Trabant ou Taliban ?
L’ennemi : il en faut un, toujours un, le bouc émissaire, le pestiféré ! A se demander ce que nous serions sans lui …
Qu’importe ce qu’il est vraiment ou comment on le définit puisque l’Ennemi c’est toujours cet autre contre lequel se construit le bien, la norme et à partir duquel, de façon défensive, se constitue une idéologie qui se sacralise sur la dépouille de la bête à abattre. Autant dire qu’ « on » existe qu’en fonction de cet ennemi imaginaire qui, hélas, devient réalité - et qui ne cesse d’écrire l’Histoire dans une écriture de sang.
Vielle mythologie, sans cesse réactivée par les faiseurs de rois et dépouilleurs de pauvres, elle travaille sans relâche notre présent.
Et, comme le dernier fait d’arme fantasmatique de notre Président à Berlin nous le rappelle, elle ment, elle crée ces frontières qui séparent, ces murs qui sont toujours de la honte, là où la politique devrait figurer la possibilité d’un savoir vivre ensemble : liberté, progrès, confiance en l’autre…
Mais l’ennemi d’hier jouit toujours du privilège du pardon quand on l’a terrassé. Que la bête meure et le héros apparaît… On continue à se déchirer symboliquement la dépouille du communisme et ce sale gosse de Sarkozy accourt en criant : « c ‘est moi, c’est moi ! »
L’image de la vieille Trabant déglinguée de la R.D.A aura donc ce privilège de la nostalgie qui englobe le pire dans l’idéalisation du passé et permet ainsi de solder à bon compte la mémoire de ceux qui justement ont des comptes à demander ou à rendre… L’ennemi d’hier est vidé de sa substance, de ses raisons d’avoir été pour laisser place au commémoratif qui signe cet armistice qui est toujours la signature du vainqueur.
La Trabant poussive fut le départ en fumée de l’après guerre : la chute du mur n’est rien d’autre que le dernier épisode de la « dernière guerre mondiale ».
Et pour d’autres, la fin du marxisme. Et pour d’autres encore la geste inaugurale de l’ultra libéralisme dans la mondialisation et l’étouffement de la concurrence dans un renfermement mafieux sur des ententes affairistes à l’intérieur des états.
Mais l’ennemi est structurel, donc sa figure symbolique s’impose. L’ennemi extérieur est la figure autour de laquelle se coagule la confiance envers le Chef et l’illusion d’une convivialité.
Et le 11 septembre eut le bon goût de réveiller ce manque : bien que Ben Laden ne fut que réfugié en Afghanistan et que les talibans, au-delà du fascisme qu’ils y faisaient régner, ne menaçaient en rien l’ordre mondial, il furent promus en « ennemis » d’autant plus aisément qu’ils représentaient en termes géographiques, culturels et religieux, cet Autre absolu que l’allemand de l’Est ne représentait plus.
A noter cependant, qu’hier comme aujourd’hui, chez l’ « ennemi » se joue cette dramatisation interne du bourreau et de la victime qui lui laisse toujours une porte de sortie pour le jour ou l’armistice aura sonné et qu’un nouveau coupable aura été désigné pour répondre aux intérêts du moment.
L’Histoire n’a guère changé. Changez la Trabant d’hier contre le Taliban d’aujourd’hui et vous verrez combien tout patine et radote, combien se joue la même pièce déjà tant écrite et tellement lue du bien contre le mal. Il n’y a que la vérité qui ne s’écrive jamais : comme si elle nous rendait aveugle.
Sauf que…
Vous êtes du côté du bien, n’est-ce pas ?
Ca tombe bien, moi aussi : Sus à l’ennemi !