Toute la France au régime !
Qui n’a pas constaté ce soulèvement général et unanime, oserais-je dire de masse, contre les kilos en trop ! Il paraît que le meilleur moyen de lutter contre un effet de mode est l’indifférence plutôt que la surenchère. Eh bien tant pis, je contourne cette facilité en exprimant le dérangement que cela provoque dans mon quotidien.
Un bref rappel, pour ceux qui reviennent d’Afrique, d’Amérique du sud, d’Asie ou d’une autre planète.
En première page du journal : des statistiques sur le nombre de personnes obèses et en surpoids, selon le sexe, par tranche d’âge et classe sociale concernée, et comparatifs avec le reste du monde. A l’intérieur : un dossier spécial sur les cantines exemplaires qui retirent les sodas des repas, sur les dangers de l’obésité, des interviews de docteurs en diététique. A la rubrique cuisine : d’innombrables conseils « pour manger mieux » qui s’ajoutent aux incontournables encarts publicitaires sur les formules miracles pour maigrir. A la télévision, des publicités culpabilisantes sur ces femmes minces qui « peuvent se faire plaisir sans se faire du mal » avec des produits light, 0 %, sans sucre ajouté, et sur ces maris à brioche qui trompent leur femme avec une friandise, mais aussi pléthore de reportages sur l’obésité et l’anorexie, où l’on va de l’anneau gastrique à la critique du mannequinat squelettique.
Le gouvernement « précurseur » surenchérit dans l’intérêt de notre santé et de notre budget : un nouveau programme national nutrition santé (PNNS 2), qui s’ajoute aux sites Internet officiels sur la diététique, aux slogans sur la consommation de fruits et légumes, à la pratique régulière d’une activité physique.
Je pourrais continuer la liste indéfiniment, tant le sujet est omniprésent autour de nous et donc aussi entre nous, que ce soit en famille, lors de la pause café entre collègues ou dans la cour de récré. Même dans la restauration rapide, les calories sont indiquées sur les boîtes... Les gros n’ont qu’à bien se tenir ! On ne pourra pas dire qu’on ne les aura pas prévenus !
Oui, mais voilà, justement, les personnes présentant une obésité morbide ont besoin d’aide, c’est indéniable. Mais les principaux intéressés n’ont-ils pas déjà conscience des causes et remèdes du problème ? Leurs médecins sont déjà là pour ça. On ne fait aujourd’hui que les montrer un peu plus du doigt.
Alors pourquoi la France au régime, si ce n’est pas pour venir en aide aux obèses ? Parce que le sport national de la nation, c’est le principe de précaution, cette peur d’être un jour responsable, voire coupable, et d’avoir mauvaise conscience, qui nous pousse à faire de la prévention à la limite de l’absurde. Mais faire de la lutte contre l’obésité une cause nationale pourrait bien se retourner contre nous, une unanimité devenue catastrophe nationale, la première catastrophe psychologique collective.
Une récente étude gouvernementale (Elpsa) a démontré que l’IMC des enfants, quel que soit le régime alimentaire (plus ou moins riche en glucides simples, complexes et en lipides), ne varie pas. Ne sommes-nous pas alors en train de culpabiliser les enfants inutilement, en induisant chez eux la honte et la peur de leur corps ? Le culte de la minceur nous conduit vers un pays imaginaire inaccessible qui entraînera nécessairement de nombreuses désillusions.
La culpabilité, la peur, le stress, la discrimination, la solitude et la tristesse... voilà ce qu’apporte cette pensée unique du bien manger et du paraître. Aujourd’hui obèse et en surpoids, demain anorexique et orthorexique, les troubles de comportement alimentaire s’étendent à l’échelle d’une nation, voire de toute la civilisation occidentale.
Alors, si les gouvernements souhaitent réellement faire de la prévention, qu’ils s’interrogent en premier lieu sur ce qui se passe dans nos têtes quotidiennement, au risque de faire des générations de mannequins superficiels et mal dans leur peau. L’alimentation appartient à la sphère privée de chaque individu. Il est de l’essence de l’homme de chercher le plaisir et de vivre en liberté, d’être différent.
Plutôt que de regarder du côté de l’assiette, je propose que l’on regarde du côté de la tête.
On pourrait par exemple promouvoir la générosité, faire l’éloge du goût du risque, du courage des idées, récompenser l’acquisition des connaissances, la restauration du patrimoine, aider les gens à se découvrir, avec leurs talents, leurs potentiels, lutter contre les a priori négatifs à l’égard des métiers manuels, favoriser encore le développement des associations, développer tous les moyens anciens et nouveaux qui facilitent les rapports sociaux, encourager les activités physiques non pas pour se mouler un corps, mais parce qu’un corps sain ne va pas sans un esprit sain.
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