Je ne vais pas faire un historique de l’évolution du monde du travail pas plus que celui des droits à la retraite.
J’en suis incapable et surtout, la place du travail et les conditions de vie en situation de retraite pour les années 2030 – 2050 voire 2100 m’intéressent davantage.
Ceci parce que ces prochaines décennies sont celles où j’espère vivre et « échanger en réciprocité » avec mes petits-enfants, mes arrière-petits-enfants, sur nos projets de vie.
J’ai travaillé, depuis mon entrée dans le monde du travail, une moyenne hebdomadaire plus proche des 60 heures que des 35 heures.
J’ai quitté ce dit « monde du travail » comme petit patron d’une petite entreprise personnelle où les semaines étaient proches de 70 à 80 heures, et où je n’ai pris, qu’une fois, en treize ans, deux semaines de congés.
Surtout ne pleurez pas, et ne criez pas à l’exploitation du salarié, je l’ai voulu ainsi.
Non par masochisme, mais parce que j’ai toujours trouvé plaisir et envie à participer à la vie de la société, dans l’exercice des professions que j’ai choisies.
Et cette précision « l’exercice des professions que j’ai choisies », n’est pas innocent.
Car le fait de pouvoir choisir, ajouté à celui de me faire plaisir, ont toujours guidé ma vie « au » travail comme ma vie « de » travail.
J’ai exercé six professions, dans des secteurs d’activités différents, des changements préparés et souhaités. Cela a été une grande satisfaction, un grand bonheur.
Je me trouve particulièrement privilégié et c’est ce constat qui m’a amené à travailler sur l’élaboration d’un vrai projet de vie pour les vingt, trente ans et plus qui me sont offerts en situation de retraite. Il me semblait difficile de laisser ces années au seul bon vouloir du hasard.
Je voyais, dans ce projet de vie, la possibilité d’une « nouvelle carrière » dans une « nouvelle profession » sans les contraintes de productions obligées, et sur une période presque aussi longue que celle de la carrière que je venais de terminer.
Ce n’est pas rien et cela mérite que l’on y consacre un temps d’apprentissage. Le mien a été de quatre années.
Ainsi, depuis six ans, je travaille régulièrement une bonne trentaine d’heures hebdomadaires dans ce qui est pour moi MON projet de retraite, MA nouvelle profession.
Je suis
chercheur[1] sur les conditions de vie en situation de retraite et de vieillissement[2].
Ce projet est devenu, pour moi, une vraie profession,
Je travaille sur « le rôle et la place possibles du retraité dans la société » après avoir choisi quatre éléments qui me semblent essentiels : 1) - comprendre sa santé ; 2) - apprendre aujourd’hui ; 3) - élaborer un vrai projet de vie pour les vingt, trente ans et plus en situation de retraite ; 4) - entreprendre son vieillissement.
Aujourd’hui, j’ai soixante dix ans.
Je ne compte pas cesser ma nouvelle carrière car les développements de mes travaux me laissent penser que ce travail est essentiel pour nos sociétés.
Il faut, maintenant, que je trouve des jeunes, ceux qui vont entrer en situation de retraite dans les dix prochaines années, afin de relever le défi : mettre en place ce temps d’apprentissage pour élaborer un projet de vie personnel et collectif « dans et avec la société ».
Remarque : travail, versus occupation.
Je n’ai encore trouvé personne qui ne fasse rien, qui ne travaille pas. Le travail ne se limitant pas à la production obligée.
Mais « l’occupation » qui est le plus souvent une forme de production, me semble, très souvent dans ce contexte de retraite, comme une référence vexatoire et discriminante.
C’est pour moi le sentiment que, faute de mieux, et compte tenu de l’âge (soixante ans et plus) l’occupation permet de laisser croire que les aînés « peuvent être utiles ».
C’est cette idée ou conception de la vie, qui voudrait que ceux qui ne peuvent plus, ou ceux qui ne veulent plus travailler, ou ceux qui veulent travailler autrement, ne sont plus « utiles » ou « productifs » à la société.
C’est pourquoi « travailler » jusqu’à soixante dix ans et au-delà, est un projet de vie qui ne peut que valoriser chacun, lui donner des raisons d’exister en demeurant acteur et actif avec les générations plus jeunes. Car le travail demeure un élément de dignité sociale qui a son importance dans nos sociétés. Ceux qui n’en ont pas, ou qui ne peuvent pas travailler en savent quelque chose.
Je découvre combien l’apprentissage bien conduit pourrait servir de catalyseur à la création de professions innovantes, nécessaires dans les environnements des décennies prochaines.
Nous savons bien qu’une carrière professionnelle, passée dans de mauvaises conditions de travail, a des conséquences catastrophiques sur l’état de santé mentale et physique lors de l’entrée en situation de retraite. Ces conséquences sont souvent des galères, pour le retraité, pour ses proches, pour la société.
Au cours des quelque cent entretiens que j’ai menés auprès de retraités durant ces dernières années, ceux qui ont connu des temps sans emploi, des temps d’exclusion, des temps de « mise au placard » dans leur travail, ne sont pas dans les meilleures conditions pour entreprendre leur temps en situation de retraite.
Ce sont des personnes qui ont perdu confiance en elles-mêmes, qui ne sont plus motivées à vivre dans et avec la société.
J’ai constaté combien un point de non-retour, autour des soixante quinze ans, pouvait naître chez certains et faire que leur avenir a tendance à s’orienter vers la maison de retraite ou la retraite isolée dans leur habitation, ce qui est regrettable.
Les jeunes retraités, aujourd’hui, doivent pourvoir entreprendre une nouvelle chance de vivre autrement les trois ou quatre décennies qui leur sont offertes avec leur indépendance, leurs capacités d’autonomie.
Je suis complètement convaincu que si, comme moi, ces femmes et ces hommes avaient eu la possibilité de se construire « leur » projet de vie après soixante ans, ils seraient encore au travail à soixante dix ans et plus.
Je pense que ce n’est pas le travail en lui-même qui est rejeté
[3], mais les satisfactions qu’il ne donne pas parce qu’il n’est pas choisi et construit autour d’un projet, autour d’un espoir de développement et d’un besoin de satisfaction.
C’est cette insatisfaction, entre autres, qu’il faut comprendre.
A partir de ce constat, le travail ne doit plus être assimilé à « l’outil de torture, mais doit être l’outil de développement personnel dans une collectivité où chacun doit avoir sa place, où chacun comprend et trouve à entreprendre sa vie dans la dignité et le respect de lui-même et des autres.
L’image, trop souvent négative, portée par les médias, fait de la vieille ou du vieux (parfois celui qui a le bonheur de passer soixante ans), une personne à part, diminuée dans ses capacités, et c’est un grand dommage.
Les retraités doivent aussi se donner les moyens de montrer leurs richesses, leurs capacités leurs différences, leurs joies… de vivre avec les plus jeunes.
A la fin de ce XXIe siècle nos petits-enfants, nos arrière-petits-enfants vivront leur retraite entre quatre-vingt et cent vingt ans, tout simplement.
Et si vous n’y croyez pas, et bien je vous propose d’en discuter à la fin de ce siècle !
Je vous remercie de votre attention.
[1] Chercheur n’est ni prétentieux ni usurpateur d’un titre, je cherche effectivement et je mène des actions concrètes afin d’apprendre pour mieux comprendre et entreprendre la mise en place d’un réel apprentissage à la retraite que je pense indispensable afin de préparer un vrai projet de vie.
1.
[2] Je venais de découvrir que l’on était retraité puis, peut-être, vieille ou vieux. Peut-être parce que les conditions de vie en situation de retraite déterminent, pour une grande part, me semble t-il, le temps et les états du vieillissement.
2.
[3] le nombre d’heures de travail au noir est un baromètre.