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Traversées de l’air du temps

L’obsolescence de l’homme fait rage avec le déchaînement des conflictualités dans un "monde de brutes". Pour certain(e)s, la question est : comment épanouir une communauté humaine viable ? Surtout, après « MeToo » et ses avalanches de révélations dans une société aussi hypersexualisée qu’ultra-normative ? En pleine débâcle du mâle et du « viril », les féministes déplorent la permanence d’un vieux socle patriarcal qui persisterait à tenir les femmes comme des « corps appropriables » et présumés disponibles. Alors que le féminisme proclamé tient le haut des piles sur la table des libraires et occupe les plateaux tv, les délicates questions du consentement, de l’écoute et de la lecture des émotions demeurent posées elles aussi, en lieu et place du récit de « l’amour » qui ne se connaîtrait d’autre loi que celle du déferlement de son impétueux bon plaisir. Comme le déferlement d'autres appétits et concupiscences...

Les nouvelles cartes maintes fois rebattues du Tendre et les nouveaux « outils de communication » laissent susbister un vieux schéma : celui où « l’homme propose et la femme dispose ». Las, celui-ci présente la spongiforme consistance d’une « zone grise » traversée de silences pesants, d’ambiguïtés et d’incompréhensions, aux confins d’une « guerre des sexes » faisant rage dans un hallucinant matraquage erotico-publicitaire.

Amoureuse de l’amour, la journaliste et essayiste Mona Chollet prend le pouls du couple et déplore : « La perversité de nos sociétés est de nous bombarder d’injonctions à l’hetérosexualité tout en éduquant et en socialisant méthodiquement les hommes et les femmes de façon qu’ils soient incapables de s’entendre  ».

Pire encore, la journaliste voit l’irruption d’un «  troisième protagoniste dans le lit des hommes et des femmes cherchant l’épanouissement amoureux ensemble : le patriarcat ». Mais sous les draps de quelle société cet antique « patriarcat » se glisserait-il ? S’ébattrait-il dans l’occidentale, l’orientale ou la « multiculturelle » ?

L’historien et démographie Emmanuel Todd voit plutôt l’espèce dite humaine soumise à un régime de « matridominance », perceptible jusque dans les stratégies marketing du système éditorial pour promouvoir, avec une soudaine belle unanimité, des « engagements féministes » dont les effectifs désormais pléthoriques engorgent les tables des libraires comme les plateaux télé. Pour le spécialiste de l’histoire des systèmes familiaux, « la destruction du patriarcat » fut d’autant plus facile dans nos sociétés «  qu’il n’y avait jamais vraiment existé ». Alors, pourquoi cette insistance à dénoncer inlassablement « l’oppression d’un sexe par l’autre » ?

Aujourd’hui, en amour ou anamour, nul n’est tenu à l’impossible et Mona Chollet ne croit pas à la « fidélité sacrificielle » : « s’il y a de la frustration, il vaut mieux se séparer, ou trouver un arrangement qui permette d’y remédier  ».

« La seule façon de préserver l’amour est de maintenir la distance » martelait déjà en son temps la théoricienne anarchiste Voltairine de Cleyre (1866-1912).

Deux « modèles de désirabilité » se telescoperaient encore : « celui de l’homme que le pouvoir rend irrésistible, le dispensant de cocher tout autre critère de séduction conventionnel ; de l’autre, celui de la femme trophée qui présente les caractéristiques attendues d’un mannequin, à commencer par la haute taille »...

« Comment sauver les femmes d’elles-mêmes ? » se demandait en son temps la journaliste féministe Louise Weiss (1893-1983) lorsqu’elle fonda en 1935 l’association La Femme nouvelle tenant boutique sur Les Champs-Elysées. La preuve par « les histoires d’amour qui se nouent entre des meurtriers et des femmes qu’ils attirent irrésistiblement ». Mona Chollet estime que « ce phénomène semble avoir de nombreux mécanismes en commun avec ceux qu’on voit à l’oeuvre dans les situations de violences conjugales ».

Ainsi, les chroniqueurs judiciaires du XXe siècle prêtaient à Henri Désiré Landru, guillotiné en 1922 pour onze meurtres, huit cents demandes de mariage, répertoriées parmi les quelque quatre mille lettres enflammées durant sa détention (d’après la journaliste Elisabeth Horlans). Depuis, les demandes de mariage ne désarment guère pour des tueurs en série rendus célèbres par leurs crimes comme Charles Manson (1934-2020). En revanche, les meurtrières très médiatisées semblent laisser les hommes de marbre : « Les tueurs emprisonnés font puissamment appel au syndrome du saint-bernard que les femmes sont encouragées à développer  »... Les femmes sont-elles toujours « conditionnées à rêver d’amour de manière obsessionnelle, à en faire le centre de leur identité et de leur quête existentielle, pour le plus grand bénéfice des hommes sur lesquels elles jettent leur dévolu » ?

Invoquant Le Consentement de Vanessa Springora, jeune proie d’un prédateur qui a bénéficié d’une hallucinante complaisance médiatique, la journaliste constate « l’enfermement des femmes dans les mots des hommes ». La preuve aussi par Histoire d’O de Pauline Réage (1908-1998) qui tenta de s'en affranchir en trouvant ses mots ?

Force est de constater qu’elles savent de plus en plus se faire entendre pour vivre une transformation conjointe et simultanée portée par un respect attentif – en laissant « le patriarcat » à la porte de la chambre ardente... C’est rien moins que toute l’aventure humaine qui se joue, à chaque rencontre, lors de la confrontation de la possibilité même de « la foi dans l’amour » à l’air du temps – et à la mémoire de l’air...

Lorsque les deux pôles du monde se cherchent et, parfois, se trouvent, réalisent-ils un "fait de nature", avec ce qu’il faut de chair inspirée à l’oeuvre, pour allumer un vacillant foyer de conscience dans un univers ainsi rendu habitable ?

Mona Chollet, Réinventer l’amour – comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles, Zones, 2021 ; Emmanuel Todd, Où en sont-elles ? Une esquisse de l’histoire des femmes, Seuil, 2021


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