Tous extrémistes ?
N’ayant pas le loisir de lire tous les articles de presse, de regarder tous les reportages diffusés, je me doute que nombreux sont ceux ayant déjà abordé ce sujet, à propos duquel ce que je pourrais en dire n’aura certainement rien d’original et de révolutionnaire.
Je ne peux toutefois m’empêcher de m’interroger à la lecture des réactions qu’a pu susciter un dessin de Plantu paru dans Le Monde, par lequel il représente le drapeau du Liban, sur lequel le cèdre est remplacé par la représentation d’une explosion.
Personnellement, ce dessin me laisse indifférent dans la mesure où je trouve qu’il n’apporte pas selon moi une approche intéressante de l’évènement, tout en étant conscient que si j’étais libanais, je réagirais peut-être différemment et trouverais ce dessin sinon indécent, du moins d’un très mauvais goût.
Malgré tout, ce dessin ne reste qu’un dessin et, tout comme on pourrait le faire à l’égard de n’importe quel article ou émission de télévision qu’on trouverait parfaitement débile, il suffirait alors de passer son chemin.
Cependant, les choses ne sont plus aussi simples dans notre époque actuelle. Si l’on ne peut évidemment faire l’économie du débat relatif à la liberté d’expression, tel n’est pas présentement mon propos.
Si la liberté d’expression doit légitimement laisser la liberté de réagir à cette expression, ce qui me choque est la nature agressive et souvent sans concession des réactions qui peuvent être exprimées face à cette liberté d’expression, et ce qu’elles révèlent.
Dans le cas du dessin évoqué, je retiendrai par exemple une réaction observée sur Twitter où une personne, critiquant le manque d’originalité, de bienveillance du dessin qu’il assimile à une insulte, termine son tweet à l’adresse du dessinateur par : Supprime.
Oui, oui !! Ni plus, ni moins, il lui donne l’ordre de supprimer son dessin.
Ce non-événement, cette fausse polémique anecdotique, ajouté aux observations faites pour d’autres situations récentes fait soudain prendre conscience d’un phénomène hallucinant, une réflexion qui apparaît comme une sorte de révélation : l’homme n’a plus aucune (demi-) mesure dans ses réactions face aux évènements, et ceci dans tous les domaines, sur toutes les questions, qu’elles soient d’ordre sociales ou idéologiques.
Vous remettez en cause la pertinence d’une expression féministe parfois agressive ? Alors vous êtes un machiste phallocrate (pléonasme ?) prônant le patriarcat. Vous vous interrogez sur l’immigration ? Alors vous êtes raciste et xénophobe.
Vous vous interrogez sur le mouvement LGBT ? Vous êtes certainement intolérant et homophobe.
L’intégrisme islamique ? Islamophobe !!
La politique de l’État d’Israël ? antisémite !!
Vous questionnez un/une vegan sur son engagement ? Le simple fait de poser des questions prouve que vous êtes certainement complice des mauvais traitements infligés aux animaux dans les abattoirs, instruments du génocide animal ! (tiens, je vais aller péter la vitrine d’une boucherie !).
Le droit au blasphème ? Ne te plains pas si l’on t’adresse des menaces de mort (Charlie Hebdo quoi ?).
Les problèmes d’éthique que pose la GPA ? Réactionnaire !
La souveraineté de la France au sein de l’Union européenne ? Fasciste nationaliste !
Georges Floyd est assassiné par un policier. Cette situation suffisamment dramatique en elle-même donne lieu à des semaines de manifestations dénonçant le racisme de TOUTE la police, lesquelles déboucheront sur le mouvement Black Lives Matter qui lui s’emparera de la question beaucoup plus large du racialisme, qui lui-même renvoie à l’esclavage – dont il semble que tout homme blanc doive se sentir, même indirectement, responsable – question qui amènera à dégrader, déboulonner et/ou carrément détruire des statues afin de faire comme si toute l’histoire à laquelle celles-ci renverraient n’avait jamais ou ne devait plus exister (je rappelle qu’au départ on parle d’un homme assassiné).
Un dessin qui ne vous plait pas ? Supprime !
Nous devenons binaires. Il n’y plus que blanc ou noir. Aucun recul. Aucune réflexion qui ne soit pas déjà prédéfinie : la bien-pensance.
Le paradoxe est que cette tendance à une réflexion bipolaire n’existe pas de fait. Elle est créée et entretenue par la bien-pensance elle-même, incarnée par ceux-là même qui se présentent comme des progressistes libertaires mais qui dans l’expression de leurs idées entendent ne pas laisser d’alternative autre que celle consistant à décréter qui est dans le camp des bons ou des méchants.
Si tu ne penses pas comme moi, tu as nécessairement tort. Et si tu as nécessairement tort, à quoi bon écouter ce que tu as à dire ? Et si d’aventure, tu trouvais une tribune pour t’exprimer, alors, au choix, tu seras conspué, ridiculisé, méprisé, insulté voire menacé et trouveras sur ta route ceux qui se feront le DEVOIR de te faire la leçon car bien entendu ce que tu as dit ne peut qu’être issu d’un cerveau enfantin, naïf, ignorant voire carrément malade.
La pluralité des opinions n’existera plus ou en tout cas, suivant ce principe, ne devrait plus exister. Tu es avec moi ou contre moi.
La bien-pensence devient alors un extrémisme socialement acceptable et même revendiqué.
Bien sûr, on dira que tout ceci est caricatural. Et c’est sans doute vrai. Il existe encore des personnes qui prendront des positions intermédiaires, qui tempèreront les expressions passionnées, voire fanatiques que chacun exprimera selon le « camp » auquel il appartient, ou auquel il sera assigné de fait. La multiplication des exemples laisse malheureusement penser que cette position de médiateur sera, à terme, amenée à disparaître au nom de la confrontation inévitable entre un « bien » – que chacun revendique représenter – et un « mal » ; notions dont la définition de la frontière tendra à se stabiliser (Ne vous inquiétez pas, on vous dira quoi penser à tel sujet en temps voulu), et auquel il ne sera plu permis d’échapper (alors, tu as choisi ton camp ?) dès lors que le nombre des partisans de la bien-pensance augmentera, au risque même qu’ils deviennent un jour majoritaire (j’ai un frisson à cette idée) car, bien sûr, les rangs de ces partisans ne pourraient être que renforcés, même si l’adhésion à leurs idées se faisait sous la contrainte, la menace d’être immanquablement ostracisé pour avoir laisser un seul instant la possibilité qu’on puisse penser de vous que vous êtes un machiste phallocrate, raciste et xénophobe, intolérant et homophobe, Islamophobe, antisémite, réactionnaire et fasciste nationaliste. Personne ne peut souhaiter cela, donc…
Question périphérique : Est-ce pousser le bouchon trop loin que de dire que, partant de cette « radicalisation » de la pensée, ce manque de nuance dans nos schémas de réflexion peut, indirectement, expliquer la radicalisation de certains comportements dont on se demande comment il se peut qu’ils soient simplement qualifiés « d’incivilités » ? Un manque de discernement, de repères qui fait que des jeunes aient pu trouver normal de tuer un chauffeur de bus qui leur demandait simplement de présenter leur ticket ? le fait de tirer sur un pompier ? Un homme qui pense que, s’il doit choisir, il préfère écraser un gendarme plutôt que de s’arrêter à un barrage ? Des hommes qui en tabassent un autre simplement parce que ce dernier a demandé à l’un d’eux de porter un masque ? Des jeunes qui ne se posent pas la question de savoir ce que signifie poignarder un gamin de 15 ans simplement parce qu’il réside dans un autre quartier que le leur ? Un chauffard qui écrase un père de famille, n’acceptant d’être stoppé et d’avoir à répondre des dégradations qu’il a commises ?
Sans doute cela n’a-t-il aucun rapport.
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