Tous en marche vers la liberté
Toute la stratégie du pouvoir pour imposer ses mesures tient actuellement sur l’idée qu’elles sont temporaires. Qu’elles sont le seul moyen de revenir à la normale.
6 ans d’état d’urgence et de mesures liberticides et contestables voire inutiles semblent déjà suffisants pour se dire que cette idée relève de la méthode Coué. Reste que visiblement, la moitié des Français la pratique quotidiennement.
Au point que nos dirigeants estiment qu’ils peuvent tranquillement prévoir la suite. Le rapport sénatorial « Crises sanitaires et outils numériques : répondre avec efficacité pour retrouver nos libertés » nous explique notre futur, et les choses y seront effectivement normales. Pas comme avant, mais très normales. Sinon ça se verra vite.
Il commence par un état des lieux de la réponse sanitaire en Asie, se concentrant sur la surveillance numérique et sur un concept qui est développé tout au long des 130 pages du rapport : l’intrusivité numérique. Ca parait pas sympa comme ça, mais justement l’objectif de ce rapport est de montrer que si, c’est sympa, et surtout que c’est efficace.
« les données de consommation d'électricité en temps réel ont été utilisées pour surveiller les habitants astreints à une quarantaine »
«
(sur le programme de contact tracing chinois) « chaque utilisateur peut demander des renseignements sur trois personnes maximum, en pratique souvent sa famille ou ses voisins, ce qui permet une forme de surveillance par les pairs, c'est-à-dire de contrôle social. »
« Le voisinage peut être prévenu par SMS de la présence d'une personne contagieuse »
« En cas de violation de la quarantaine, la sanction peut aller jusqu'à l'équivalent de 33 241 dollars, et l'identité des contrevenants est rendue publique »
« une quarantaine obligatoire surveillée par géolocalisation par GPS »
« le recours à des bracelets électroniques pour assurer le respect de la quarantaine »
A la suite de cette énumération exotique et angoissante, ils concluent : « une efficacité directement liée à l’intrusivité » et le caractère inéluctable de ces mesures puisque le monde entier se met à la surveillance numérique. Il y a tout de même le vilain petit canard, le Japon. Le Japon n’a pas été très intrusif numériquement, donc c’est la cata « pas de numérique… pas de jeux olympiques » titrent malicieusement nos élus.
La suite est une sorte de galerie des horreurs bordélique, fondée sur les observations précédentes. Nos sénateurs y expliquent leurs projets pour
- le contrôle des déplacements : bracelet électronique pour contrôler le respect de la quarantaine, désactivation du pass pour les transports en commun, détection automatique de la plaque d'immatriculation par les radars, portiques de contrôle dans les magasins, caméras thermiques dans les restaurants, etc. ;
- le contrôle de l'état de santé, via des objets connectés dont l'utilisation serait cette fois-ci obligatoire, et dont les données seraient exploitées à des fins de contrôle ;
- le contrôle des fréquentations, par exemple aller voir un membre vulnérable de sa famille alors que l'on est contagieux ;
- le contrôle des transactions, permettant par exemple d'imposer une amende automatique, de détecter un achat à caractère médical (pouvant suggérer soit une contamination, soit un acte de contrebande en période de pénurie), ou encore la poursuite illégale d'une activité professionnelle (commerce, etc.) en dépit des restrictions.
Ensuite est développé un concept aussi nouveau que vieux comme le monde, qui est dit ici « assurantiel » : en gros, en cas de restriction, il suffirait de payer pour avoir des libertés (« Si je préfère malgré tout disposer de ma liberté d'aller et venir, et que je sors effectivement de chez moi, il est légitime que j'assume en contrepartie une fraction du surcoût payé par la société du fait de l'épidémie »). Système décrit comme « plus juste » et « moins binaire ».
Evidemment est exposé ensuite en quoi en France quand même on est bien gênés pour mettre en place ces réformes.
Les français ont ici « une sensibilité coûteuse et mal placée », premièrement parce que les GAFA font déjà pire, deuxièmement parce que les dictatures n’ont pas besoin d’excuses pour mettre ce genre de pratiques en place. Pour autant limiter le pouvoir des GAFA n’est jamais évoqué, contrairement à une coopération plus approfondie avec eux, ce qui est un euphémisme quand on sait que Microsoft s’occupe déjà du stockage des donnée médicales des Français. Et puis bon, facebook n’a pas les moyens de te mettre un bracelet électronique. Facebook et l’état par contre… Le fait de faire comme des états autoritaires mais avec une « bonne raison » ne semble pas non plus poser de problèmes.
Deux choses sont présentées comme devant être mises en place immédiatement : « l’état plate forme » et le « crisis data hub ». Soit l’architecture qui permettra la mise en place de toutes les « mesures ». Le « crisis data hub » est un métafichier qui permettra de centraliser tous les autres fichiers : médicaux, pénaux, sociaux mais aussi données des GAFA (géolocalisation, contacts, achats…) et de les redistribuer vers les pouvoirs publics, les « prestataires privés », les scientifiques ( homologués bien sûr), les statistiques. Vieux fantasme enfin réalisable.
Tout ceci sera donc mis en place afin de nous faire retrouver nos libertés. A longueur de rapport est répété l’idée que ce serait temporaire. Temporaire mais permanent : ce serait toujours en place mais seulement déclenché en cas de crise. Il est tout de même précisé qu’une crise n’est pas forcément sanitaire : « Du reste, il est impossible de savoir a priori quelles données pourraient être utiles face à une nouvelle crise, tant cela dépend de sa nature (une épidémie, une catastrophe naturelle ou industrielle, etc.) ». Ca dure combien de temps, une crise environnementale, 50ans ? 100 ans ? C’est temporaire 100 ans quand on y pense, seule l’éternité n’est pas temporaire.
Un modèle de société se dégage de ce rapport : celui d’un système ou tout le monde peut être contrôlé en permanence : écouté, tracé, contrôlé dans ses achats… et où le seul moyen d’y échapper serait éventuellement de payer. D’une société où tous les aspects de votre vie sont liés à votre identité numérique, vous donnant des droits réformables du jour au lendemain par décret. Ce n’est pas seulement une mesure, même liberticide, c’est un modèle de société. Incomplet mais un modèle quand même.
Si vous lisez ce rapport vous n’aurez pas forcément la même impression qu’en lisant l’article. Tout y est pétri de bons sentiments. On sait d’ailleurs déjà en lisant le titre que tout ça est fait pour notre liberté. Jusque ici quand on faisait ce genre de truc, on disait plutôt « pour votre sécurité ». Ce qui était déjà faux mais pas trop. Et puis comme il est si bien précisé « Si une « dictature » sauve des vies pendant qu'une « démocratie » pleure ses morts, la bonne attitude n'est pas de se réfugier dans des positions de principe »
Si ce rapport devait avoir un effet positif, ce pourrait être de réveiller quelques endormis . Avec un peu de chance ils ont monté le thermostat un peu vite, et la grenouille éveillée fera trembler le monde. Après de bien ternes révolutions colorées, une véritable révolution des grenouilles semble être la dernière chance d’une humanité bientôt dépassée.
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