Trajectoire de réchauffement de référence : les enjeux de la consultation publique
Après des semaines de tension autour de l’épisode des retraites, le Gouvernement a lancé, mardi 23 mai, une consultation publique autour d’un autre sujet brûlant : le réchauffement climatique. Deux mois plus tard, celle-ci révèle de nombreux enjeux.
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Voilà deux mois, mardi 23 mai, Christophe Béchu annonçait une consultation publique autour de la trajectoire de réchauffement de référence que la France s’engage à prendre en considération pour s’y adapter. Si les accords de Paris plaçaient un objectif à 1,5 °C, l’hexagone semblerait aujourd’hui se préparer au pire des scénarios et ses 4 °C d’ici 2100.
Ces deux scénarios sont intégrés dans la consultation publique en amont de l’élaboration d’un nouveau plan national d’adaptation au changement climatique selon la trajectoire plébiscitée. Alors que le ministre de la Transition écologique s’est félicité pour cette « méthode inédite », qu’en est-il des enjeux et de la portée de cette consultation pour une thématique qui engage et qui impacte directement le collectif comme le réchauffement climatique ?
Et naquit une consultation publique dans un contexte brûlant
Après les épisodes d’émeutes qui ont frappé la France, la question climatique n’est pas pour autant effacée. Après la période mouvementée des retraites, le Gouvernement se tourne donc (et continue à le faire malgré l’actualité récente) vers la question climatique et écologique avec cette consultation publique, avec les discussions autour d’un traité international de lutte contre la pollution plastique qui se jouait à Paris ce mois de juin, ainsi qu’avec un plan de réduction des émissions de GES d’ici 2030 présenté par la Première ministre qui annonçait que la planification écologique s’affirme aujourd’hui comme « l’un des piliers de la feuille de route » de son gouvernement.
Si l’écologie revient sur le devant de la scène, à titre d’exemple, les déclarations d’Elisabeth Borne n’ont pas convaincu les ONG environnementales, comme l’I4CE via Benoît Leguet qui parle de « discours de la méthode, mais sans nouvelles annonces » ou EELV « effrayée par l’absence de réelle vision » ou courage politique. Cette réponse aux actions étatiques est à l’image de ces derniers mois, de ces dernières années, voire du passage à la société postmoderne[i] où la confiance envers le politique est mise à mal et la démocratie est bousculée. Ce contexte brûlant est tout autant démocratique ; avec une démocratie remise en question et un vif enjeu participatif avec une demande de faire plus et de faire mieux pour des thématiques qui engagent et impactent le collectif comme l’environnement ; que climatique avec des effets anthropiques de plus en plus insoutenables. C’est dans ce contexte compliqué qu’a émergé et que vit aujourd’hui cette consultation publique.
Démocratie, politique et trajectoire : les enjeux de cette consultation publique
Dans les faits, l’objectif de la consultation publique, avec une contribution à déposer avant mi-septembre, est de prendre en compte l’avis des citoyens, des acteurs économiques et des élus autour d’un scénario de réchauffement pour décliner un plan ; le troisième après 2011-2015 et 2018-2022 ; d’adaptation face aux conséquences générées par ce scénario. Elle a aussi pour objectif d’éviter les « angles morts » et d’appuyer la prise de conscience de la société civile sur les effets du réchauffement climatique et sur les hypothèses de son évolution.
Au-delà des faits, cette consultation cache trois enjeux majeurs. L’enjeu est d’abord démocratique dans un climat de remise en cause de la démocratie actuelle[ii] et appliquée au strict minimum, de demande de participation plus forte et directe, ou encore d’essoufflement au « consentement à la majorité » qui fragilise la construction de l’intérêt général[iii].
L’enjeu est aussi politique pour redonner sens à un quinquennat « à l’arrêt » entre une majorité portée disparue à l’Assemblée et une écoute citoyenne et syndicale piétinée. L’écologie revient, comme promis par le président de la République dans l’entre-deux-tours, comme « l’un des piliers de la feuille de route » d’Elisabeth Borne avec une réflexion qui doit, selon le gouvernement, dépasser les couleurs politiques. Depuis l’annonce de la consultation et l’arrivée de « l’adaptation » dans le champ lexical gouvernemental, une volonté de dépolitisation du sujet se fait sentir pour (re)prendre en main une thématique collective, nécessaire, et ainsi légitimer cette approche, puisqu’en face, une « partie gauche de l’hémicycle considère que si l’écologie n’est pas de gauche, ce n’est pas de l’écologie », alors qu’en Allemagne ou en Autriche, les propositions du gouvernement français « ont été portées par les écologistes ».
Ces propositions d’adaptation au réchauffement pour « construire un nombre de règles, pour un pays qui sera résistant et résilient face aux vagues de chaleur » s’affirment d’ailleurs comme ultime enjeu qui conditionne l’avenir. Bien que la consultation paraisse tout de même questionner la pertinence de ce choix[iv] avec une limitation des émissions de GES en parallèle, l’adaptation est la trajectoire entreprise par le gouvernement avec une hypothèse « volontariste » et ambitieuse des 1,5°C et celle « plus réaliste » que pessimiste des 4 °C.
Une consultation publique à la hauteur ?
Du point de vue démocratique, l’usage de la consultation publique, sous réserve de la mobilisation d’autres outils participatifs, en lien ou dans la continuité, ne paraît pas suffisant. La demande de démocratie directe est grande, et les outils participatifs sont, la plupart du temps, vécus comme des outils de « gouvernementalité » de l’espace public[v], comme des outils de bonne conscience institutionnelle, et comme des outils inefficaces à l’image d’une étude réalisée sur 16 consultations publiques en 2019 par la CNDP. Si ces consultations sont de « grands progrès », l’étude déplore un accès à l’information assez difficile, un grand public qui peine à être touché ou encore un traitement et une synthèse des contributions qui « n’éclairent pas leur impact sur la décision du ministère qui semble, de fait, ne pas en tenir en compte. » Sa faible portée participative est même prédite par le ministre lui-même. Si l’objectif est de « toucher le plus de Français possible », celle-ci va « d’abord concerner les décideurs, les acteurs économiques, les collectivités locales. »
Du point de vue politique et de la trajectoire entreprise, la consultation, son contenu et le plan à définir n’annoncent rien de nouveau sous le soleil du consensus pour une thématique où il est plus que nécessaire d'en trouver un. D’un côté, les critiques ont été immédiates et continuent d’exister, notamment sur une adaptation qui rime avec capitulation. Le glissement de « lutte » contre le réchauffement à tout un champ lexical de l’adaptation ou de la résilience en envoi le message, bien que la limitation des rejets de GES soit toujours d’actualité et que le gouvernement nie toute forme de renoncement. Ce « en même temps » cher à Emmanuel Macron, pourtant critiqué, périclite encore ici. Si pour certains, « soit on s’adapte, soit on lutte contre. On ne peut pas faire les deux à la fois », ce n’est pas l’avis du gouvernement. De l’autre, la stratégie conflictuelle du gouvernement de culpabilisation d’une gauche cherchant, réellement ou non, à monopoliser la thématique écologique annonce une construction citoyenne et politique de la trajectoire commune face au réchauffement climatique loin d’être gagnée d’avance…encore une fois.
Rendez-vous à la fin de la consultation (fin septembre) pour le début de l’élaboration du plan.
[i] Aurélien Portelli, Christophe Martin, Franck Guarnieri, « Mythes et représentations dans l’histoire nucléaire française : quels impacts sur la sûreté des opérations de démantèlement », Rapport de recherche, Paris, Mines ParisTech, 2015.
[ii] Thomas Pellerin-Carlin, Pierre Serkine, « De l’innovation participative pour une transition énergétique européenne compétitive », Tribune, Institut Jacques Delors, 2016.
[iii] Marie Baléo, « Grands projets et démocratie : un guide pour l’action », Rapport La Fabrique de la Cité, 2020.
[iv] Question 1 : La France doit-elle se doter d’une trajectoire de réchauffement de référence d’ici la fin du siècle pour pouvoir s’adapter, tout en poursuivant la réduction de ses émissions de gaz à effet de serre en ligne avec les objectifs de l’Accord de Paris ?
[v] Chambru M., 2015. La critique du régime technopolitique des sciences par la mouvance antinucléaire : un éclairage sur le concept d’espace public oppositionnel, Les Enjeux de l’information et de la communication, 16/3A, 29-38. https://doi.org/10.3917/enic.hs1.0029.
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