Tout, tout de suite
Depuis quelques semaines, la révolte des Gilets jaunes monopolise l’actualité et leur détermination fait reculer le gouvernement. Leurs revendications se multiplient et chacun se demande jusqu’où ils peuvent aller
Si jusqu’ici la couleur jaune était associée à la trahison et à la contre-révolution – les « jaunes » étaient ceux qui s’opposaient à la grève votée par leurs collègues -, c’est certainement en train de changer depuis trois semaines. Avec la fronde des Gilets jaunes, cette couleur est en train de supplanter le rouge traditionnel des révolutions. Ces détails d’ordre symbolique ont leur importance, surtout dans une société de l’image comme la nôtre.
Les experts achoppent à définir exactement la nature de cette révolte. On parle bien sûr de populisme et de poujadisme, soulignant le motif fiscal qui en est à l’origine. Et l’on se plait à rappeler que le mouvement des Indignés, en Espagne, a réussi à faire bouger les lignes là où les partis politiques constitués avaient échoués. D’autres vont jusqu’à faire un parallèle avec 1789 et les prémices historiques de notre révolution. Comparaison n’est pas raison, mais il est certain que les Français d’aujourd’hui – qu’on croyait un peu trop vite résignés – n’ont rien perdu de leur combativité quand leurs intérêts matériels sont en jeu. Car leurs revendications n’ont rien de théorique et les dirigeants politiques qui ont essayé de les récupérer en ont pris pour leur grade. C’est pour leur pouvoir d’achat, et lui seul, que ces nouveaux frondeurs barrent les axes routiers et affrontent la police en rangs serrés sur les Champs Elysées ou sur le Vieux port. Ils ne supportent plus les taxes qui les accablent et qui les empêchent de vivre décemment de leur travail ; pas plus d’ailleurs qu’ils n’acceptent les écarts de revenus, trop importants dans ce pays. Même les monuments emblématiques de la République ne leur inspirent plus de respect, comme ils l’ont montré récemment en taguant l’Arc de Triomphe.
On a dit que les Gilets jaunes appartiennent à la classe moyenne. Si tel est le cas, c’est sa frange la plus inférieure qu’ils représentent, celle qui est au coude à coude avec les Français pauvres. Rien à voir avec les jeunes bobos et les créateurs de start-up cités en exemple par la « macronie ». La transition écologique, voire l’apocalypse climatologique, ont moins d’importance à leurs yeux que leurs fins de mois difficiles. On peut certainement le déplorer mais c’est comme ça quand l’argent fait défaut sur le compte en banque : nécessité fait toujours loi.
Face à eux, le pouvoir, jusqu’ici droit dans ses bottes, doute, recule, temporise. Mardi, Edouard Philippe annonçait la suspension pour six mois des augmentations prévues sur l’essence et le diesel. Mercredi, c’est Emmanuel Macron qui a supprimé purement et simplement les taxes vertes sur les carburants, entérinant un manque à gagner de quatre milliards d’euros pour l’état. Mais cette victoire ne suffit plus aux Gilets jaunes, à présent. Ils veulent davantage, comme le rétablissement de l’impôt sur la fortune, la hausse des bas salaires, la renégociation des allocations chômage, et même la refonte de l’Assemblée Nationale. Et leurs exigences entraînent d’autres corporations, comme les lycéens et les routiers, à poser énergiquement les leurs. Quitte à accroître encore plus le chaos et le déficit économique qui gangrènent le pays depuis près d’un mois.
Que va-t-il sortir de tout ça ? Peut-être un nouveau courant politique et des leaders insoupçonnés sous couvert d’apolitisme déclaré ? Mais ce qui est à peu près sûr, c’est que les Gilets jaunes ne vont pas s’arrêter d’exprimer leur colère. Parce que beaucoup d’entre eux ont ainsi trouvé une nouvelle forme de solidarité et – ce qui leur manquait le plus – un début de reconnaissance sociale. On les ignorait et voici qu’ils menacent le gouvernement, discutent à égalité avec ses plus hauts représentants. Ils ont le sentiment d’être à l’avant-garde de l’Histoire et cela n’a pas de prix. Il faut toujours compter avec la fierté personnelle dans les combats sociaux.
Jacques LUCCHESI
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