleur équilibre entre la partie urbaine et la partie touristique de la ville. Par ailleurs, nous pensons que la puissance publique devrait calmer les ardeurs de certains promoteurs touristiques et freiner leur appétit afin de barrer la route au tourisme prédateur qui se développe au dépens de l’environnement et promouvoir au contraire un tourisme intelligent et bien pensé qui préserve le capital environnemental de Hammamet, capital accumulé pendant des siècles et qui continue à faire le prestige de notre ville.
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