Tout va bien
Dans les journaux, à la télé, à la radio, on nous répète en boucle des informations anxiogènes. Attentats, crise, COVID, hôpitaux dépassés, cancers, milices haineuses, enlèvements, meurtres, pollution. Alors qu'en fait ... tout va bien.
Alors oui, bien sûr, vous pouvez me traiter d'optimiste béat. Naïf, crédule, voire même un peu simplet. Et pourtant, ma vision du monde n'est pas issue d'une overdose de visionnage du monde des Bisounours. Certes j'ai adoré serrer contre moi ma peluche de Grosdodo pour me glisser dans un monde de rêves colorés. C'était il y a de nombreuses décennies. Depuis, j'ai fait de longues études scientifiques, j'ai appris à interpréter les chiffres et l'actualité, j'ai trouvé un travail, j'ai appris à éviter comme la peste l'information qui buzz et à prendre un sain recul sur les évènements. Grosdodo quand à lui a rejoint le lit de mon second enfant.
Aujourd'hui, dans un monde en évolution rapide, assommés de milliers d'informations quotidiennes, beaucoup se sentent perdus. Le cerveau humain ne sait pas bien rationaliser, prioriser les informations. Lorsque les médias publient en Une qu'une jeune fille, évidemment photogénique, a disparu puis est retrouvée morte, qu'un professeur se fait décapiter dans un attentat, que plusieurs milliers de français meurent à cause d'une maladie, le cerveau, submergé de négativité, ne réfléchit plus. Il rentre dans un mode de panique, où l'émotion se substitue au bon sens.
Alors forcément cela signifie qu'on est dans un monde en perdition. La France se meurt ! C'était tellement mieux avant. Même le marketing a compris cela, l'authenticité fait vendre. On re-crée des tourne-disques des fifties, le savon noir se vent en gros bidons, on sort une version modernisé du Nokia 3310. Tout pour retrouver une passé idéalisé et rassurant. Authentique. Et quand on retrouve des amis, on ne peut que pleurer sur le monde d'aujourd'hui. C'était tellement mieux avant. Pendant mes études, un prof de maths m'avait enseigné une vérité fondamentale :
- Si une phrase contient le mot "forcément", cette phrase c'est de la m*rde
Les chercheurs en psychologie sociale et expérimentale ont bien analysé la façon dont nous percevons le passé. Ils ont fait des études poussées, des thèses, des démonstrations. Ce n'est pas mon domaine, je ne vous livre que leur conclusion : les souvenirs et l'évaluation du bien-être et des émotions passées sont biaisés. Vous croyez vous souvenir qu'à l'école, c'était le bon vieux temps : pas de stress, des horaires légers, des amis en surnombre. En réalité, votre cerveau vous masque le manque de confiance que vous éprouviez, les conflits liés aux hormones de votre adolescence, vos complexes. Il ne se souvient que des bons moments.
Pour les actualités, c'est exactement la même chose. Vos souvenirs du bon vieux temps ne valent rien. Pas un kopek. Ni vous, ni moi, n'êtes capable de dire si c'était mieux ou pire avant en se basant sur votre mémoire. Saleté de biais cognitif ! Alors, comment savoir si le monde va bien ou mal ? La réponse est simple, il faut regarder les chiffres, les archives. Bien entendu, certains chiffres sont contestables. Evidemment, les politiciens ont tendance à compter de la façon qui les arrange. Forcément, les chiffres ne sont pas fiables.
En réalité, les chiffres sont fiables. Biaisés, évidemment, mais biaisés, ils l'ont toujours été. Si Mitterrand se permettait de rajouter ou d'enlever 5% par ci par là quand ça l'arrangeait, Macron ne peut pas se permettre bien plus... d'autant plus qu'avec l'avènement d'Internet, chacun peut consulter la méthodologie et le résultat des enquêtes, que ce soit celle de l'INSEE, de l'Ifop ou d'autres instituts. Et les chiffres, roulement de tambour, les voici :
- Le taux de criminalité est parfaitement stable depuis les années 80
- Le taux d'homicide est en chute libre, divisé par 2 en 30 ans. Oui, même en comptant les attentats, on n'a jamais, de toute l'histoire française, été autant en sécurité
- On peut aussi parler des accidents de la route, un nombre de mort et de blessés divisé par 5 depuis les années 70, en baisse constante
- Et si on parlait alcoolisme ? Non parce que les femmes battues par leurs maris saouls, à l'époque, on n'en parlait pas trop ...
- Et les viols, ils augmentent ? Ah ben non ...
- Au final, l'espérance de vie peut résumer beaucoup de ces chiffres
Après cette bonne dose de positivité, on sourit, on respire un bon coup, et on peut s'attaquer à décortiquer l'actualité récente. Afin de faire comprendre à notre cerveau à quel point il se trompe.
La disparition inquiétante de Victorine (malheureusement retrouvée morte). Les disparitions, en France, il y en a 40 000 par an, soit 109 par jour. Si un journal met cela en première page, ce n'est pas une information, c'est de l'émotion pour faire du buzz. Elle a été retrouvée morte ? La belle affaire ! Les meurtres il y en a plus de 2 par jour ! Attention, ne m'accusez pas d'être sans coeur, c'est horrible pour la famille, c'est un drame cette vie terminée brutalement si tôt. Mais ce genre d'abomination se produit 2 fois par jour, faire la Une pendant plus d'une semaine avec une information de ce genre est criminel, immoral, c'est occulter le fait que ça se produit quotidiennement. C'est aussi occulter le fait qu'il n'y a pas si longtemps, les meurtres c'était 4 par jour.
Un professeur décapité ? Oui c'est dramatique, du barbarisme à l'état pur. Mais c'est une seule personne, vous vous souvenez 2012 ? 2015 ? Ou même plus vieux 1995 avec l'attentat de la gare St Michel ? En 2020 on en est à 4 décès dus à des attentats. C'est peu, voire extrèmement peu comparé aux années précédentes. Et les réactions politiques sont plus fortes qu'au lendemain du 14 juillet 2016, où il y a eu 86 morts. C'est totalement disproportionné.
C'est la crise économique ? C'est hilarant. On nous dit qu'on est en crise depuis ... toujours en fait. La crise d'avril 1788, la panique de 1792, la crise monétaire de 1797 ... petite ellipse temporelle jusqu'au Krach boursier de 2001, la crise des subprimes de 2008, puis jusqu'à la récente crise économique du Coronavirus ... souvenez-vous, en 2019 on nous disait qu'on subissait toujours les répercussions de 2008 ... Nous trouvons toujours une excuse et une raison de nous plaindre. Alors qu'en vérité, depuis la guerre, le pouvoir d'achat augmente continuellement. Quant au chômage, les courbes parlent d'elles-mêmes, aucune raison de se plaindre.
Regardons enfin celui qui occupe tous les esprit, à l'heure des couvre-feux et des gestes barrières, le COVID. Comme disait Macron dans son discours du 16 mars, c'est la guerre. Alors c'est vrai, depuis le SIDA et la grippe A de 1957, c'est plutôt inédit comme situation. Il y a eu largement pire en terme de mortalité, avec la peste par exemple, mais ça ne date pas d'hier. Mais là aussi, il est impératif de relativiser : l'âge médian des décès du COVID est de 84 ans. Là ou le SIDA tue sans distinction jeunes et vieux, le COVID ne tue presque que ceux ... qui n'auraient pas été en vie il y a ne serait-ce que 30 ans auparavant. Aujourd'hui, la médecine a tellement progressé qu'on vit extrêmement vieux. Et ces populations de plus de 80 ans, qui n'existaient pas il y a peu, sont les plus touchées. Vaut-il mieux mourir aujourd'hui du COVID à 84 ans, ou il y a 30 ans et mourir d'hypertension à 75 ans ?
Mais oui, on peut m'objecter que des jeunes meurent aussi, et c'est parfaitement vrai. Qu'il faut être solidaire des personnes âgées, donc éviter autant que possible de les contaminer, et cela tombe sous le sens. Qu'il faut éviter de saturer les services de réanimation, donc faire les gestes barrières, éviter les contacts, porter le masque, et c'est évident. Néanmoins, doit-on paniquer ? Pourquoi cette sinistrose ambiante ?
Enfin, nous pouvons parler de pollution, de chute de la biodiversité, des sècheresse de plus en plus fréquentes, des déforestations. Comme pour le COVID, il va être compliqué de trouver des arguments en faveur du "tout va bien". Car objectivement, tous les indicateurs sont au rouge. Mais là où les autres pays parlent de défi à relever, les français parlent de catastrophe dévastatrice. Si nous regardons le passé, chaque époque a eu ses challenges. La démocratie, la fin de l'esclavage, les guerres, plus récemment le droit de vote des femmes ou les congés payées, sont autant d'obstacles que les français ont franchi. A chaque fois, il y a eu des couacs, des détours, des récupérations politiques. Tout comme les problématiques actuelles. Parler de catastrophe est stérile, que ce soit pour le COVID ou l'environnement, c'est à chacun d'agir à son échelle en faisant de son mieux et en profitant de la vie.
Alors, si tout va bien, si les obstacles sont en fait des challenges, pourquoi les français sont en perpétuelle dépression ? Ce n'est pas moi qui le dit, c'est le New York Times, et l'article date de bien avant le COVID. L'explication est peut être donné par The Economist : les français trouvent chic le fait d'être maussade. Nous aimons nous complaire dans le misérabilisme, dans l'apitoiement. C'est la culture française qui veut cela, depuis Voltaire qui se moque de l'optimisme avec Candide, Chateaubriand qui décrit une jeunesse "misérable, stérile et désenchantée", Victor Hugo qui parle du "bonheur d'être triste" dans Melancholia. Nous pourrions aussi parler d'Albert Camus, Jean-Paul Sartre, Françoise Sagan, qui adoptent la tristesse et l'ennuie comme mode de vie. Et je n'ose évoquer Proust ou Houellebecq ... Le programme scolaire apprend à notre jeunesse, littéralement, à voir le verre à moitié vide.
Dès lors, comment s'étonner que nous fassions parti des pays avec un taux de suicide parmi les plus élevé de notre planète, et ce malgré une qualité de vie et un confort que le monde entier nous envie ? Je terminerais par une traduction d'une citation d'un célèbre acteur, évidemment non français :
C’est la vie, et aucun d’entre nous ne s’en sortira vivant. Donc, mangez des choses délicieuses, sortez au soleil, plongez dans les océans, dites la vérité que vous portez dans votre coeur, soyez fous, soyez bons, soyez bizarres. Il n’y a pas de temps pour autre chose !
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