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Tout à l’heure, elle a préféré qu’on ne l’accompagne pas dans la cour de récréation

C’est assez logique : elle revient en territoire connu, c’est sa dernière année d’école, celle d’avant le grand saut dans l’inconnu, celle où elle fait enfin partie des grands avant de redevenir une petite nouvelle.

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Éclaboussures - Le Monolecte
https://secure.flickr.com/photos/monolecte/3814256994/ https://secure.flickr.com/photos/monolecte/

La rentrée, c’est toujours pareil et c’est toujours différent. Ou alors, c’est nous qui changeons et c’est cette récurrence des cycles de vie qui nous informe que la grande horloge continue de tourner inexorablement vers l’heure de la sortie.
J’ai eu mon content de petits matins de septembre frisquet, de platanes jaunissants, de cette formidable impatience de devoir tout recommencer tout en sachant que ce sera totalement différent.

J’ai toujours aimé ces derniers jours d’été, où la chaleur se fait moins mordante, mais où le ciel est d’un bleu implacable. J’ai toujours, en même temps, regretté ce moment de l’année où je remarque à de petits signes que les jours sont nettement plus courts. J’aime le rythme de l’été, ces matins à peine frais où l’on est réveillé de bonne heure par la lumière du jour et on l’on étire les soirées dans un crépuscule lent et paresseux, à l’ombre des étoiles pâles. Mais j’aimais aussi, en même temps, cette sorte de retour à la vie, à frénésie du troupeau, à la nécessité du temps, tout en rejetant formellement la dictature de l’horloge. Je crois que j’aurais voulu vivre toute l’année des journées de juillet avec les couleurs et les sons de septembre, juste pour en avoir un peu plus, un peu plus longtemps.

Quand j’étais gosse, les vacances me faisaient un peu suer. Non pas que je n’aimais pas retrouver mon père et nos amis communs ou que je n’appréciais pleinement la rupture des rythmes, le changement de décor, d’activités, de socialité et l’exquis sentiment d’étrangeté à moi-même que cela me procurait, mais en même temps, je trouvais trop long ce temps hors du temps, hors de la vraie vie, celle des copains, du quotidien parfois ennuyeux, et de l’apprentissage, de ces connaissances que l’école ne distribuait pourtant qu’avec une parcimonie mesquine.
Après le 15 aout, déjà, j’avais envie d’ombre, de papier neuf et craquant et de l’odeur follement enivrante des manuels scolaires fraichement sortis de la presse. Que je sois parachutée dans une école où je ne connaissais rien ni personne — ce qui m’est arrivé bien souvent — ou que je retourne en terrain conquis, auprès de ces amis que j’aurais tant voulu garder toute ma vie, je finissais toujours par crever d’impatience de replonger dans le carcan rigide et rassurant de l’Éducation nationale, ne serait-ce que parce que là, j’avais enfin des règles à enfreindre et d’autres à inventer.

Je ne me souviens pas d’un temps où je n’ai pas aimé profondément ce lieu où l’on détient pourtant tant d’enfants contre leur gré. Je crois que j’ai même dû aimer l’effroi du premier plongeon dans l’inconnu, de la première séparation, de cette promesse de conquête d’une nouvelle autonomie, de découverte d’un nouveau monde, de nouveaux visages, de nouvelles sensations. J’ai toujours aimé la manière dont le piaillement aigu des enfants rebondit sous le préau, les jours de crachin, le grondement rocailleux des pieds de chaises que l’on traine sur le parquet balafré par les générations, la pluie mate des semelles de basket dans les escaliers, le murmure des files d’attente dans les couloirs, les hurlements de délivrance lors de la dernière sonnerie du soir, la cacophonie indigeste et métallique de la cantine aux heures de pointe, les chuchotements sous la couette, le soir, après l’extinction des feux, le bourdonnement du silence pendant les interros, tout ce brouhaha de la vie en collectivité.

 La gosse m’a l’air bien moins émotive en ce premier jour de sa dernière année d’écolière. Envie de voir les potes, certes, de raconter nos petites aventures de l’été, mais pas de réelle impatience, plutôt une sorte de volonté contrôlée de vivre le moment, juste le moment.
Elle n’avait pas besoin du rituel du premier jour, un peu comme si elle l’économisait pour le grand saut dans le monde de l’année prochaine.
Je la regarde traverser les mêmes instants que ceux par lesquels je suis passée. C’est la même chose, mais c’est définitivement différent. Chaque moment est complètement différent parce que c’est un peu comme si, aujourd’hui, je le revivais, mais de l’autre côté du miroir.


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9 réactions à cet article    


  • Gabriel Gabriel 4 septembre 2013 11:57

    Merci à vous monolecte de m’avoir fait retourner des années en arrière ou joies et chagrins d’écoles nourrissent toujours un passé qui se rappelle à nous lorsque nous branchons la prise nostalgie sur le courant de nos regrets de jeunesse. Superbe écriture.


    • Stupeur Stupeur 4 septembre 2013 17:06

       

      Les colles
      L’art, entrez !
      Le pré haut
      L’âme est tresse
      L’eau tonne !
      Les plats tannent
       smiley 
      Jolie photo, de dos, dans l’eau, à Bordeaux
       
      Merci
       

      • Fergus Fergus 4 septembre 2013 23:33

        Bonsoir, Monolecte.

        Très joli texte qui n’a pas manqué de faire ressurgir en moi des images du passé, mais aussi des odeurs, des sensations, des sentiments éprouvés tout au long du parcours scolaire.

        Merci à vous pour cette plongée dans la plus complexe période de notre vie, celle de la découverte de soi et des autres.


        • Pomdepin 5 septembre 2013 09:48

          Très beau texte....quand on passe de l’autre côté de la barrière, on oiloe tout ça. Pour les parents, la rentrée c’est une course effrénée d’achats, jusqu’au jour J, où on se retrouve tout désemparé de voir partir ses petits bouts à peine plus haut que leur cartable.


          Pomdepin.wordpress.com

          • colza 5 septembre 2013 11:50

            Bonjour, Monolecte,

            C’est toujours un plaisir de vous lire.
            Pour moi, la scolarité ne fut qu’une souffrance sans fin. Qu’est-ce que je n’ai pas aimé cela !
            J’ai 67 ans et pourtant, je n’oublie rien.

            • Monolecte Monolecte 5 septembre 2013 12:04

              Oui, vous n’êtes pas le seul. Beaucoup de mes petits camarades en souffraient aussi visiblement beaucoup, mais il faut dire que j’ai toujours été convaincue que l’école telle qu’elle existe et est conçue n’est globalement pas l’endroit d’épanouissement des enfants qu’elle devrait être, d’où l’intérêt des écoles alternatives. Le problème, c’est que ces écoles qui favorisent l’expression et l’autonomie des enfants, qui leur donne le goût d’apprendre et les possibilités de s’organiser, ces écoles sont marginales, rares et difficilement accessibles alors qu’elles devraient être la règle.


              J’ai toujours eu conscience que j’aimais particulièrement l’école à cause des conditions de vie particulièrement néfastes qui m’attendaient à la maison. Là où l’école n’est effectivement qu’in vaste système carcéral à destination des enfants, c’était pour moi un cadre rassurant et offrant de multiples possibilités d’assouvir ma soif d’apprendre et de devenir autonome.

              Bien qu’aimant l’école, j’ai conscience que pour ma fille, c’est un endroit nettement moins attrayant que pour moi, ce qui est une bonne nouvelle, dans le sens que cela signifie qu’elle est bien à la maison.

            • Fergus Fergus 5 septembre 2013 13:52

              Bonjour, Colza

              Malgré quelques souvenirs particulièrement cuisants et de très nombreux démêlés avec les profs, je garde un excellent souvenir de mes chaotiques années d’école, y compris les années de pensionnat.

              J’ai partiellement raconté cela dans deux articles, très largeme,nt autobiographiques : Au bon vieux temps des châtiments corporels dans l’enseignement catholique et De l’influence des pets sur l’enseignement des mathématiques.  Souvenirs...


            • In Bruges In Bruges 5 septembre 2013 12:33

              - « Longtemps, je me suis couché de bonne heure ». ( Proust,1ere phrase de « du côté de chez Swann »)
              - « Longtemps, j’ai aimé la rentrée et la faire seule » (Monolecte, article sur « Agoravox »)

              Oui, et ?
              Passionant, tout ça...


              • juluch juluch 5 septembre 2013 12:48

                Un bien joli article


                Un beau retour en arrière dans des endroits ou je n’ais guère brillé, mais qui manquent à présent.

                La récré, les jeux de billes, le préhaut, le directeur que l’on craignait, les devoirs......les vacances.

                Merci à vous monolecte

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