Transfert de Florian Thauvin, l’économique a-t-il pris le pas sur le juridique ?
Florian Thauvin est un joueur de football, champion du monde des moins de 20 ans avec l’équipe de France en juillet 2013. En aout 2013, il fait les choux gras de la presse en manifestant son désir de rompre le contrat de 4 ans qui le lie au club de Lille et en refusant dès lors de reprendre l’entrainement. Il anime ensuite le dernier jour du mercato 2013 en signant à Marseille. Lille, qui ne souhaitait initialement pas se séparer du joueur, transféré de Bastia en janvier 2013 contre un chèque de 3,5 millions d’euros, s’est résolu à accepter son transfert à Marseille contre un chèque de 15 millions d’euros.
N’ayant jamais obtenu ma licence au Canal football club, et loin d’être une spécialiste de football, je me permets de préciser d’emblée que j’écarte de mon propos toute considération footballistique pour ne m’intéresser qu’à la question juridique. Je laisse aux journalistes sportifs et aux supporters de Marseille, le soin de juger si Florian Thauvin est une bonne recrue … et à ceux de Lille le soin d’apprécier s’il vaut mieux laisser partir un joueur qui souhaite partir ou le retenir contre son gré. J’écarte également de mon propos toute considération morale.
L’avocat, que je suis, se borne à n’étudier que le contrat de travail et les obligations du joueur et du club qui en résultent. Car, oui, les joueurs de football professionnels signent des contrats de travail, la quasi-totalité étant des contrats de travail à durée déterminée d’usage. Dans certains secteurs d’activité spécifique, le sport professionnel par exemple, il est en effet d’usage constant de recourir à ce type de contrat à défaut de recourir aux contrats à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de l’emploi. Spécificités de ce type de contrat par rapport aux contrats à durée déterminée classiques : le contrat d’usage peut être reconduit sans limitation (articles L 1242-8 et L 1243-13 du Code du travail), il n’y a pas de délai de carence entre la signature de 2 CDD d’usage (article L 1244-4 du Code du travail), l’indemnité de précarité (indemnité de fin de contrat) n’est pas due sauf dispositions conventionnelles plus favorables (article L 1243-10 du Code du travail).
Les contrats de travail des footballeurs professionnels de Ligue 1 sont régis dans leurs conditions particulières comme leurs conditions générales par la Convention collective nationale des métiers du Football (la Charte du Football). C’est cette convention qu’il faut regarder pour connaitre les sanctions que Florian Thauvin encourait à refuser de reprendre l’entrainement avec Lille. Article 606 de la charte, l’absence non motivée à la date de reprise de l’entraînement entraine la réduction de 1/30e du salaire fixe mensuel par jour de retard. Autrement dit, Florian Thauvin n’est plus payé. Les mois où il y a 31 jours, c’est même lui qui doit de l’argent au club à la fin du mois. Florian Thauvin encourt également des sanctions sportives.
Si Florian Thauvin voulait quitter Lille pour Marseille, des alternatives, juridiquement plus acceptables, s’offraient-elles à lui ? Tout en sachant que Florian Thauvin désire s’engager avec Marseille et que Marseille est soumis aux règlements de la LFP et de la FIFA ? Pas vraiment... La LFP prohibe les ruptures contractuelles unilatérales, sauf rares exceptions telles que le non paiement des salaires par exemple (ce qui n’est pas le cas de Florian Thauvin). Le contrat n’est pas résolu de plein droit si le joueur ne satisfait pas à son engagement. Le club a le choix de forcer le joueur à l’exécution du contrat ou de demander la résolution avec dommages et intérêts (article 265 de la Charte du Football). La FIFA, elle aussi, interdit les ruptures contractuelles unilatérales sous peine de sanctions financières et sportives (article 13 du règlement FIFA sur la stabilité contractuelle entre professionnels et club). A moins que le joueur ne justifie d’une juste cause. La juste cause peut résulter d’une faute grave ou lourde de l’employeur (ce qui n’est pas le cas de Lille) ou être une juste cause sportive. La juste cause sportive permet à un professionnel accompli ayant pris part à moins de 10% des matches officiels joués par son club au cours d’une saison de rompre son contrat prématurément sans encourir de sanctions sportives. Certes il a joué moins de 10 % des matchs officiels en étant prêté à Bastia. Mais difficile de soutenir que Thauvin est un joueur accompli. 20 ans, ça parait un peu jeune… Difficile également de considérer que la présence de Rudi Garcia soit une condition substantielle au contrat de Florian Thauvin. L’article 507 de la Charte du Football ne fait d’ailleurs nullement mention d’un cas de changement d’entraineur quant à la gestion de l’effectif.
En conclusion, Lille était parfaitement dans son droit de vouloir conserver Florian Thauvin. Juridiquement, Florian Thauvin était dans l’erreur à refuser de s’entraîner avec Lille. Le transfert s’est pourtant conclu pour 15 millions d’euros. Est-ce à dire que l’économique a pris le pas sur le juridique ? Qu’aucune sanction ne sera prise ? Au final tout va bien puisque tout le monde ressort content ? Si le transfert s’est fait, c’est que, économiquement et sportivement, Marseille et Lille y ont trouvé leur intérêt. Quant à Thauvin, il jouera dans le club où il voulait jouer. Certes… Mais les instances sportives françaises se sont récemment enorgueillies de ne retenir en équipe de France que des joueurs au comportement sportif et moral irréprochable. Pas sûre, qu’avec ce coup d’éclat, Thauvin rejoue de sitôt en équipe de France… L’erreur juridique de Thauvin pourrait bien être sanctionnée…
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