« Tous ensemble » ou « Dialogue social »
Bilan de la grève du 5 février 2019
Il faut tirer le bilan de l’échec du 5 février 2019. Nombreux sont ceux qui souhaitaient la grève générale et les conditions semblaient mûres pour cela. Mais, il faut se garder d’une attitude « gauchiste ». Le terme a pris une connotation injurieuse depuis qu’il a été employé à tort et à travers par les staliniens. En l’employant, nous faisons, pour notre part, strictement référence à l’ouvrage de Lénine intitulé : « La maladie infantile du communisme : le gauchisme » qui est accessible en ligne via le web sur le site « marxists.org ». Il nous paraît nécessaire de faire à ce sujet une digression. Lénine critique dans ce livre de vrais adversaires politiques mais aussi parfois des amis bolcheviks, comme Radek et Boukharine, avec lesquels il discute au sein du parti comme le font les gilets jaunes dans leurs assemblées. Il dénonce une tendance à faire une surenchère dans les discours et les propositions vers toujours plus de radicalité ou d’extrémisme pensant ainsi être plus révolutionnaire, ou avoir l’air plus révolutionnaire, alors qu’en fait cette attitude va à l’encontre de la « perspective d’unir et d’orienter le mouvement des masses vers la prise du pouvoir ». La lecture de ce fascicule est assez fastidieuse pour qui ne connait pas précisément les évènements historiques de la période contemporaine de Lénine. Nous nous contenterons donc de donner quelques citations pour illustrer notre propos.
Il dit notamment à propos de la période qui avait suivi l’échec de la révolution de 1905 :
« (Les bolchéviks) avaient dénoncé sans pitié et bouté dehors les révolutionnaires de la phrase qui ne voulaient pas comprendre qu'il fallait se replier, qu'il fallait savoir se replier, qu'il fallait absolument apprendre à travailler légalement dans les parlements les plus réactionnaires, dans les plus réactionnaires organisations syndicales, coopératives, d'assurances et autres organisations analogues. »
Nous sommes tout à l’inverse dans une période d’offensive et non de repli mais il est important de savoir qu’il faut parfois militer au sein des « plus réactionnaires organisations syndicales »…
Lénine combat formellement le terrorisme individuel et les attentats :
« ce parti (le parti socialiste révolutionnaire) voyait une manifestation particulière de son "esprit révolutionnaire" ou de son "gauchisme" dans la reconnaissance par lui du terrorisme individuel, des attentats, ce que nous, marxistes, répudions catégoriquement ».
Il n’est guère question de cela dans ce qui nous préoccupe actuellement. Il n’est cependant pas inutile de rappeler ici que nous nous opposons à ceux qui proposeraient des actions violentes au cours des manifestations et qui ne feraient ainsi qu’apporter de l’aide aux provocateurs de la police qui cassent des vitrines pour discréditer le mouvement des gilets jaunes.
Lénine explique qu’il ne fallait pas transposer dans la situation de 1908 ce qui s’était passé en 1905 :
« Dans certaines situations les bolcheviks boycottent le parlement réactionnaire (1905) et dans d’autres conditions ils y participent (1908). »
« Mais transposer aveuglément, par simple imitation, sans esprit critique, cette expérience dans d'autres conditions, dans une autre conjoncture, c'est commettre la plus grave erreur. »
Nous voyons ainsi que les bolcheviks, sur de nombreux points, n’avaient pas une position arrêtée une fois pour toute mais que tout dépendait de la situation du moment.
En 1918 (paix de Brest-Litovsk), la question était posée de savoir s’il fallait admettre un compromis.
« La paix de Brest-Litovsk était à leurs yeux (Radek et Bouhkarine) un compromis avec les impérialistes, inadmissible en principe et nuisible au parti du prolétariat révolutionnaire. C'était bien, en effet, un compromis avec les impérialistes, mais il était justement celui que les circonstances rendaient obligatoire. »
Lénine s’oppose donc aux « gauchistes » qui veulent refuser tout compromis. Voici un exemple de discours « gauchiste » :
« Il faut par suite repousser de la façon la plus décidée tout compromis avec les autres partis, tout retour aux formes parlementaires de lutte qui, historiquement et politiquement, ont fait leur temps, toute politique de louvoiement et d'entente. ».
Il explique qu’il faut absolument intervenir dans les « syndicats réactionnaires » :
« Le Comité exécutif de la III° Internationale doit, à mon avis personnel, condamner ouvertement et engager le prochain congrès de l'Internationale Communiste à condamner d'une façon générale la politique de non-participation aux syndicats réactionnaires (en expliquant minutieusement ce qu'une telle non-participation a de déraisonnable et d'infiniment préjudiciable à la cause de la révolution prolétarienne) »
Lénine s’oppose aussi à ceux qui ne veulent pas présenter de députés aux élections au prétexte qu’il s’agit d’institutions réactionnaires :
« Nous, bolcheviks, avons participé aux parlements les plus contre-révolutionnaires, et l'expérience a montré que cette participation avait été non seulement utile, mais même indispensable au parti du prolétariat révolutionnaire, précisément après la première révolution bourgeoise en Russie (1905), pour préparer la seconde révolution bourgeoise (février 1917) et puis la révolution socialiste (octobre 1917). »
Nous voyons ainsi que nombre des questions auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui ont fait débat dans le mouvement ouvrier depuis bien longtemps et que nous avons tout intérêt à tirer le plus possible d’enseignements de ce qu’ont vécu avant nous les révolutionnaires.
Revenons donc à la question de la grève générale et en particulier à ce qui s’est passé le 5 février. L’attitude gauchiste apparaît souvent chez les gilets jaunes quand la dénonciation de la politique, assurément réactionnaire, de dirigeants comme Philippe Martinez apparaît comme un rejet des syndicats dans leur ensemble. Or les syndicats sont la première forme d’organisation qui permet aux travailleurs de se regrouper pour se défendre. Les accusations « gauchisantes » contre les syndicats peuvent être perçues comme injurieuses par bien des militants syndicaux qui dépensent beaucoup d’énergie pour organiser la résistance au patronat dans leurs entreprises précisément avec les syndicats. Nous nous devons d’approuver et encourager l’activité syndicale dans les entreprises, le travail opiniâtre des militants ouvriers.
Le discours de François Boulo appelant à la grève générale le 5 février a souvent été perçu comme un désir de se substituer aux syndicats. Nous attendions de Philippe Martinez qu’il appelle clairement à la grève générale alors qu’il était dans l’ambiguïté. Cependant, il ne faut pas croire qu’en le faisant à sa place nous allons être suivi par les travailleurs. Le discours de François Boulo était exactement celui que nous aurions voulu entendre de la bouche de Philippe Martinez. Comme beaucoup, nous nous sommes trouvés placés devant le fait accompli. Nous n’avons pas eu d’autre choix que d’approuver ce discours, car sinon cela aurait signifié que nous nous opposions à la grève générale, mais nous sommes persuadés que nous étions là dans une dérive « gauchiste ». Ce n’est sans doute pas la raison principale de l’échec du 5 février 2019 mais cela y a probablement contribué. Il ne faut pas croire qu’il suffirait de remplacer mécaniquement les directions traditionnelles du mouvement ouvrier par une direction pure et dure pour que tout aille bien. Il faudrait pour cela que les « purs et durs » soient effectivement reconnus comme une direction. Cela ne peut pas être le résultat d’une décision isolée ou d’une auto-proclamation. François Boulo ni personne d’autre ne pourra se substituer aux directions syndicales pas plus qu’aux directions politiques du PCF, du PS et de la FI. L’idée de faire un nouveau syndicat débarrassé de toutes les tares des syndicats traditionnels a aussi été essayée en vain. Il n’est pas d’autre moyen que d’œuvrer à l’unité dans le cadre des organisations traditionnelles et c’est dans ce combat que peut se dégager une avant-garde.
Les militants ouvriers qui interviennent dans les syndicats doivent y montrer la nécessité de soutenir le mouvement des gilets jaunes notamment face à la répression tout en respectant leur désir de ne pas être récupérés. Ils doivent proposer de se joindre à eux le plus souvent possible comme cela s’est déjà fait. Les militants ouvriers doivent se prononcer en faveur du Frexit et demander que les organisations ouvrières gardent leur indépendance vis-à-vis de l’UE et donc, par conséquent, de la CES (Confédération Européenne des Syndicats). Cela suppose que les dirigeants rompent avec le « dialogue social ». Il y a incompatibilité entre la lutte pour le « tous ensemble » et la pratique du « dialogue social ». Ou bien nous créons les conditions de l’unité pour battre tout à la fois les capitalistes, Macron et Bruxelles ou bien nous laissons nos dirigeants s’enfermer dans la pratique du « dialogue social » qui lie les syndicats à l’UE. D’après la CFTC « on pourrait définir le dialogue social comme étant l’ensemble des dispositifs au sein desquels se confrontent les intérêts des salariés, des employeurs et du gouvernement ». Il faut bien sûr comprendre que les intérêts des salariés doivent alors être liés à ceux des employeurs et du gouvernement et qu’il n’est donc pas question de se mobiliser contre eux. Le dialogue social a pour but d’assurer la paix sociale pour le bénéfice des exploiteurs. C’est pourquoi nous exigeons toujours des dirigeants syndicaux qu’ils rompent avec le dialogue social pour s’engager dans la voie de la mobilisation contre le pouvoir.
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