« Tous aux abris », ou les folies individualistes américaines
L'homme qui vient de disparaître s'appelait Steuart Pittman : pour beaucoup il restera un sinistre inconnu, alors qu'il était pourtant le détenteur discret d'une Silver Star pour faits de courage pendant la seconde guerre. Non, la guerre terminée, il n'avait pas eu l'âme d'un squatteur de télévision racontant ses exploits guerriers. Homme organisé, nommé à la tête des approvisionnements lors du Plan Marshall où il avait déployé une redoutable efficacité ; celui qui allait devenir plus tard un avocat d'affaires plutôt transparent n'avait aucune envie de défrayer la chronique. Et pourtant, il sera bien obligé de subir le feu des caméras et les micros tendus sous le nez en 1964 Ce qui l'avait propulsé devant les écrans était en effet assez surprenant. Il venait alors d'annoncer sa démission de l'entreprise dans laquelle l'avait embarqué trois ans auparavant le président Kennedy en personne. Sa surprenante tâche avait consisté à tenter de mettre de l'ordre dans le pays dans la construction d'abris anti-atomiques familiaux ou destinés à regrouper les gens dans les villes. Il n'y était pas arrivé, tout simplement... les américains creusant où bon leur semblait selon leurs propres normes individuelles, ou abandonnant l'idée progressivement !
L'œuvre de Steuart Pittman avait connu il est vrai une foultitude de prédécesseurs anonymes. Dans les années cinquante et soixante, pas un un magazine américain qui n'étalait de publicités sur un abri anti-atomique (ici en contreplaqué !), la phobie antisoviétique entretenue par des généraux (dont certains demi-fous, tel Curtis le May *) qui avaient trouvé là la meilleure façon de voir augmenter leurs crédits pour s'offrir de nouvelles armes. Le principe de la grande peur de l'anéantissement du monde dans iun conflit nucléaire généralisé avait progressivement disparu dans les années 80 et 90 avec les premiers accords signés sur la réduction des armes nucléaires (SALT), l'effondrement de l'URSS mettant fin à cette folie digne de générations de lemmings, tous prêts à creuser un terrier-bunker au fond de leur jardin. Et voilà que ça recommence, aujourd'hui encore, aujourd'hui les soviétiques ayant été remplaçés par la crainte de l'effondrement du dieu dollar, les vieilles peurs sont de retour. Et revoilà aussi les américains à creuser à nouveau un peu partout, à entasser des stocks de vivres et de conserves pour une hypothétique fin du monde monétaire, cette fois. Dans ce pays de véritables tarés paranoïaques, une espèce nouvelle est même apparue : celle des "survivalistes",le summun du simple d'esprit armé persuadé qu'il sera l'un des rares surivants d'un monde en complète perdition dans peu de temps. Ceux qui s'y préparent s'appelant eux-mêmes des "preppers". A le voir revenir au galop, il est donc temps d'effectuer une étude comparative des vieilles peurs américaines et de leur corollaire : cette propension à vouloir vivre en bunker, équipé de plus d'armes qu'il ne faut dans un pays où elles sont obligatoires pour ne pas passer aux yeux des autres pour un extraterrestre. La même idiotie continue en effet, cinquante ans après... toujours aussi.. individualiste, les armes en plus !
Retour dans les années cinquante : au sortir de la guerre, deux forces majeures se retrouvent face à face : les deux blocs, capitalistes et communistes font s'affronter, désormais, par pays interposés. L'escalade des dépenses militaires va en être le corollaire : on a calculé que les Etats-Unis et l'URSS dépenseront 5800 milliards de dollars pendant les cinquante ans que durera ce qu'on a appelé la guerre froide. Pour mémoire, la réalisation du projet Manhattan aboutissant aux deux types de bombes nucléaires avait absorbé 25 milliards de dollars "seulement". La date marquante, selon le numéro spécial de ce mois-ci du magazine le Fana de l'Aviation étant la dissolution du SAC en 1992 (*) : pendant des années, ce service avait maintenu en vol des bombardiers à réaction porteurs de bombes qui pouvaient être armées à tout moment en vol. Ce qui aura aussi effet de provoquer des accidents mémorables ou "broken arrows", les plus connus étant ceux de Thulé au Groënland, et de Palomares, sur les côtes espagnoles (ainsi que l'épisode de la bombe à hydrogène perdue en Georgie au dessus de Tybee Island, près de Savannah, le 5 février 1958...et jamais retrouvée (l'accident ayant eu lieu entre un F-86 et un B-47 qui étaient entrés en collision). Les exemples abondent en effet : une bombe de trois tonnes, une Mark 6 de 30 kilotonnes sera accidentellement larguée et tombera le 11 mars de la même année juste à côté d'une maison où jouaient trois enfants à Florence en Caroline du Sud : la charge explosive située à l'avant se déclenchera, sans provoquer d'explosion nucléaire,
la charge ayant été retirée au préalable, mais en créant cependant un cratère de 15 mètres de diamètre et de 10 mètres de profondeur, les enfants échappant par miracle à la mort. Le 24 janvier 1961, c'était au dessus de Goldsboro, en Caroline du Nord, où un B-52 contenant 2 bombes Mark 39 se brisera en deux en plein vol, l'une des bombes se posant attachée à son parachute, l'autre s'enfonçant dans le sol de la propriété d'un fermier et sera excavée alors qu'elle avait pénétré le sol spongieux en profondeur. Ci-dessous, les débris du B-52G qui avait tout d'abord perdu son aile droite en vol et s'était écrasé entre Faro et Eureka. L'accident avait tué trois membres d'équipage sur les huit à bord.
De savoir que des avions pouvaient emporter des bombes atomiques au dessus de leurs têtes ou que les avions russes auraient pu faire de même, avait provoqué, c'est évident, une paranoïa manifeste dans la population américaine, paranoïa renforcée par des généraux américains qui avaient bien compris l'intérêt à l'entretenirauprès de leur gouvernement, s'ils voulaient voir leur budget militaire augmenter régulièrement. Parmi eux, deux individus se détacheront : Hoyt Vandenberg et Curtis LeMay. Le premier dirigera la CIA, le second sera retrouvé bien plus tard dans d'étranges conversations téléphoniques vers l'avion rapatriant le corps de John Kennedy de Dallas... laissant entendre qu'il aurait très bien pu faire partie du complot contre le président US.
Comme j'avais déjà pu vous le dire, "l'hystérie anticommuniste et de la peur de leur attaque envahit tout, et la manipulation des masses aussi. Dans un magazine, en 1954, au milieu de deux tondeuses à gazon et de la nouvelle Buick, un article signé d'un général qui vient expliquer qu'il vient de demander une rallonge à ses instances car en gros l'attaque russe est pour très bientôt. Il s'appelle Hoyt Sanford Vandenberg, c'est celui qui a posé en photo avec Eisenhower ou Patton car c'était un des grands responsables du Débarquement, mais il oublie de dire qu'il est en même temps le directeur en second de la CIA ! L'homme, très atypique, militaire plutôt voyant à une aura phénoménale (Marylin Monroe le citera parmi celui avec qui elle pourrait se retirer sur une île) la presse l'adore : il a déjà fait la une de Time et de Life. C'est un passionné de golf (comme Eisenhower) et de films de cow-boys, à qui une grande carrière et promise, mais un cancer de la prostate met fin prématurément à sa brillante carrière, il meurt prématurément", avais-je écrit ici-même, en citant aussi Hollywood et Howard Hughes comme supports de cette politique anti-communiste au forceps. Pour LeMay c'est autre chose encore : partisan de l'écrasement du Japon par la force, il eut recours au napalm et au phosphore, dévastant près de 60 cités sous les bombardements des B-29 avant de récidiver en Corée en décidant l'ignominieux bombardement des barrages principaux du pays, noyant des milliers de civils sans que des objectifs industriels véritables aient été définis dans ces attaques. En 1962, il défendra l'option du bombardement nucléaire de Cuba, qui, s'il avait été mis en œuvre, aurait pour sûr conduit à un holocauste nucléaire. Indécrottable ultra conservateur, il appuya les demandes de bombardement intensifs sur le Viet-Nam qui, une fois refusés, le conduiront à démissionner en 1965. LeMay était un demi-fou qui ne connaissait que la manière forte.
Gavés d'images d'invasions soviétiques ou d'histoires de bombes nucléaires égarées (voir à ce propos l'excellent film Ice Station Zebra **) la population civile américaine était entretenue par les médias de la proximité d'un holocauste nucléaire (voir ici aussi et là également), une proximité qui semble se rapprocher à la même vitesse où le nombre de têtes nucléaires augmentait. Et ce, dans des proportions gigantesques. Les américains produiront pendant ces cinquante années plus de 70 000 têtes nucléaires, les russes en faisant tout autant. Résultat, présenté comme une échéance inéluctable, ils s'étaient mis à construire comme des fous des abris, le plus souvent en renforçant leur cave (le seul élément en dur chez beaucoup de maisons US, traditionnellement faites de bois), ou parfois avec des abris séparés, installés en profondeur dans le jardin. En ville, des réseaux de tunnels ou d'égouts furent requisitionnés, arborant au dehor un logo "Fallout Shelter", celui l'abri de fin du monde
. Cinquante ans après on en redécouvrira les vestiges, certains ayant été depuis abandonnés, une fois ceux qui les avaient construits morts de leur belle mort, dans leur lit. Des abris encore remplis parfois de victuailles ou de monceaux de boîtes de conserves où le lait en poudre dominait. Leur visite "archéologique", aujourdhui, laisse imaginer l'étendue des dégâts psychologiques chez ceux qui y avaienr crû, ainsi que le degré d'engloutissement de sommes considérables empruntés au budget familial pour la réalisations de ces projets complètement fous. On retrouvera tout un secteur politique conservateur (dont Nelson Rockfeller, futur vice-président), venu à l'époque soutenir ces initiatives personnelles qui avaient aussi créétoute une économie de la peur, dont certains ont profité au point de subsister encore aujourd'hui. Ci-dessous le schéma du nombre de têtes nucléaires US et le "pic" de 1965.
C'est donc tardivement, en 1961, sous Kennedy, que le gouvernement tenta de mettre un peu d'ordre dans tout ça, en confiant à un avocat d'affaires, Steuart Pittman, un programme de directives nationales pour la construction individuelle d'abris, devenus bien trop disparates et ne garantissant pas tous la sécurité de leurs utilisateurs, ainsi que la mise en place d'abris communs dans les villes. Le choix de Kennedy en avait surpris plus d'un. "Mais M. Pittman, secrétaire adjoint désigné de la défense pour la défense civile peu après que les chars soviétiques et américains se soient confrontés à Berlin et que le mur de séparation entre Berlin Est et Berlin-Ouest a commencé à monter, n'avait qu'une seule mission. C'était de donner à 180 millions d'Américains l'accès aux refuges pourvus de provisions alimentaires, d'eau et d'aide médicale suffisante pour leur permettre de traverser la première semaine ou la suivante après une attaque nucléaire, lorsque l'exposition aux retombées radioactives était la plus périlleuse.
Dès le début, ce fut une entreprise controversée. M. Pittman l'appellera plus tard l'un des plus « pas très attirant, désagréable et impopulaire" emploi jamais créé. De nombreux membres du Congrès avaient immédiatement reculé devant l'estimation à 3 milliards de dollars de coût de revient du gouvernement fédéral (...) Il y eut un débat à la Maison Blanche et au Pentagone sur le juste équilibre entre le contrôle public et privé, le fédéral et le local, l'individuel et le collectif des abris. Les théologiens catholiques et épiscopaux se sont affrontés publiquement sur l'éthique de l'utilisation de la violence pour arrêter un voisin en essayant de se frayer un chemin dans l'abri de quelqu'un. Les militants de la paix ont averti que la construction d'abris nuirait à la cause du désarmement". Bref, Kennedy avait remis à Pittman une belle patate chaude...
Pittman courait à l'échec à l'évidence : "M. Pittman, l'éminent juriste international d'une banque d'investissement, avait été l'avocat en chef pour le Plan Marshall après la guerre, mais ne faisait pas partie du gouvernement national ou n'avait d'expérience en politique. Pourtant, pendant un an, il a envoyé les travailleurs fédéraux partout dans le pays pour faire l'inventaire des systèmes de métros et des bâtiments publics qui pourraient être convertis pour l'utilisation de refuges, collecter les spécifications établies pour la construction d'abris ; il avait ainsi acquis de vastes quantités de renseignements sur les attitudes du public au sujet des abris et répertorié environ 100 000 foyers modèles dans 14 villes différentes." Organisateur-né, l'air de rien, sous des aspects d'avocat plutôt effacé
Pittman était pourtant un héros de la seconde guerre mondiale nous rappelle le New-York Times : "il a grandi sur l'East Side de Manhattan, diplômé de Yale en 1941, et a travaillé pendant deux ans en Asie pour une filiale de la Pan American World Airways, avant de rejoindre le Corps des Marines en 1943. Il a été envoyé en Chine pour s'entraîner et travailler avec les groupes de guérilla derrière les lignes japonaises. Deux jours après le Jour J, M. Pittman a été impliqué dans l'un des plus inhabituels, et peut-être une des dernières batailles navales de la guerre. Attaqué par une jonque japonaise dans la mer de Chine du Sud, M. Pittman a commandé deux jonques chinoises dans une contre-attaque, tuant 43 japonais et en faisant 39 prisonniers. Il avait reçu la Silver Star pour bravoure."
Mais la tâche qui l'attendait était impossible, tant les dispartités étaient grandes et combien chacun faisait comme il lui plaisait : au bout d'à peine trois ans d'efforts pour tentert d'harmoniser ce gitantesque foutoir, Pittman démissionna. Mais pas pour cette raison : "il était dur certes de lutter contre l'opposition au programme, a dit un jour M. Pittman mais il était encore plus difficile de composer avec l'apathie et la résignation qu'il rencontrait. "Je déteste entendre les gens dire qu'ils préféreraient mourir dans une attaque nucléaire plutôt que de faire face aux horreurs de la survie", a-t-il dit à UPI en 1961. « Cette nation a été construite par des gens qui ont quitté l'Europe pour faire face aux dangers inconnus d 'un continent désert. Ne nous n'aurions plus le courage d'affronter un défi inconnu ? "...
il fallait se rendre à l'évidence, en fait ; dès 1966, la crainte d'une agression ne faisait déjà plus autant recette (le sommet de la tension ayant été l'affaire de Cuba) : le mouvement hippie alors dans ses prémisses allait vite balayer la grande peur d'un holocauste nucléaire. Et mettre fin progressivement en même temps à l'anarchie qui avait prévalue à la construction de ses fameux abris, faute de candidats pour les construire. Au lieu de creuser son jardin, par peur du lendemain, on allait faire du surf et écouter les Beach Boys. Pittman se retirait pour la bonne raison que la propagande anti-soviétique ne prenait plus aussi bien chez les américains... un constat d'échec qui n'était pas le sien, en définitive. Il s'était heurté à une telle gabegie et à de tels comportements anti-démocratique qu'il en était sorti complètement écœuré sur l'âme humaine !
Pour un bordel, ça avait été un beau bordel. On avait proposé en effet plein de formules différentes, les abris de fortune pouvant consister à de simples plaques de contreplaqué soutenues et renforcées par des sacs de sable, le tout recouvert de terre, d'autres formules préconisant la carcasse d'une voiture ou d'un autobus (scolaire) semi-enterrés, d'autres le stockage de conserves au fond d'une cave renforcée, d'autres encore des abris en forme de tunnels équipés de tout le confort, tel celui préconisé par l'inévitable Ron Hubbard et sa pseudo-science. A noter ici les aberrations des médias, avec cet exemplaire de 'Life" présentant un abri ou sont censés dormir tranquillement des enfants, aux côtés d'un téléviseur, qui semble plutôt incongru dans un monde où, logiquement, plus une seule station émettrice de télévision ne pourrait fonctionner... Si certains pensaient à fournir l'électricité par dynamo branchée sur des bicyclettes, d'autres imaginaient s'équiper de masques à gaz et de compteurs Geiger : il va sans dire que le filtrage impossible de l'air dans les abris aurait en majeure partie ruiné tout espoir de survie dans un air irradié. Pour rassurer tout le monde, les fabricants d'abris anti-atomiques inonderont la presse de visions idyllques de la vie enfermée, les familles étant dessinées comme si elles étaient regproupées le soir dans leur salon, les enfants jouant à un jeu de société,
ou à la poupée et à un jeu de construction. Des images d'Epinal d'un enfer à venir : la société américaine, déjà, à cette époque, était profondément malade, intoxiquée par un pouvoir dont l'anti-communisme était la seule façon d'exister. D'où l'invention d'autres peurs au sortir de l'effondrement de l'URSS. Ce qu'explique de façon géniale le documentaire Power Of Nightmares. L'industrie militaire américaine, ne pouvait survivre qu'en se créant de nouveaux ennemis, quitte à en inventer s'il n'en avait plus sous la main, ce qui lui arrivera à la chute de l'URSS. Ne cherchez pas, un seul nom vient à l'esprit : celui du fantôme d'Abottabad. Des films aujourd'hui exhumés montrent l'entretien journalier de cette paranoïa.
Au fil du temps, on pensait en être débarrassé de cet état d'esprit de perpétuel apeuré (***) : si l'on dit ici en France que les gaulois craignaient que le ciel ne leur tombe sur la tête, les américains avaient en effet imaginé pendant 50 ans qu'une enclume nucéaire serait larguée un jour où l'autre sur leur maison, ce qui revient au même. Si depuis les militaires US ont remplacé dans leurs objectifs leur cibles d'antant par des"objectifs asymétriques" se résumant à courir le taliban en construisant des chasseurs bombardiers de 25 tonnes censés être protégés par une peinture miracle, rien n'a vraiment changé parmi la populace.
Elle a toujours peur de l'avenir. Et les civils de craindre aujourd'hui non plus l'apocalypse nucléaire mais l'effondrement financier du pays. On ne peut leur donner tort non plus : le dollar, devenu "monnaie de singe" grâce à Nixon ne représentant plus, et de loin ce qu'il pouvait représenter jadis. Ajouté à cela le déficit abyssal cumulé, que des représentants obtus peinent à négocier, et les nouvelles d'Europe sur les pays en passe de sombrer, et les lemmings (ou la génération suivante de lemmings, ou de chiens de prairie, autre symbole US) se remettent à creuser frénétiquement des terriers pour mettre à l'abrl leur progéniture, pour le jour où tout s'effondrera. Et comme désormais ce ne sont plus des bombardiers soviétiques qui sont à craindre mais des islamistes répandus dans le monde comme nouvelle vermine, il faut s'armer individuellement, au cas où l'un d'entre eux oserait franchir le seuil de la sacro-sainte propriété (à chacun ses choses sacrées !). S'armer dans les familles, mais avec des armes de guerre : à force d'avoir vu le GI arborer son fusil mitrailleur en travers du poitrail, lors des derniers conflits, c'est celui là que l'américain moyen va en effet choisir, à en transformer le pays en un Call of Duty à balles réelles. Dans la panoplie du survivant de bunker des années soixante va donc être ajouté le fusil et ses munitions, ou un armement individuel, invisibles dans les documentaires pendant des années. Je vous ai montré ici à quoi cela pouvait aboutir : au "survivalisme", nouveau nom de ses défoncés de la peur de fin du monde. La même espèce, même pas abâtardie que celle de leurs ancêtres des années 50, l'armement personnel en prime ! Le sommet de l'indivdualisme et du chacun pour soi, le survivant final étant celui qui aura le plus de munitions ou la plus grande quantité de nourriture en stock.
Pas beaucoup d'amélioration, donc, depuis plus de cinquante ans sur le thème de la grande peur de l'holocauste final qui fait écho aux grandes peurs européennes d'il y a plusieurs siècles. Aujourd'hui, on innove à peine avec l'enterrement en profondeur de containers de bateaux, censés fabriquer des abris résistants....
Transformant à nouveau les citoyens US en fourmis, à la grande différence que chaque groupe de fourmis travaille pour la collectivité seule, quitte à y perdre la vie au nom de tous, alors que là c'est bien l'exemple inverse qu'on nous montre : des individualistes, tous prêts à combatttre tous ceux qui s'en prendraient à leurs biens. Leurs sites internet ne sont pas des lieux d'échange, mais au contraire des lieux où l'on étale un catalogue d'objets plus ou moins utiles ou jugés indispensables, au milieu desquels trône une arme de défense, la plus meurtrière étant la plus prisée. C'est un peu le catalogue Ikea des armes de guerre individuelles, mêlées à des considérations sur le meilleur lait en poudre (ça n'a toujours pas changé, ça, depuis les années 50 !), ou celui qui se conserve le mieux sous terre. Le fêlé (Jimmy Lee Dykes) qui avait retenu un enfant autiste ces dernières semaines avait passé un temps fou à construire son propre abri sur le modèle de ceux des années cinquane. Et il n'avait pas oublié les armes non plus... ni les explosifs. Les films des années soixante réalisés à la demande de Pittman avaient porté leurs fruits !
Une dérive qui aboutit inéluctablement à ce qu'on vient de voir lors de l'attaque de l'école de Newton, avec au départ une femme déboussolée par un divorce, ayant hérité d'une énorme maison et d''un enfant quasi autiste qu'elle hésitait à lâcher dans la nature au seuil de son adolescence tourmentée, une dame qui va elle aussi sombrer dans la paranoïa survivaliste reliée à une peur d'un effondrement économique d'un pays, et qui va toutes les semaines emmener ses propres enfants pour s'entraîner au tir. Au bout,vous avez l'irruption dans l'actualité d'un fait divers tragique, qui n'est en définitive que la résultante d'un état d'esprit hérité de vieiles habitudes et de vieilles craintes. D'autres, dont je vous ai aussi parlé ici, cultivent les mêmes craintes de fin du monde pour assouvir leurs désirs d'individualisme et de mépris de la citoyenneté. Ces chauds partisans du "chacun pour soi" (comprenez par là des partisans du mieux armé) s'appellent des "Survivalistes". J'en ai décrit un ici, un français parti assouvir ses besoins de fin du monde aux USA : "faisant partie du mouvement "survival" américain, le danger de l'individu est patent, avec son Mosin-Nagant (appelé aussi U.S.Rifle,7,62 mm, Model of 1916 !) toujours à portée, et il est multiplié par une page Facebook dont il se vante facilement dans son propre site. L'allumé a aussi son site YouTube (et un ami suisse, Piero San Giorgio, très copain avec Ronald Secher, l'ami de Jean Robin et conférencier laborieux avec son pote Soral, aussi laborieux ! (....).Car ses théories politiques et ces gens qui les professent sont bien d'extrême droite, la plupart des hommes célibataires, et reposent sur la crainte d'un conflit mondial hypothétique ou d'un effondrement financier et politique total, ce qu'il appelle un "niveau d'effondrement de la normalité".... Sa normalité à lui étant plus proche du cas psyschiatrique qu'autre chose. C'est en réalité un parfait illuminé, qui explique tranquillement comme si ça c'était déjà produit, "que la police ne viendra pas chercher chez vous votre arme à feu" (chez ce fêlé, tout le monde en possède une, et selon lui toujours, il y en a des "millions en France") en cas "d'efffondrement du pays" ... Hallucinant propos !!! Et son propos de cas pathologique complet va plus loin, avec notamment l'auto-défense comme principe de fonctionnement familial." Une auto-défense dont on vient juste de voir les effets calamiteux.
L'histoire récente de Peter Keller ajoutant à la description de fêlés devenus des constructeurs de terriers assez givrés pour se transformer aussi en assassins de leur propre famille. L'homme avait dû être arrêté avec des gaz asphyxiants jetés dans son réseau de tunnels ! Il avait fini par s'y suicider. Pour l'attraper, la police avait dû recourir à l'usage d'hélicoptères pour cerner tout le réseau sous terre du fugitif, qui avait transformé un coin de forêt en véritable gruyère digne des techniques de guerre des Viet-Congs. Lui aussi s'était transformé en Lemmus lemmus (ou lemming). Car la grande peur fait toujours acheter n'importe quoi aux américains : en photo ci-dessous, un modèle d'abri parmi les moins onéreux, le "Mini Blast & Fallout Shelter" dessiné par "l'Oregon Institute of Science and Medicine" et fabriqué par KI4U, Inc : 3200 dollars, le tube d'acier en tôle ondulée prêt à enterrer. Difficile de croire qu'on pourrait y vivre des semaines... plus de cinquante ans après, des entreprises vivent et profitent toujours de la bêtise humaine ! En même temps, les tarifs augmentent : "l'Apocalypse se vend bien outre-Atlantique. Une place dans un bunker pour une famille nombreuse se négocie aujourd'hui jusqu'à 2 millions d'euros. Malgré ces tarifs prohibitifs, des projets immobiliers voient le jour aux quatre coins des États-Unis. D'après l'organisme gouvernemental de lutte contre les dérives sectaires, la peur de la fin du monde est l'un des principaux thèmes utilisés par les sectes pour manipuler leurs adeptes" précise Sud-Ouest en évoquant le magazine "Investigations" dont le reportage laisse froid dans le dos.. (voir ci-dessous) :
En plus des abris individuels de fabriqués dans les années cinquante et soixante, ou ceux de Pittman, il y a eu aussi de gigantesques abris souterrains de créés, pour abriter des militaires ou des gens liés aux militaires (dans des "DUMBs" ou "Deep Underground Military Base" comme celle du Mt Shasta en Californie). Il y en aurait 131 de construites et deux en cours d'élaboration encore en 2005, avec une moyenne de 2 par états. Or, aujourd'hui, ces dépôts souterrains montrent toujours une bien étrange activité, alors qu'un bon nombre de dépôts individuels ont sombré avec la disparition des paranoïaques qui les avaient bâtis. A quoi servent-il aujourd'hui demeure un mystère. Leur visite laisse une drôle d'impression, tant leur taille est immense ; comme ici dans le Missouri. La très controversée FEMA les a sous sa responsabilité, ce qui n'est pas vraiment fait pour rassurer, tant cet organisme vit dans une opacité évidente.
J'ai ici même répertorié et décrit ces véritables villes souterraines héritées du passé de la guerre froide et toujours entretenues et utilisées à des fins mystérieuses par le gouvernement américain, dont la paranoïa fondamentale n'est plus à expliquer ici. La plus connue est celle de Dulce, au Nouveau-Mexique, l'une des toutes premières forées, censée contenir une "technologie extraterrestre", selon les abonnés aux racontars du genre OVNI. En 1984, rappelons-le, un des plans de la FEMA (le Rex 84 Program ) consistait à regrouper les opposants potentiels dans des camps... de concentration, donc !
"Des camps en cas d’émeutes graves, ce à quoi on peut ajouter en effet une bonne soixantaine de villes souterraines (pour mettre à l’abri les seuls dirigeants !), les américains ne faisant rien dans le détail. Devraient y accéder en priorité en effet le gouvernement, les réserves fédérales d’or, et les documents gouvernementaux. Parmi ces quasi villes sous terre, l’une d’entre elles avait déjà retenu notre attention lors d’un reportage télévisuel de WSLS-TV,une filiale virginienne de NBC, assez sidérant où on avait pu apercevoir des clichés de Marylin Monroe enfermés dans des bacs refrigérés, voisinant les résidus et les débris du Wolrd Trade Center (qui n’avaient pas été montrés pour l’occasion !). Les coffres-forts d’état révèlent parfois d’étranges choses. Le secret entretenu à propos du centre de Mount Weather, visible dans le reportage, est tel que le dernier journaliste qui avait alors enquêté dans la ville la plus proche s’était fait rabrouer de partout, les gens ayant été visiblement sévèrement brieffés depuis deux générations pour ne pas piper mot des activités du lieu. FEMA et secret vont en effet parfaitement ensemble. Mount Weather végétait depuis la fin de la guerre froide ou depuis l’ère Reagan : W.Bush l’a entièrement remis à neuf.
On connaissait le site depuis le milieu des années 70 pourtant : "En Mars 1976, le magazine "Progressive" a publié un article étonnant intitulé "La montagne mystérieuse". L'auteur, Richard Pollock, a fondé son rapport d'enquête sur les audiences du sous-comité du Sénat et sur plusieurs entrevues "off" avec des fonctionnaires anciennement associés avec le mont Weather. "Son rapport, et un article de 1991 dans le Time Magazine intitulé« Hideaway Doomsday ", fournissent certaines indications convaincantes sur ce qui se passe sous terre". Le Mont Weather, inconnu des gens qui y habitent en voisins, ou qui refusent d'en parler, tant le sujet est... "délicat". Une ancienne station météo lançant des ballons transformée en base souterraine immense. Car la paranoïa n'a jamais quitté le gouvernement américain : même sous Jimmy Carter, on évoquait toujours la possibilité d"un conflit nucléaire mondial généralisé avec comme point de départ... L'URSS, comme l'ont révélé récemment des documents secrets. Le plan, intitulé PD-59, consistait alors de déclencher en premier une guerre nucléaire, de larguer des bombes de ce type sur des "armées conventionnelles".... et de survivre à ces conséquences grâce aux précieux abris !!!! D'autres documents, actuels ceux-là, révèlent les installations géantes toujours existantes. Celles liées au privé, cette fois, comme celle entretenue ici par la société Vivos, qui parie sur un holocauste à venir. Il y croient toujours, visiblement...que certains happy fews ayant investi dans ce genre de complexe en sortiront vivants... et pas les pauvres ! "Vivos is the life assurance solution for you to survive the next devastating catastrophe" disent-ils. La "prochaine" ? Un "investissement" ???
Le plus inquiétant est bien que cette manie de s'autoprotéger, quand elle ne consiste pas à creuser sous terre, fabrique des "familles entières à la gâchette facile" comme le démontre cet effarant reportage du Daily Mail. Le vers de l'imbécillité a rongé tout le fruit, si bien que la NRA, au sommet de la dérive depuis toujours ne peut que présenter davantage d'armement quand on lui présente de remédier au problème : sa dernière proposition étant un sommet de cynisme (mettre un policier armé à la porte de chaque école !). Ça, ou pire encore ; telle cette hallucinante présentation en réponse au massacre de Newton de la fabrication de cartables blindés (?) : "il peut être utilisé comme un bouclier, il pèse moins de 500 grammes, grâce à un panneau de carbone ultra-résistant, et a l'apparence de n'importe quel autre sac à dos d'enfants. "Avec ses dessins, les parents sont sûrs que leurs petits n'oublieront pas leur cartable blindé à la maison et qu'ils seront protégés au cas où l'impensable arriverait", explique la société sur son site internet. "C'est une chose horrible que vous n'auriez jamais imaginé acheter pour votre enfant mais après la tragédie de Newtown, nos ventes sont dix fois plus importantes", reconnaît le directeur de cette entreprise basée dans l'Utah, Richard Craig, qui refuse malgré tout de donner des chiffres précis". Tout est décidément bon pour vendre là-bas !
En résumé, à voir ce genre de choses, on peut en conclure que les USA sont un pays profondément malade qui propose aujourd'hui de fausses solutions à un vrai problème. Celui du sur-armement de sa population, et de la nécessité de croire en une peur viscérale d'être attaqué un jour sur son territoire : c'est en fait à la subsistance de cette grande peur de type moyen-âgeuse que l'on comprend pourquoi le thème du chiffon rouge avec l'effigie de Ben Laden agîté par le gouvernement précédent avait aussi bien marché auprès d'une population abrutie de chaînes de télévisions alarmistes du type Fox-News. L'équipe de Georges Bush avait fait appel à une des fondamentales héritées de la guerre froide pour mener les américains par le bout du nez, l'équipe qui a suivi utilisant une entourloupe similaire pour se débarrasser de l'encombrant héritage (et à effaçer depuis toute trace de sa prétendue présence, comme s'il n'avait jamais existé). Il conviendrait donc de se souvenir de Steuart Pittman, plutôt. Et de son échec surtout. La société américaine a trop renforcé l'individualisme désormais pour être contôlable : c'est chacun pour soi, à savoir le plus armé qui gagne dans cet univers surarmé devenu totalement fou. Pittman lui-même en est le meilleur exemple, comme l'a rappellé non sans moquerie le NYT : "il a toujours prôné la construction d'abris communautaires, plutôt que des abris particuliers. Mais après le retour à la vie privée, lui et son épouse ont décidé de construire un abri antiatomique dans leur maison de Georgetown. « Nous avons commencé, de toute façon," Mme Pittman a déclaré dans une interview vendredi. "Mais après une demi-journée à creuser, nous y avons renoncé..."
PS : le dernier interview de Steuart Pittman :
http://www.youtube.com/watch?v=RWNNziM8WCc&feature=player_embedded
(*) à ce sujet je ne peux que vous recommander le numéro spécial du Fana de l'Aviation (ci-contre), en kiosque en ce moment même avec une superbe introduction de Michel Bénichou, son rédacteur en chef, sur la folie des généraux US pendant la guerre froide.
(**) lire ici le résumé et le lien avec Howard Hughes
http://www.agoravox.fr/tribune-libr...
(***) notamment avec Barack Obama qui avait proposé d'en arriver à l'élimination pure et simple de l'arsenal nucléaire, un projet qui lui tenait à cœur depuis longtemps : il en avait écrit les prémisses dans une revue estudiantine en 1983.
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